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“L’entreprise est un objet politique”

Actu | Entretien | publié le : 07.06.2018 | Laurence Estival

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“L’entreprise est un objet politique”

Crédit photo Laurence Estival

Le P-DG de Veolia et président de l’Institut de l’entreprise se prononce en faveur d’une plus grande prise en compte des parties prenantes et de leur participation dans les conseils d’administrations. Des évolutions essentielles pour pérenniser les entreprises.

Lors de votre discours inaugural en tant que président de l’Institut de l’entreprise, vous expliquiez que vous souhaitiez « prendre à partie l’opinion, descendre dans l’arène pour débattre et combattre, preuve à l’appui. » Pourquoi ?

Je souhaite réconcilier les Français avec l’entreprise car quand on les interroge sur leur perception des entreprises, ils répondent majoritairement qu’elles sont au service des actionnaires et des patrons. Or c’est inexact. Depuis que le capitalisme existe, il a en effet apporté de la prospérité à la Nation. Ceci me semble oublié. C’est dangereux car à terme, cette vision faussée condamne l’existence des entreprises alors qu’elles ont un rôle d’intérêt général voire d’intérêt collectif en plus d’être la somme d’intérêts particuliers. La prospérité et la richesse doivent être réparties dans l’espace et le temps harmonieusement et équitablement. Mais rétablir la vérité ne se fait plus aujourd’hui à travers la seule production d’idées. Il faut s’engager, débattre, agir et apporter des preuves.

Comment expliquez-vous la méfiance des Français envers les entreprises ? Ne s’explique-t-elle pas par le sentiment que le partage de la valeur ajoutée n’est pas équitable ?

Les Français aiment bien les entreprises mais n’aiment pas les grandes. Or pour qu’une entreprise devienne grande, leurs dirigeants ont accepté d’y laisser une bonne partie des richesses créées pour investir et lui permettre de se développer. Les grandes entreprises, qui ont des moyens, traitent aussi très bien les salariés et tirent les plus petites entreprises au sein de chaînes de valeur qui permettent par exemple de conquérir de nouveaux marchés hors des frontières. Les grandes entreprises sont aussi plus anonymes et devraient à ce titre être considérées comme étant plus équitables car le capital est dispersé entre des dizaines de milliers de mains et donc il appartient de fait à celles-ci.

Face aux nombreuses critiques qui sont faites aux entreprises sur les destructions d’emploi en France, les créations d’emplois surtout à l’étranger ou sur la recherche unique de rentabilité pour satisfaire les actionnaires, que répondez-vous ?

D’abord, les grandes structures qui ne constituent que 0,2 % du nombre d’entreprises mais paient 34 % de l’impôt sur les sociétés et représentent 27 % des emplois privés en France. Rester par ailleurs sur l’idée que l’entreprise ne sert que les actionnaires, cela conduit le politique à dire qu’il doit s’occuper des autres parties prenantes et cela génère une incompréhension entre le monde politique et le monde économique.

Concrètement, à quoi pourrait ressembler ce cadre ?

C’est quoi une entreprise ? Pour moi, ce sont plusieurs personnes qui s’associent pour mettre dans un pot commun des idées, du capital, du travail, un lieu, une réponse à des besoins afin de créer un produit ou un service qu’elles ne pourraient pas faire seules. C’est un nœud de relations entre des parties prenantes qui y trouvent toutes un intérêt commun. Il faut donc veiller à ce que les intérêts de chacun puissent être servis. C’est ce qui n’est plus perçu aujourd’hui. Et si cette harmonie est brisée, l’entreprise sera de plus en plus contestée.

La création d’un statut particulier pour les entreprises à mission, proposé par le rapport Notat-Senard, est-elle de nature à recréer cette harmonie dont vous parlez ?

L’entreprise à mission est une belle idée et autoriser un nouveau type de statut ne peut pas faire de mal. Mais ce n’est pas suffisant car il faut irriguer tout le tissu économique. Le rapport Notat-Senard propose de mieux définir ce qu’est une entreprise en modifiant certains aspects de notre loi. En réalité, les entreprises s’intéressent déjà à leurs parties prenantes même si les Français ne le ressentent pas ainsi. Quelle entreprise ne s’occupe pas de ses clients, ne rencontre pas ses représentants du personnel ou les responsables du territoire sur lequel elle est implantée ? Modifier ces aspects de la loi est une manière d’inscrire cette réalité dans le droit et de donner à ce changement la valeur d’un symbole.

N’est-ce pas paradoxal que ce soit l’exécutif qui ait lancé le débat ?

C’est d’abord une question politique. Il faut permettre aux élus de mettre en scène la politique économique choisie par le peuple lors de la dernière élection. Et quand on choisit, comme l’a fait l’élection présidentielle, de privilégier l’économie de marché, alors il est normal de s’intéresser à ce qu’il faut mettre en œuvre pour que les éléments de la pérennité des entreprises existent et soient restaurés.

Que pensez-vous de la proposition du rapport Notat-Senard sur la possibilité de créer un comité des parties prenantes ?

Chez Veolia, nous l’avons déjà fait il y a quelques années et ceci permet d’éclairer utilement la démarche de l’entreprise.

Concrètement, que peut-on mettre à son actif ?

Quand nous avons proposé d’aider les industriels qui avaient des problèmes de pollution, le comité nous a dit de faire attention sur la manière de présenter nos services pour ne pas apparaître comme les complices des pollueurs. Autre exemple : Veolia a des activités d’exploitation de réseaux de chaleur dans des pays où ils sont alimentés par du charbon. Que devions-nous faire ? Ce comité nous a aidés à déterminer une solution responsable qui conduise à y substituer une source d’énergie moins polluante dans un délai raisonnable, permettant de pérenniser nos activités et les emplois.

Dans les parties prenantes, les salariés ont une place importante. Que pensez-vous du débat sur la participation plus forte des salariés dans les conseils d’administration qui fait aussi partie des propositions du rapport Notat-Senard ?

Cette participation existe déjà. Pour Veolia, cela a permis une meilleure compréhension entre les représentants des salariés et les administrateurs. C’est un bon moyen de trouver des solutions consensuelles.

Faut-il alors aller jusqu’à la cogestion ?

Non, car il n’y a pas que les actionnaires et les salariés dans une entreprise. La présence de ces derniers dans les conseils d’administration a certes permis une meilleure harmonie mais je ne suis pas sûr que la codétermination qui fonctionne en Allemagne fonctionne ici et on ne peut pas réduire les débats au capital et au travail. Il y a d’autres parties prenantes (clients, territoires, associations, générations futures, etc.). Un conseil d’administration idéal devrait pouvoir embrasser une large partie des intérêts impliqués dans l’entreprise. Les solutions retenues et les nécessaires arbitrages sont alors plus efficaces et profitent davantage à tous. L’entreprise est une richesse collective, c’est un trésor qui irrigue tout son écosystème.

Il y a en juillet changement de président au Medef. Le débat relancé sur le rôle de l’entreprise joue-t-il un rôle dans la campagne ?

Le président Gattaz a pris position mais il n’y a pas aujourd’hui de posture articulée chez les candidats qui vont sans doute devoir se positionner. Certaines entreprises brandissent le risque de judiciarisation. Ces craintes ne sont pas fondées si, comme le propose le rapport Senart-Notat-Senard, le conseil d’administration et lui seul définit la raison d’être de l’entreprise. Ce n’est pas au juge de le faire. Le conseil d’administration doit donc assumer sa responsabilité. Il y va de l’avenir de l’entreprise.

Antoine Frérot, P-DG de Veolia et président de l’Institut de l’entreprise

Polytechnicien, ingénieur du corps des Ponts et Chaussées et docteur de l’École nationale des ponts et chaussées, Antoine Frérot, rejoint, en 1990, la Compagnie générale des eaux comme chargé de mission. Nommé directeur général de Veolia Eau et directeur général adjoint de Veolia Environnement en 2003, il devient le P-DG du groupe en 2010 et assure depuis janvier 2017 la présidence de l’Institut de l’Entreprise, le think tank patronal rassemblant 120 grandes sociétés multinationales.

Auteur

  • Laurence Estival