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Le CSE met les syndicats sur le qui-vive

À la une | publié le : 07.02.2018 | Muriel Jaouën

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Le CSE met les syndicats sur le qui-vive

Crédit photo Muriel Jaouën

La fusion des instances représentatives du personnel va chambouler les codes du dialogue social. Dans les entreprises, l’inquiétude le dispute à l’attentisme.

Une « attaque contre le monde syndical ». C’est en ces termes que Pascal Pavageau, probable successeur de Jean-Claude Mailly à la tête de Force Ouvrière, qualifiait en novembre dernier le Comité social et économique (CSE), instance unique vouée à remplacer à compter du 1er janvier 2020 l’ensemble des institutions représentatives du personnel dans les établissements de plus de 11 salariés. Pour la plupart des organisations syndicales, la réforme des IRP prévue par les ordonnances du 22 septembre 2017 passe mal. Et pour cause : elle va se solder à bien des endroits par une réduction substantielle du nombre global de mandats. « Par rapport aux IRP séparées, la perte de titulaires au CSE va croissant avec les effectifs des entreprises. Dans un établissement employant de 100 à 149 salariés, il y aura six titulaires de moins ; entre 5 500 et 6 249, 20 de moins ; et 32 de moins à partir de 9 750 salariés », détaille Didier Porte, secrétaire confédéral FO.

Reste qu’au-delà des protestations obligées, la réaction des organisations syndicales a, jusqu’à présent, été plutôt feutrée. Pour Marylise Léon, secrétaire confédérale CFDT chargée du dialogue social, cette relative aphasie s’explique notamment par la succession de réformes engagées ces dernières années, qui aura fini par fatiguer, voire décourager les troupes. « Certains changements, comme la nouvelle organisation de l’information-consultation ou la base de données économiques et sociales restent encore à mettre en œuvre dans beaucoup d’entreprises », commente la responsable syndicale.

Perte de proximité avec les salariés.

Pour beaucoup d’élus, le CSE vient sonner le glas de la relation de proximité qu’ils ont toujours entretenue avec les salariés. « Quand un syndicat passe de 80 à 15 élus et de 1 600 à 525 heures de délégation, comment peut-il rester en prise avec le réel « , s’interroge Jérôme Boussard, élu CGT à PSA Sochaux. Même inquiétude chez Michelin Clermont-Ferrand : « Sur le site, nous sommes 180 élus, toutes organisations syndicales confondues. Demain, nous ne serons plus que 35 au sein du CSE, plus les membres de la commission santé sécurité », affirme Cédric Batisse, élu CFDT au CE. Chez les salariés mandatés, l’inquiétude est donc de mise. Secrétaire (FO) du CE d’Airbus Opérations à Toulouse, qui emploie 430 personnes, Isabelle Cadillon-Sicre s’interroge sur les moyens dont elle disposera demain pour gérer sa “PME”. « Nous bénéficions aujourd’hui de conditions avantageuses. Mais s’il y a moins de délégués demain sur le terrain, pourrons-nous maintenir la qualité de nos prestations sociales ? »

Prorogation des mandats.

À compter du 1er janvier 2020, il n’y aura plus d’instance séparée dans les entreprises. Mais les directions ne semblent pas si pressées de mettre la mécanique en branle. Le calendrier de mise en place du CSE se calque sur le renouvellement des instances, sous réserve de dispositions dilatoires. Et les DRH sont nombreux à négocier avec les organisations syndicales des accords dérogatoires. Objectif : proroger de six mois ou d’un an les mandats pour maintenir la représentation du personnel dans sa structure. « Sans avoir toutes les billes en main, il n’aurait pas été prudent d’entamer des négociations. Or, la sixième ordonnance balai est sortie très tardivement et le dernier décret ne date que du 30 décembre 2017 », affirme Alain Montpeur, délégué central CFE-CGC chez Norauto, où les mandats, qui devaient prendre fin en mars 2018, ont été prorogés jusqu’à janvier 2019.

Pourquoi tant de prudence ? « Nous avons publié en juin 2017 une étude montrant que 83 % des salariés se disent convaincus de la nécessité de conserver l’indépendance des instances, dont la fonction est jugée positive par 68 % d’entre eux », confirme Jean-Claude Delgennes, directeur général de Technologia, cabinet conseil spécialiste des conditions de travail. Serait-ce alors la peur d’une redistribution des cartes syndicales au sein de la nouvelle instance ? « Chez nous, il n’est pas certain que le pacte FO, CFTC, CFE-CGC, aujourd’hui majoritaire au sein du CE, résiste à la diminution drastique du nombre de mandats. En revanche, il est certain que la direction n’a aucune envie de voir la CGT prendre la main », avance Jérôme Boussard, secrétaire général CGT à PSA Sochaux. « Ne nous voilons pas la face, le CSE est un sujet très politique, qui effraie pas mal de patrons, notamment de PME. Au Medef Ile-de-France, le sujet du CSE a d’ailleurs jusqu’à présent été éludé », confirme Luc-Éric Krief, administrateur du syndicat patronal pour la région capitale. Certains DRH ne s’inquiètent-il pas plus prosaïquement de la sérénité et de l’efficacité de débats ? « Les six premiers mois, il faudra sans doute composer avec des ordres du jour fleuves. Mais cela se régulera avec le temps », tempère Jérôme Scapoli, spécialiste du droit social au sein du cabinet Grant Thornton Société d’Avocats.

88 % des DRH favorables à la fusion.

La séparation des IRP peut aussi être un atout tactique pour des directions adeptes du “diviser pour mieux régner”. « Quand le dialogue social est mauvais, cela peut leur permettre de cloisonner les sujets entre les différentes IRP, voire de maintenir une dispersion des forces syndicales », note Kevin Guillas-Cavan, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires).

Du côté des opposants à la fusion, on rappelle le peu d’écho rencontré par la délégation unique du personnel (DUP). La loi Rebsamen du 17 août 2015 permet aux entreprises de regrouper leurs IRP, sur simple décision de l’employeur dans les entreprises de moins de 300 salariés, et par un accord collectif dans les autres. Pour Jean-Pierre Poisson, animateur de la commission “dialogue social” de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, la rareté des DUP tient à des contraintes de timing : « La loi Rebsamen est récente. Et négocier un accord collectif ne se fait pas en un jour. Les entreprises n’ont pas eu le temps de lancer de tels chantiers. » Celles qui l’ont fait pourront peut-être le regretter. À peine la DUP mise en place, voici venu le CSE. Première entreprise du CAC 40 à avoir décidé, en mai 2016, de procéder à la fusion des IRP, Solvay France a dû revoir sa copie six mois plus tard et signer un nouvel accord d’entreprise, le 5 décembre 2017. « Il est regrettable qu’on n’ait pas pris le temps d’analyser l’impact de la délégation unique du personnel sur la qualité du dialogue social avant de lancer le CSE », souligne Kevin Guillas Cavan, l’un des auteurs d’un rapport de l’Ires publié fin 2016 sur la loi Rebsamen.

Reste que le regroupement des IRP est une revendication de longue date des directions. Moins d’élus, c’est moins d’heures de délégation, moins de réunions, et autant d’économies. « 88 % des DRH que nous avons interrogés sont favorables à l’instance unique », avance Jean-Pierre Poisson. Pour les DRH, c’est l’argument de la fluidité du dialogue social qui prévaut : le système des IRP reposait sur une multiple division des tâches produisant des effets pervers. « Les DP, qui n’avaient accès ni aux informations sociales et économiques ni à la négociation – privilège des membres des CE – devaient se contenter de “réclamer” alors que les DS avaient le droit de “revendiquer”. Les membres des CHSCT s’occupaient exclusivement d’hygiène et de sécurité, les membres des CE ignoraient les “réclamations” des DP ; les DP ignoraient les données communiquées aux membres des CE », développe Christian Thuderoz, sociologue, directeur du programme NégoLab d’ESSEC-Irené.

Avec le CSE, tout devient négociable. « Cette loi s’est imposée à nous. À nous de transformer la contrainte en opportunité », avance Alain Montpeur. À la faveur d’une réorganisation globale, Norauto, qui comprenait cinq établissements, n’en abrite plus que deux : les services centraux d’un côté (600 salariés), le reste des activités d’autre part (près de 6 000 salariés). L’entreprise comptera donc deux CSE. Le nombre d’élus ne sera de ce fait qu’impacté à la marge. « Si on négocie bien sur le champ des délégués de proximité, nous aurons même davantage d’élus que dans la précédente configuration. En revanche, nous avions signé un accord extrêmement favorable en matière d’heures de délégation et nous allons devoir repartir de zéro », affirme Alain Montpeur.

Quid de la santé et de la sécurité ?

Autre point de vigilance pour les syndicats : les missions en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, jusqu’alors dévolues au CHSCT. Demain, une commission santé, sécurité et conditions de travail sera obligatoire dans les entreprises et les établissements distincts de 300 salariés et plus. Dans les moins de 300 salariés, l’inspecteur du travail pourra imposer la création d’une commission. Quant aux expertises sur des risques professionnels demandées par la commission, elles ne seront plus à la seule charge de l’employeur et devront désormais être assumées à hauteur de 20 % de leur coût par le CSE. « Beaucoup de DRH considèrent le CHSCT comme un outil essentiel de prévention, qu’il s’agisse de maladie, d’accidents du travail, d’absentéisme. Certains clients passés sous DUP sont venus nous demander comment maintenir en place ses attributions », explique Stéphane Bréal, avocat au sein du cabinet Fidal.

Chez Solvay France, l’accord passé prévoit la mise en place d’une “commission santé, sécurité, conditions de travail et développement durable” pour tout établissement employant au moins 100 salariés. « Les membres de l’instance bénéficieront de 15 heures de délégation par mois, qui s’ajouteront aux heures dont ils bénéficient en tant que membres du CSE. Dans les établissements classés Seveso, le nombre d’heures est fixé à 20 », explique Jean-Christophe Sciberras, le DRH. Un autre sujet devrait occuper une place centrale dans les négociations : les représentants de proximité, qui pourront être mis en place par accord d’entreprise. « Cette question est cruciale pour les patrons d’entreprises de moins de 20 salariés, qui dans leur grande majorité, n’ont pas les compétences nécessaires pour manager le dialogue social, notamment face à des élus dûment formés par les centrales », soutient Luc-Éric Krief.

Compétences additionnées.

Avec le CSE, la question de la compétence devient centrale. Qui dit instance unique dit regroupement des attributions antérieures. Les élus devront donc pouvoir traiter à la fois les sujets économiques, sociaux et techniques. « En termes de recrutement, c’est un vrai repoussoir. Il va devenir très difficile de trouver des volontaires de qualité », soutient Charles Gouillard, ancien élu CFE-CGC au CE d’EDF. La constitution des listes devra en outre également intégrer la parité. Certes, le nouveau dispositif doit s’accompagner d’un programme de formation des élus. Loin d’être suffisant, si l’on en croit Cédric Batisse : « Aujourd’hui, les membres du CE bénéficient de cinq jours de formation, les membres du CHSCT de dix jours et les DP de deux ou trois jours. D’un total de 20 jours pour les titulaires et suppléants cumulant les mandats, on va passer à cinq jours pour les seuls titulaires. »

Non seulement les suppléants se retrouvent privés de formation, mais, sauf absence des titulaires, seront désormais interdits de réunions. « J’ai tout appris sur le terrain en étant suppléant », témoigne Gilles Lecuelle, secrétaire national CFE-CGC. Aberration, rétorque Jean-Christophe Sciberras, pour qui les réunions ne sont pas des centres de formation, et la fonction d’un suppléant est de suppléer. « Les réunions seront beaucoup plus productives. Je pense même qu’en termes opérationnels, c’est là la mesure la plus importante du SCE », soutient le DRH.

Craintes pour le renouvellement des troupes.

De leur côté, les organisations syndicales s’apprêtent à mettre les bouchées doubles pour préparer leurs représentants. « Nos services de formation sont déjà en surchauffe », note Gilles Lecuelle. À la CFDT, un premier webséminaire organisé fin novembre a enregistré 500 inscrits. La confédération, qui produit également des vidéos pédagogiques de trois minutes et s’apprête à revoir tous ses supports de formation présentielle, devrait également lancer son premier Small Private Online Courses début 2018.

L’enjeu majeur du CSE sera peut-être dans le renouvellement des forces vives (voir également page 23). Selon la Dares, il y a déjà pénurie de candidats dans 38 % des établissements dotés d’instance de représentation. Pis : dans un quart des structures, les élus déclarent ne pas souhaiter poursuivre leur engagement. « Une instance unique peut aussi constituer un atout dans un contexte de faible syndicalisation. Il y aura moins de postes à pourvoir et ce sera donc plus facile de sélectionner les bons – sinon de meilleurs – candidats », avance Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l’Université de Bourgogne Franche-Comté. Les élus en place semblent plus circonspects. En cause : la limitation a trois du nombre de mandats successifs. Il va falloir trouver des candidats qui accepteront de mettre leur carrière entre parenthèses sur une durée limitée à 12 ans. Pas simple, a fortiori chez les cadres et les moins de 40 ans. « Je suis élu au CE, engagé à 100 % depuis 12 ans dans divers mandats, et je ne pense pas qu’on se bouscule pour prendre ma place », témoigne Cédric Batisse.

Un bouleversement jamais vu.

Pour les organisations syndicales, il s’agit donc de mettre en œuvre des stratégies offensives de conquête, notamment dans les PME. « Nous rayonnons dans 12 % des entreprises. Cela signifie que 88 % nous échappent. Il va falloir aller convaincre les salariés de se syndiquer », Fabrice Angeï, secrétaire confédéral CGT. Pour afficher sa volonté de contribuer au renouvellement des générations de militants, Solvay France a mis en place un mécanisme de remboursement par l’employeur de la part de cotisation syndicale qui reste à la charge des salariés après bénéfice de la déduction fiscale de 66 %. À ceux qui s’engageront dans des fonctions représentatives, l’entreprise chimiste garantit les mêmes évolutions de carrière et de salaires que les autres salariés. À la faveur d’un accord unanime du 27 avril 2017, les compétences capitalisées dans l’exercice des mandats pourront en outre bénéficier de la Validation des acquis de l’expérience syndicale. La qualité du dialogue social dans les entreprises appelle un équilibre des acteurs en présence et une distribution équitable des cartes de la négociation. Les jeux sont ouverts. Et l’enjeu colossal pour les organisations syndicales. « Nous sommes face à un bouleversement jamais vu depuis 35 ans et face à une responsabilité collective majeure », affirme Marylise Léon. Pour le dialogue social bien sûr, mais aussi pour le syndicalisme lui-même.

Auteur

  • Muriel Jaouën