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Formation : L’entreprise apprenante : nouvel horizon du développement des compétences ?

Le point sur | publié le : 28.05.2018 | Benjamin d’Alguerre

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Formation : L’entreprise apprenante : nouvel horizon du développement des compétences ?

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Né en 1990, le concept d’entreprise apprenante regagne du terrain, porté notamment par les nouveaux outils du web 2.0. Mais si de plus en plus d’organisations et d’entreprises s’en emparent, cette innovation exige une révolution des mentalités qui ne va pas toujours de soi.

« La crise de 2008 a fait comprendre à beaucoup d’entreprises qu’elles ne pouvaient plus s’adapter en fonction de leurs envies et de leur calendrier. Face à des bouleversements permanents, le changement doit se concevoir en continu. Hier, on manageait avec l’incertitude ; aujourd’hui, on manage avec l’inconnu. » Nicolas Rolland, directeur de l’université d’entreprise du groupe Engie (ex-GDF-Suez) donne le ton : dans un monde économique agité de soubresauts aussi fréquents que difficilement prévisibles, l’adaptation au changement doit intégrer la culture des entreprises et constituer un objet d’attention permanent. Premiers appelés à faire leur mue : les départements formation des entreprises tenus de s’adapter à la nouvelle donne. Exit les programmes de formation formels, souvent lourds à mettre en place dans un temps long, et bienvenue aux démarches apprenantes, au learning-by-doing (« apprendre en faisant ») et à l’intelligence collective. Ainsi, chez Engie, les salariés sont invités à se mobiliser sur des projets dépassant largement leur cadre professionnel, à l’image de programmes d’installation de panneaux solaires au Pérou en coopération avec une ONG indienne. Humanitaire, mais pas que. L’objectif, au-delà de l’ambition charitable, consiste aussi à créer un collectif apprenant, au sein duquel les équipes de salariés impliqués sont amenées à développer leurs « softskills » (compétences comportementales), mais aussi leur créativité et leur sens de la collaboration dans un contexte détaché de l’univers professionnel.

Le changement ne se décrète pas

Engie n’est pas la seule entreprise à s’être convertie aux démarches apprenantes. La Poste, Harley Davidson, Repetto, la SNCF, Accord Hotels, le quotidien Nice Matin, Oxfam, Nike, Lacoste ou Suez s’y sont également mises, soit à la suite d’une crise, soit en anticipation de la prochaine. Plus facile à dire qu’à faire, cependant : la transformation d’une entreprise en organisation apprenante est souvent un long travail d’évangélisation pour les professionnels des RH ou de la formation amenés à revêtir la capeline du pèlerin pour convaincre équipes et directions de la nécessité du changement. « Le problème, c’est que le changement ne se décrète pas : une entreprise ne se transforme pas en mode top-down sur simple décision de la direction », explique Marie-Pierre Dequier, cofondatrice du cabinet de transformation des organisations CollectivZ et porte-parole de France Apprenante, une coalition d’une centaine d’organisations dédiées à au développement des compétences, lancée officiellement le 16 mai dernier. « Nous sommes parfois confrontés à des dirigeants prêchant l’innovation et la transformation apprenante… et envoyant à leurs équipes tous les signaux contraires », renchérit Bénédicte Tilloy, ex-DRH de la SNCF désormais associée au sein du « studio d’innovation » Schoolab. « L’entreprise ne devient réellement apprenante que lorsqu’un dirigeant comprend que son comportement est un modèle pour la totalité des salariés et qu’il l’adapte en conséquence », poursuit-elle. Avec, parfois, la difficulté à parvenir à « déconstruire » des pratiques dirigistes, même involontaires, solidement ancrées dans les mentalités. Sans compter certains préjugés culturels bien enkystés : « Il existe encore des patrons, issus de cursus prestigieux de type Polytechnique, qui estiment ne pas avoir à se mettre au niveau des “bac moins douze” des équipes de production », témoigne un consultant.

Cinq compétences

S’il semble avoir le vent en poupe ces dernières années, le concept d’entreprise apprenante n’est pourtant pas si récent. Le premier livre à l’avoir évoqué, The Fifth Discipline (La cinquième discipline), de Peter Senge, professeur de management au MIT Sloan School of Management, est paru pour la première fois voici plus d’un quart de siècle, en 1990. Best-seller mondial, il est désormais considéré comme l’une des bibles de la transformation des organisations. Son auteur y définit les cinq compétences (« maîtrise personnelle », « modèles mentaux », « vision partagée », « apprenance en équipe », « pensée systémique ») nécessaires à toute organisation pour devenir apprenante. Longtemps marginales en France, les théories de Senge ont connu récemment une seconde jeunesse, particulièrement à l’issue de la séquence de crise entamée en 2008. « Une organisation est un système vivant. Une entreprise qui n’apprend pas ne se renouvelle pas. Concrètement, une organisation apprenante se coconstruit autour d’une vision et d’objectifs partagés sur l’objet social de l’entreprise. Et surtout, il faut s’assurer que chacun soit partie prenante du processus en créant les conditions du dialogue. Or, dans les entreprises, on discute beaucoup, mais on dialogue peu… », indique Béatrice Arnaud, consultante en management et ressources humaines et co-traductrice de l’ouvrage de Senge, chez Eyrolles.

20 % des budgets formation

Retour chez France Apprenante, le collectif qui ambitionne de devenir le fer de lance de la transformation des entreprises et des territoires. Selon Boris Sirbey, porte-parole du Lab RH, le pays n’accomplira sa mutation apprenante qu’à condition que « 20 % des budgets formation soient orientés vers les nouveaux modes d’apprentissage ». Autre condition : convaincre suffisamment de décideurs pour « faire basculer le système ». Gageure ? Le vent des décisions gouvernementales semble en tout cas souffler dans la direction souhaitée avec la mise en place d’une réforme de la formation qui modifie radicalement les bases du système tel qu’il existe depuis 1971 en substituant un « plan d’adaptation et de développement des compétences » à l’actuel « plan de formation ». Autre chantier qui pourrait bien donner un coup de pouce aux activités apprenantes : le plan d’investissement dans les compétences (PIC) qui prévoit la formation de deux millions de personnes éloignées de l’emploi (jeunes et chômeurs) dans les nouveaux métiers de l’économie verte, numérique ou sur les emplois en tension tout en laissant aux organismes de formation une grande liberté d’initiative en matière pédagogique. Reste à voir si cette impulsion entraînera le changement culturel attendu.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre