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« Je redoute une forme de dégagisme syndical »

À la une | publié le : 07.02.2018 | Jean-Paul Coulange

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« Je redoute une forme de dégagisme syndical »

Crédit photo Jean-Paul Coulange

Fondateur de l’association Dialogues, lieu de rencontres entre syndicalistes et DRH, Jean-Dominique Simonpoli a été chargé, avec Gilles Gateau, le DRH d’Air France, d’un rapport sur la reconnaissance et la valorisation des compétences syndicales. Il exhorte les entreprises à prendre en compte les carrières syndicales pour conforter le dialogue social, en rappelant qu’à compter de mai 2018, c’est la règle de l’accord majoritaire qui va s’imposer.

Dans l’immense majorité des entreprises, il n’y a pas de représentation syndicale. Comment développer le dialogue social, qui est un objectif affiché des ordonnances ?

Jean-Dominique Simonpoli : Les ordonnances ont créé, dans chaque département, des Observatoires d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation pour favoriser le dialogue social dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Il existe déjà des Commissions paritaires régionales interprofessionnelles pour les très petites entreprises. Il risque d’y avoir une forme de concurrence entre ces différentes structures. Mais les observatoires peuvent trouver leur place s’ils permettent d’éviter des dispositions dans les nouveaux accords qui soient contraires au droit européen ou à celui de la concurrence. L’idée de suivre l’état des négociations est intéressante.

N’est-ce pas contradictoire de faciliter la conclusion d’accords dans les petites entreprises où il n’y a pas de présence syndicale ?

J.-D. S. : C’est ce que disent certaines organisations syndicales, qui estiment qu’on ne peut pas à la fois vouloir du dialogue social et le laisser se développer là où il n’y a pas de présence syndicale. Il faudra être extrêmement vigilant sur la portée des accords qui seront conclus en l’absence d’organisations syndicales. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé de constituer des binômes de professionnels RH et de syndicalistes au niveau des branches, qui n’ont pas vocation à négocier mais à accompagner la négociation, et, d’autre part, de favoriser la présence de représentants des TPE dans les négociations de branches. Actuellement, dans les branches, les TPE ne sont représentées ni côté syndical ni côté patronal. Qui négocie ? Les grandes entreprises et leurs syndicalistes, parce qu’ils ont le temps et les moyens. J’ai donc proposé que le fonds paritaire national prenne en charge la présence de patrons et de syndicalistes venant des TPE dans les négociations de branches.

Quels sont les effets attendus de la fusion des instances représentatives du personnel ?

J.-D. S. : Les ordonnances peuvent être lues de deux façons différentes. Certaines entreprises peuvent se dire que c’est l’occasion de faire des économies sur le coût du dialogue social. Mathématiquement, quand on réduit le nombre d’instances, on réduit le nombre de mandats. Mais celles qui partent sur un a priori de cette nature font fausse route. Car c’est aussi l’occasion d’affecter les économies à la formation des syndicalistes pour les faire monter en compétences et à la formation des managers au dialogue social. Car en France, on ne forme pas les managers aux questions sociales. Pour résumer, on peut avoir une vision réductrice des ordonnances ou bien en faire un atout pour améliorer la qualité du dialogue social.

Que vont devenir les salariés privés de mandat ?

J.-D. S. : Faire l’économie de plusieurs milliers de mandats veut dire que des salariés ayant parfois des mandats lourds vont devoir reprendre une activité professionnelle classique. C’est un véritable enjeu, qui nécessite une vraie conduite du changement. Ces questions doivent être travaillées en liaison avec les organisations syndicales pour savoir comment préparer les reclassements, comment former les personnes concernées. Mais les ordonnances ont une vertu : c’est l’occasion rêvée pour que la fonction ressources humaines retrouve ses lettres de noblesse. Un certain nombre de DRH se plaignent depuis longtemps qu’ils n’ont pas la place qu’ils méritent. C’est le moment ou jamais pour la prendre.

Combien de salariés cela concerne-t-il ?

J.-D. S. : Nous ne disposons pas d’une photographie précise. Les entreprises font l’état des lieux. Mais cela devrait concerner plusieurs dizaines de milliers de mandats sur 760 000 (et 600 000 salariés actuellement). Cela aura un impact sur les recrutements pour une entreprise qui aura cinquante ou cent personnes à reclasser. Dans douze ans, au terme de leurs trois mandats, beaucoup de gens vont devoir reprendre leur activité professionnelle. En termes de reclassement, on peut trouver des solutions à l’échelon régional. Un secrétaire d’union départementale ou régionale aura sans doute des difficultés à être reclassé dans son entreprise. Dans un établissement de 300 personnes, il va être difficile de retrouver une place à un quasi-permanent. Encore faut-il qu’il y ait un poste disponible et que le collectif de travail l’accepte. En revanche, à l’échelle du territoire, il existe des solutions dans d’autres entreprises. Mais cela demande du sur-mesure, du cas par cas.

Comment évaluer les compétences qu’ont pu acquérir les syndicalistes au cours de l’exercice de leur mandat ?

J.-D. S. : L’Afpa a construit un référentiel à la demande de certaines organisations syndicales. Mais les organisations d’employeurs n’ont pas été associées au dispositif. Nous avons bâti un dispositif différent, un outil d’appréciation des compétences des représentants syndicaux, à partir de fiches mandats créées par les directions des entreprises et les syndicats. C’est une double forme de reconnaissance, par l’entreprise et par l’organisation syndicale, car un certain nombre de compétences ne sont pas observables par l’entreprise seule. À partir de là, il est possible de construire un parcours pour qu’un syndicaliste puisse retrouver une activité professionnelle. Nous avons créé ce type de dispositif avec l’AFB et l’Ucanss. Il est souhaitable que les blocs de compétences soient validés par les branches. Mais peu d’entre elles, hormis le bâtiment et la métallurgie, sont présentes dans les territoires. Pour que ces compétences soient validées dans un métier donné, il va falloir du temps.

Vous souhaitiez un dispositif contraignant pour obliger les branches à réfléchir aux carrières et la formation syndicales ?

J.-D. S. : Cela fait théoriquement partie du bloc 2 dans les domaines réservés à la branche. Il me semble nécessaire de travailler sur la formation de ceux qui vont avoir, demain, la gestion de la négociation collective. À la fois dans les entreprises et chez les syndicalistes qui vont être moins nombreux avec un champ de négociation beaucoup plus large. Je suis totalement opposé à une professionnalisation du syndicalisme. Il ne faut pas professionnaliser la personne, mais la fonction syndicale. Nous avons monté un cursus de formation, intra-entreprises, avec Sciences Po qu’environ 700 syndicalistes ont suivi. Cela donne l’envie aux syndicalistes de se former en dehors des formations strictement syndicales. C’est aussi une forme de reconnaissance de l’importance du syndicalisme car la formation est prise en charge par l’entreprise. Mais il faut également des formations communes, où l’on mélange les managers et les syndicalistes. Demain, il va y avoir moins de CHSCT mais des commissions locales de santé et sécurité au travail. Il serait bon qu’employeurs et syndicats puissent s’acculturer ensemble sur des questions de cette nature.

Les syndicats vont-ils perdre de l’expertise ?

J.-D. S. : Avant, on passait par des étapes, d’abord délégué du personnel, puis représentant au comité d’entreprise puis délégué syndical. Les élus suppléants ne pourront plus participer aux discussions, sauf en cas d’absence du titulaire. Or les syndicats se servaient de ce vivier pour former leurs futurs dirigeants. On risque également de ne plus avoir de représentants de proximité. Avec les délégués du personnel, les DRH pouvaient savoir ce qui se passait sur le terrain. S’il n’y a plus de DP, cela va être plus compliqué tant du côté syndical que du côté des entreprises. Avec le CSE, les entreprises qui vont appliquer la loi et rien que la loi n’auront pas besoin de représentants locaux. Cela pose un vrai problème en termes de renouvellement syndical. Il faudrait parvenir à trouver, par voie d’accords, des modalités permettant aux représentants de proximité de continuer à exister. Autrement, dans douze ans, on risque de retrouver des gens qui ne connaissent pas bien l’entreprise, ni la négociation, qui n’ont pas été élevés dans le sérail syndical et cela risque de créer des difficultés aux entreprises et aux syndicats. Mon conseil aux entreprises est de négocier des moyens supplémentaires à ce que prévoit la loi.

L’échéance est celle du 31 décembre 2019 avec la mise en place du comité social et économique ?

J.-D. S. : Il y a effectivement l’échéance de 2020, mais la plus brutale, c’est probablement celle du 1er mai 2018 et de l’accord majoritaire. Or beaucoup d’entreprises ne l’ont pas encore pris en compte. Pour celles qui ont un dialogue social de qualité, même dans la confrontation ou dans le conflit, pas de problème, mais celles où le dialogue social est mauvais vont se retrouver face à un mur. C’est encore une fois le rôle du DRH de porter ce message auprès de la direction générale.

Le champ de la négociation dans l’entreprise s’est élargi. Est-ce que les moyens prévus pour le dialogue social vous semblent suffisants ?

J.-D. S. : Il y a autant d’heures qu’avant mais sur un nombre de mandats plus réduit. Encore une fois, rien n’empêche d’aller plus loin. Sur les moyens alloués aux organisations, des initiatives comme le chèque syndical ont permis d’aller plus loin, mais n’ont pas permis de développer la syndicalisation. Chez Axa, par exemple, la mise en œuvre du chèque syndical n’a pas eu d’effets. Pour développer la syndicalisation, il y a d’autres méthodes comme le syndicalisme de services. Les organisations ont des idées. Renouveler les générations passe aussi par la syndicalisation. Pour donner à des jeunes l’envie de syndiquer, il faut commencer par traiter la question de l’emploi de ceux qui ont exercé un mandat.

Comment voyez-vous l’avenir du dialogue social ?

J.-D. S. : La vraie question est celle de l’avenir du syndicalisme. La période que nous venons de vivre traduit un réel affaiblissement des partenaires sociaux. Côté syndical, on a le sentiment que les différentes organisations sont incapables de se mettre d’accord sur deux ou trois lignes jaunes. C’est un aveu d’impuissance. Certes, les syndicats ont obtenu le maintien du niveau de la branche pour la négociation collective mais ils ont davantage empêché qu’obtenu des acquis nouveaux. Du côté du patronat, pour qu’il impulse le dialogue social, au niveau interprofessionnel, il faut que les grandes entreprises reprennent la main. Dans les structures du Medef, on ne les voit plus. Les partenaires sociaux doivent réfléchir ensemble sur le calendrier social, sur les négociations à venir. Les pouvoirs publics fixent la feuille de route, à laquelle il est difficile de déroger. La négociation sur la formation professionnelle est l’occasion de voir si le paritarisme a un avenir. Notre premier colloque, il y a plus de dix ans, s’intitulait : « Les syndicats sont-ils mortels ? ». Le leader de la CFDT a apporté une réponse beaucoup plus affirmative à notre interrogation… L’enjeu pour les syndicats est de sortir par le haut de la séquence des ordonnances en jouant un rôle de négociation, voire de contestation, dans l’entreprise et dans les branches, afin de reprendre pied chez les salariés et d’en finir avec désunion permanente. Sinon, la crainte est de se retrouver dans une situation analogue à celle des partis politiques, qui ont été victimes d’une sorte de dégagisme.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange