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Le fait de la semaine

Éthique des entreprises : La menace du « name and shame »

Le fait de la semaine | publié le : 02.07.2018 | Benjamin D’Alguerre

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Éthique des entreprises : La menace du « name and shame »

Crédit photo Benjamin D’Alguerre

La dernière version du code de gouvernance des entreprises réalisé conjointement par l’Afep et le Medef introduit dans son édition 2018 la possibilité de procéder à des actions de « name and shame » envers les employeurs indélicats. Arme de dissuasion ou opération de communication ?

L’ombre de Georges Plassat plane sur l’édition 2018 du code de gouvernance des entreprises dévoilée le 21 juin par l’Association française des entreprises privées (Afep, qui regroupe les 118 plus grandes entreprises de l’Hexagone) et le Medef. Difficile en effet, pour les rédacteurs de ce code de déontologie destiné aux grands groupes cotés en Bourse, de faire abstraction du tollé provoqué par la révélation du montant des indemnités de départ de l’ex-PDG du groupe Carrefour (4 millions d’euros accordés au titre d’une clause de non-concurrence à laquelle il a renoncé mais qui s’ajoutait à d’autres avantages pour un montant total de 13 millions d’euros). La polémique aura même retardé de quelques jours la publication finale de cette nouvelle édition du code, le temps de réécrire les chapitres consacrés aux abus liés à ces clauses de non-concurrence souvent détournées de leur vocation première par les grands groupes pour dissimuler les primes de retraite exceptionnelles accordées aux dirigeants en partance. « Maintenant, le patron qui part à la retraite après 65 ans ne pourra plus négocier ce genre de clauses ! », affirmait Laurent Burelle, président de l’Afep à l’antenne de BFM Business le jour de la publication de cette charte éthique.

Favorise l’autorégulation

Laurent Burelle pèche-t-il par excès d’enthousiasme en se montrant aussi affirmatif ? Après tout, le code Afep-Medef ne constitue rien d’autre qu’une boussole déontologique pour les quelque 300 grandes entreprises cotées qui adhèrent à sa charte. Les recommandations de son organe directeur, le Haut comité à la gouvernance d’entreprise (HCGE), composé de sept grands patrons – bientôt neuf – n’ont aucune portée coercitive pour les contrevenants, sinon purement morale. Mais c’est justement cette corde éthique que les rédacteurs de l’édition 2018 du code ont décidé de faire vibrer en officialisant la possibilité pour le HCGE de recourir au « name and shame » (littéralement « nommer et faire honte ») envers les entreprises peu respectueuses de leurs obligations en termes de rémunérations, d’égalité professionnelle, de respect de leurs sous-traitants, d’intégration des minorités ou de RSE. « Si une société à qui le Haut comité a écrit plusieurs fois pour lui signaler ses déviances ne prend aucune mesure dans un délai de deux mois, alors son nom et les faits qui lui sont reprochés seront publiés dans notre rapport annuel. C’est un moyen de renforcer le poids du code et favoriser l’autorégulation des entreprises », explique Jean-Philippe Roulet, secrétaire général du HCGE. Le principe était d’ailleurs inscrit dans la précédente version du code, en date de 2016, mais n’avait jamais été vraiment appliqué.

Née au tournant des années 2000 dans le monde anglo-saxon, la pratique du « name and shame » consiste à porter la turpitude des fautifs sur la place publique. Longtemps écartée de l’arsenal de la moralisation des entreprises, cette pratique s’est trouvé un promoteur de premier plan en la personne d’Emmanuel Macron. Alors ministre de l’Économie, ce dernier n’avait pas hésité, dès 2015, à demander à la répression des fraudes, dont il était le ministre de tutelle, de lâcher publiquement le nom de grands groupes accusés de ne pas payer leurs fournisseurs à temps. SFR, Airbus ou Numericable en avaient fait les frais. Dans le même temps, son homologue du Travail de l’époque, Myriam El Khomri, avait mené des opérations semblables concernant la discrimination à l’embauche. Depuis, l’entrée à l’Élysée de l’ancien locataire de Bercy a contribué à démocratiser la menace du « name and shame ». Ses ministres Muriel Pénicaud, Marlène Schiappa ou Gérald Darmanin ont tous brandi, ces derniers mois, cette épée de Damoclès à l’encontre des entreprises suspectées de mauvais comportements en matière sociale. Preuve que le dispositif a le vent en poupe.

Laurent Burelle le reconnaît d’ailleurs : l’inscription du « name and shame » dans l’arsenal à disposition du HCGE est une concession à l’air du temps. C’est justement cet alignement sur la mode du moment qui fait grincer des dents dans la sphère patronale : « Le code Afep-Medef prend une tournure coercitive de plus en plus illibérale. Que chaque entreprise soit libre de fixer avec ses actionnaires ses propres principes ! », tempête ainsi Jean-Charles Simon, l’un des anciens candidats à la présidence du Medef connu pour ses positions libérales. Il est vrai que la nouvelle rédaction du code, entamée en février dernier, s’est faite sous la pression de la remise du rapport Notat-Sénard qui proposait d’inscrire l’objet social des entreprises dans le Code civil et dont les conclusions seront reprises dans la future loi Pacte.

Difficile de dire si ce type d’action est de nature à modifier sensiblement le comportement des entreprises pour les rendre vertueuses. « Tout dépend de la méthodologie employée pour procéder aux contrôles préalables à une action de « name and shame » : les critères d’appréciation et d’évaluation choisis doivent être solides et rigoureux, sinon ça peut devenir contre-productif », indique Jean-Christophe Sciberras, DRH de Solvay. En témoigne le cas d’Airbus Helicopters, pointé du doigt en 2015 pour ses retards de paiement. L’industriel a jugé le testing effectué par la DGCCRF suffisamment déloyal pour intenter une action en justice contre ses conclusions… et obtenir gain de cause devant les tribunaux ! « Le recours à cette pratique doit être pédagogique », poursuit le DRH de Solvay. « L’objectif, c’est d’inciter les entreprises à s’aligner sur les meilleures d’entre elles et tirer la performance globale vers le haut. » Les entreprises joueront-elles le jeu de la vertu auto-régulée ? L’avenir le dira.

Auteur

  • Benjamin D’Alguerre