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Les nouvelles recettes pour former les dirigeants

Décodages | Formation | publié le : 07.02.2018 | Laurence Estival

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Les nouvelles recettes pour former les dirigeants

Crédit photo Laurence Estival

Learning expeditions, ateliers sur mesure en petits comités, co-développement… De plus en plus de dirigeants expérimentent de nouvelles méthodes pour prendre de la hauteur et rompre la solitude des top managers. Tour d’horizon.

Hier encore apanage des business schools, la formation des dirigeants serait-elle en train de leur échapper ? « Elles sont encore des acteurs incontournables notamment pour les hauts potentiels mais les top managers n’y trouvent pas toujours ce dont ils ont besoin, pointe Hervé Borensztejn, responsable Europe & Afrique du département leadership du cabinet Heidrick & Struggles. Ils doivent avant tout se mettre dans une posture d’apprentissage permanent pour capter les signaux faibles et travailler sur leur capacité d’entraînement. » Un cahier des charges aux antipodes de la boîte à outils qui permettrait d’un coup de baguette magique de réussir la digitalisation de son activité ou de prendre une longueur d’avance sur ses concurrents.

De la découverte à l’inspiration.

« Au fur et à mesure que l’on avance dans sa carrière en prenant de plus en plus de responsabilités, on se rend compte que les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne se réduisent pas à des questions d’expertise. Nous avons besoin de prendre de la hauteur, de trouver de nouvelles sources d’inspiration et d’échanger avec nos pairs de secteurs d’activité différents afin de partager nos expériences. Notre objectif est de réfléchir au sens de notre action », analyse Sandrine Perrien, responsable du développement RH de Gras Savoye, société de courtage d’assurances et de réassurance.

Pour cette professionnelle, l’exposé d’un philosophe est beaucoup plus utile que celui d’un consultant venu présenter un des derniers concepts en vogue… Pour relever les défis, les dirigeants ont donc appris à picorer dans une offre la plupart du temps confidentielle dont la promotion est davantage assurée par le bouche-à-oreille que par les catalogues de formation. Sur ces nouveaux terrains d’apprentissage, les « learning expeditions », consistant à aller voir ce qui se passe ailleurs, ont le vent en poupe. La formule n’est pas nouvelle, mais elle a été entièrement revisitée. Il y a quelques années encore, des séjours comportant exposés d’experts et visites d’entreprises étaient organisés en Chine ou dans la Silicon Valley pour comprendre comment faire du business dans l’Empire du milieu ou découvrir l’écosystème entrepreneurial californien, grâce à une incontournable visite au siège de Google ou de Facebook. « Aujourd’hui, je ne connais pas un dirigeant qui ne soit pas encore allé chez Google et les top managers sont en demande de nouvelles découvertes sur des problématiques liées à la stratégie ou sur les nouveaux business modèles », note Ewa Brandt, directrice du développement des talents d’Ipsos. Des terrains d’observation correspondant à des sujets plus pointus et dans des univers déconnectés de ceux des participants, ont pris le relais. À l’image du programme organisé par le cabinet Hopten en Inde, pour une communauté de leaders d’une entreprise du CAC 40. « Objectif ? Les faire réfléchir sur la manière de faire de l’innovation frugale ou sur ce qui signifie le management dans une société peu hiérarchique », illustre Éric Montigné, fondateur de ce cabinet spécialisé dans ce type d’approche. Des expéditions sur mesure ont également été montées en Chine sur l’innovation dans les transports, en Afrique pour l’avenir des services bancaires et financiers ou en Scandinavie pour travailler sur la façon de faire circuler l’innovation. « Il ne s’agit pas de faire du copier-coller de ce qui est observé mais d’inciter collectivement les dirigeants, à prendre de la distance par rapport à leur entreprise pour les amener à s’interroger sur leurs propres pratiques », poursuit l’expert.

« Dans un monde en changement constant, on peut aussi faire des learning expeditions au coin de la rue. Les start-up, quelle que soit leur implantation, sont devenues des terrains d’explorations recherchés par les grands groupes pour capter des expériences dans des environnements différents », ajoute Hervé Borensztejn. Un avis partagé par Catherine Dedieu. La fondatrice de sa société Dedieuprojects a développé une offre centrée sur les « innoboosters ». Son crédo ? Plonger les dirigeants dans des lieux où s’élaborent les projets digitaux du futur. Des parcours où les top managers sont par exemple invités à s’immiscer dans les salles de classe de l’École 42, l’établissement atypique fondé par Xavier Niel pour former des experts en codage informatique en utilisant un modèle pédagogique où l’échange et l’aide entre pairs remplacent les cours et les enseignants.

Réfléchir et agir.

Pour trouver des sources d’inspiration et détecter les signaux faibles, les dirigeants apprécient également les conférences sur des sujets aussi éclectiques que la révolte en Iran, l’art japonais, les générations X, Y, Z… Tout est bon pour nourrir leur imaginaire et mettre en mouvement leurs neurones. De l’Institut Montaigne en passant par le Club Interallié ou le Collège des Bernardins, chacun peut, moyennant son introduction dans ces cercles qui pour certains d’entre eux fonctionnent par cooptation, trouver de quoi s’alimenter, d’autant que les petits-déjeuners se casent facilement dans les emplois du temps surchargés… Souvent les dirigeants profitent aussi de leur participation à une convention à l’étranger ou une visite dans une de leurs filiales pour prendre des rendez-vous avec des experts internationaux au fil de leurs lectures, des échanges avec leurs réseaux et cellules de veille ou en parcourant les blogs d’experts ou d’universitaires. Parmi les must : « le Peter Drucker Forum, le Forum de Davos où des Universités comme la Singularity University (une université privée californienne qui est à la fois un centre d’enseignement, un think tank et un incubateur d’entreprise, NDLR) », liste Ewa Brandt, d’Ipsos. Autre formule : faire venir les têtes inspirantes devant son comex. « La fourchette des prix, selon la notoriété de la personne, peut varier de 5 000 à 50 000 dollars la journée. Quand le prix est très élevé, des entreprises unissent leur force – et leur budget – pour accueillir un conférencier prestigieux », indique Hervé Borensztejn.

Certains dirigeants optent pour des cycles courts en plus petits comités, à mi-chemin entre le club de réflexion et la formation en développement personnel. Directrice diversité et inclusion chez L’Oréal, Anne-Laure Thomas a ainsi testé le programme « Women on the Move » lancé par Catherine Blondel, fondatrice de Vis-à-Vis, un cabinet de coaching et de formation haut de gamme pour top managers. « Nous étions une dizaine de dirigeantes à nous réunir une fois par mois entre juin et décembre. Après un déjeuner partagé, nous prenions un temps de réflexion avec un intervenant extérieur pour échanger sur la confiance, la légitimité ou le syndrome de la bonne élève avant de passer à la réalisation d’exercices pratiques », explique-t-elle. Lors de la séance sur l’aisance managériale, les participantes sont toutes passées devant la caméra. « Ce cycle avec ses différentes phases centrées sur la réflexion et sur la mise en pratique nous permet de prendre du recul dans un cadre détendu car si on a parfois l’impression de s’éloigner de son travail pour prendre de la hauteur, la force de ces formations est, quand même, de toujours nous y ramener », souligne cette dirigeante.

Briser la solitude.

Même approche pour le programme Le Cercle de l’Institut de l’entreprise, animé par Olivier Basso, qui rassemble une vingtaine de dirigeants d’entreprises autour de six journées et d’un voyage d’étude pour travailler ensemble dans une approche de co-développement. « Cette dimension est fondamentale », reconnaît Frédéric Loeper, associé au cabinet Accurency, séduit par la place laissée à l’ouverture et à l’échange entre pairs dans le cycle proposé par Catherine Blondel. Lors de sept rendez-vous répartis sur un an, une quinzaine de top managers venus de différents horizons écoutent un intervenant mais aussi et surtout échangent avec lui et avec les autres participants pendant toute une soirée sur des sujets aussi divers que leurs responsabilités, les formes contemporaines d’autorité ou les théories du genre. Les thèmes sont définis à l’avance par les membres du groupe en fonction de leurs centres d’intérêt et leurs préoccupations. « Ça va plus loin que de simples conférences. Il règne entre nous une grande liberté et une qualité de parole sans préjugé et sans aucune arrière-pensée car on n’est pas là pour faire des affaires, explique-t-il. Au fil des conférences, des liens se nouent et nous formons aujourd’hui une sorte de club où nous nous enrichissons mutuellement. Nous avons ainsi l’opportunité d’élargir notre réseau, mais aussi de lutter contre la solitude des dirigeants, qui reste le problème numéro un des top managers ». Dont acte.

Carrefour cocoone ses hauts potentiels

Depuis 2015, Carrefour propose à deux cohortes d’une vingtaine de salariés par an de suivre le programme Innobooster proposé par le cabinet Dedieuprojects, afin de préparer les hauts potentiels repérés par l’entreprise à prendre des postes de direction. « Nous souhaitions leur faire découvrir de nouveaux environnements pour alimenter leur réflexion sur le futur et la transformation des entreprises et profiter de la rencontre de participants venus d’horizons et de métiers différents pour mettre en place une dynamique », explique Raphaëlle Simiand-Perrin, responsable projets RH chez le distributeur. Le programme conçu sur mesure conduit, par exemple, les groupes des écoles de design au cœur de start-up actives dans le domaine des objets connectés. Les idées fusent, les échanges vont bon train jusqu’à la restitution des temps forts de ce voyage devant les membres du comex, lors de la dernière séance. Pas question pour autant de terminer ainsi cette plongée dans l’avenir… « Nous avons souhaité que les participants continuent à échanger entre eux et à alimenter leurs réflexions. Nous avons donc créé un « club » qui comprend aujourd’hui soixante-dix membres et qui fonctionne un peu comme un incubateur interne », poursuit la responsable. Les membres continuent toujours leur travail d’investigation en organisant un événement annuel et leurs propres expéditions. Des visites d’entrepôts, de sites d’e-commerce et de fermes innovantes ont récemment fait partie du programme.

Coaching et mentoring, l’autre façon d’apprendre !

Parallèlement aux programmes de formation haut de gamme, le coaching occupe une place de choix dans la formation des dirigeants. Si les deux modes d’approche sont complémentaires, elles sont très différentes. « En formation, nous sommes plus du côté de l’apport de contenu pour alimenter sa réflexion. Dans le cadre du coaching, nous faisons un travail individuel avec le dirigeant sur son modèle de leadership et nous l’aidons par une série de conseils à l’affirmer dans sa prise de fonctions », estime Catherine Blondel. Ces séances de coaching sont vraiment dans l’air du temps, car « aujourd’hui, les jeunes managers qui arrivent aux commandes n’ont pas toujours eu l’occasion d’acquérir la maturité de leurs prédécesseurs », remarque Hervé Borensztejn. Dernier venu dans la galaxie des dispositifs qui s’adressent aux top managers : le mentoring. Il consiste à se faire accompagner par un dirigeant plus expérimenté chargé de guider et de transmettre ce qu’il a appris. « On assiste aussi, et c’est nouveau, à la montée en puissance du reverse mentoring, un mentoring inversé, où la génération Y va épauler un dirigeant senior dans son apprentissage de la culture numérique », indique Ewa Brandt, d’Ipsos.

Auteur

  • Laurence Estival