logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le grand entretien

« Aucun secteur d’activité ou type d’entreprise ne protège du burnout »

Le grand entretien | publié le : 16.07.2018 | Frédéric Brillet

Image

« Aucun secteur d’activité ou type d’entreprise ne protège du burnout »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans un ouvrage récent consacré au burnout, les auteurs soulignent l’incohérence de faire porter à l’être humain le poids de la responsabilité exclusive de ce syndrome, déjà vécu le plus souvent comme extrêmement culpabilisant. Si la personnalité, le tempérament et les soucis personnels jouent un rôle, de nombreux autres facteurs doivent être pris en considération.

Votre livre se fonde sur des témoignages de victimes du burnout que vous avez accompagnées et sur une enquête réalisée au printemps 2017 auprès d’une centaine de spécialistes suisses romands de la santé. Pourquoi cette double approche ?

Malgré la diversité des signes d’atteinte à la santé constatés chez les personnes en burnout, nous observions des similitudes dans les récits, en particulier pour ce qui est de la genèse du processus et de la multiplicité de ses causes. Nous voulions savoir comment les soignants positionnaient et interrogeaient ce syndrome dans leur mémoire, et comment ils procédaient au diagnostic différentiel avec d’autres troubles, la dépression en particulier. Nous étions aussi intéressées à connaître leur disposition quant à une approche réellement interdisciplinaire de l’accompagnement et de la prévention du burnout. L’enquête a montré une grande diversité de vues comme de pratiques, tant dans la définition qu’en donnent les soignants que dans les moyens d’accompagner les personnes en burnout, en termes de traitement médicamenteux ou psychothérapeutique, par exemple. Ceci s’explique, d’une part par le fait qu’il n’y pas de définition consensuelle du burnout et d’autre part parce que celui-ci peut être accompagné d’autres troubles avant, pendant ou après sa survenue (comme un trouble anxieux ou un état dépressif).

Comment le burn-out est-il reconnu et traité dans les pays que vous avez étudiés ?

Le burnout n’est pas reconnu comme maladie par les classifications officielles comme la CIM-10 (classification internationale des maladies) de l’OMS ou le DSM-5 (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) de l’association américaine de psychiatrie. Il apparaît dans les annexes de la première et est assimilé aux troubles de l’adaptation dans le second. Ce statut particulier a imposé aux médecins, en Suisse et jusqu’à récemment, d’assimiler ce syndrome à un trouble reconnu – dépression la plupart du temps – pour des questions d’assurances. Cela n’a évidemment pas aidé à réduire l’amalgame encore fréquent entre burnout et dépression.

Le burnout n’est pas nouveau. Il est l’une des formes contemporaines de la « mauvaise fatigue » (M. Loriol), qui accompagne l’humanité et ses évolutions. Si les spécialistes interrogés s’accordent à dire que le burnout est en augmentation, les raisons sont à chercher dans les transformations du monde du travail comme de la société. La pénibilité physique du travail a diminué. Par contre, les risques psychosociaux ont explosé, avec pour conséquence une augmentation sensible de la pression et du stress.

La modélisation du burnout s’appuie sur des modèles et approches (Freudenberger, Maslach, etc.) orientés sur l’individu et ses symptômes. En ce sens, ils tendent à psychologiser la problématique et amènent à penser en termes de vulnérabilités individuelles, occultant ainsi le poids des contextes dans lesquels nous évoluons.

Plusieurs pays ont mis en place des groupes d’experts dont la mission est de définir le burnout, dans l’optique de le classer parmi les maladies reconnues, voire professionnelles. Aucun n’y est encore parvenu à ce jour. Cette démarche risque de renforcer l’individualisation de la problématique et de réduire les chances d’une réflexion de société sur le rôle du travail et ses modes d’organisation.

Dans la genèse du burnout, qu’est-ce qui relève de l’individu et de l’organisation et des comportements toxiques de managers ?

L’accompagnement individuel et d’organisations, ainsi que nos recherches, nous ont amenées à faire le constat que les nombreux facteurs à l’origine d’un burnout relevaient de trois sphères, fonctionnant en vases communicants : les dispositions individuelles (la personnalité, les préférences de fonctionnement), le contexte personnel et social (situation familiale, enjeux financiers par exemple) et les conditions du lieu d’investissement, autrement dit le travail la plupart du temps. S’agissant d’un processus dynamique, il est impossible de quantifier la part de chacune de ces sphères dans la genèse du burnout. Cela n’amènerait que peu de valeur ajoutée, du fait des évolutions constantes de ces équilibres. De la même manière, l’approche consistant à « chercher des coupables » (employés incapables de résister à la pression ou managers malveillants) est peu constructive et ne contribue pas à penser cette problématique en termes de système, dans lequel chaque acteur est impliqué.

Quels points communs ressortent des discours, histoires et profils des victimes de burnout ?

Il est évident que certains traits de personnalité (comme le perfectionnisme) et certaines préférences de fonctionnement (comme la tendance à négliger ses propres besoins) augmentent le risque de burnout. Cependant, tous les récits font état de la présence de multiples autres facteurs d’une part, et d’un déséquilibre dans les ressources (tout ce qui permet de maintenir l’équilibre : sommeil, activité physique, interactions sociales, etc.). Arrivées au point de rupture, le plus souvent dans un déni total malgré les prémices observées par les proches, les personnes en burnout décrivent un effondrement physique ou psychique. Celui-ci est susceptible de prendre des formes parfois spectaculaires (perte de la locomotion par exemple), mais n’est que l’aboutissement d’un processus long et insidieux.

Y a-t-il des secteurs ou des types d’entreprises plus propices au burnout ?

Il serait plus exact de dire qu’il n’y a aucun secteur d’activité ou type d’entreprise « protecteur » a priori. Ce sont les modes d’organisation du travail, la culture d’entreprise et le style de conduite, la taille, les contraintes externes et internes, ou encore la qualité et la quantité de ressources organisationnelles (moyens humains, infrastructurels, financiers, mais aussi latitude décisionnelle, reconnaissance ou soutien social) qui vont, ou non, induire un stress chronique et cumulatif, et ainsi augmenter le risque de burnout. Un marketing « porteur » n’est pas garant d’actions de prévention et de gestion adéquates, celles-ci se cantonnant souvent à des activités de type wellness. Quant aux innovations technologiques et à la digitalisation, elles semblent générer plus de contraintes que de ressources (infobésité, enjeux de surveillance ou d’équilibre entre vie professionnelle et privée).

Vous êtes psychologue et relevez d’une discipline qui se focalise sur l’individu. Y a-t-il une tentation dans votre discipline de limiter les causes du burnout aux seules responsabilités ou vulnérabilités individuelles ?

Il s’agit d’une tendance claire, tant du côté des soignants que des employeurs. Pour les premiers, bien que les choses évoluent, l’approche est encore très orientée sur les conséquences – signes et symptômes – de l’atteinte à la santé. Pour les seconds, il y a parfois une méconnaissance des enjeux, comme des relations de causes à effets entre le contexte et la personne. Le plus souvent, agir sur l’individu est plus confortable que questionner le fonctionnement de l’organisation. Pour autant, il serait illusoire de croire qu’il n’y a aucune conséquence pour l’entreprise, la qualité de ses biens et services, ses résultats financiers ou sa réputation.

Vous prônez une vision holistique et ou socioécologique du burnout. Qu’entendez-vous par là ?

À partir du moment où l’on admet qu’une partie des causes du burnout est liée aux contextes dans lesquels nous évoluons, ce syndrome devient un enjeu de santé publique, voire un enjeu de société. Tout est lié, or la volonté d’une véritable action concertée entre politique, économie et santé fait défaut. Ce n’est pourtant qu’en considérant les choses globalement et en impliquant l’ensemble des acteurs du système que nous avons une chance de faire évoluer à la fois la prise en charge et la prévention du burnout, mais aussi les connaissances et les mentalités. Le monde du travail et la société dans son ensemble ont tout à y gagner.

Parcours

À partir de 2000, Anny Wahlen occupe des postes en RH, avec une orientation sur la formation et le développement, la gestion des talents et le développement organisationnel. Elle quitte le monde des multinationales en 2009, pour se consacrer aux thématiques santé et travail, plus particulièrement aux questions de stress et de burnout, et se spécialise en psychologie d’urgence. En 2013, elle devient membre du comité stratégique, puis secrétaire générale de l’Association suisse des psychologues du travail et des organisations PSY4WORK.CH, en charge des questions de santé au travail. Elle a récemment publié l’ouvrage Burnout, la maladie du XXIe siècle ?, coécrit avec Nadia Droz (éditions Favre, 2018).

Auteur

  • Frédéric Brillet