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Fondations, un couteau suisse pour les entreprises vertueuses

Décodages | publié le : 07.06.2018 | Sophie Massieu

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Fondations, un couteau suisse pour les entreprises vertueuses

Crédit photo Sophie Massieu

Elles existent depuis une trentaine d’années, mais sont actuellement en pleine métamorphose. De plus en plus nombreuses, les fondations d’entreprise poursuivent aussi des objectifs toujours plus variés, à l’image des sociétés qui les portent, qui veulent se montrer socialement responsables. Le tout en impliquant le plus possible leurs collaborateurs dans leurs actions de mécénat.

Danseuse du président, outil de communication ou niche fiscale ? Les fondations d’entreprise n’ont pas toujours eu bonne presse. Aujourd’hui, les choses évoluent car le regard porté sur l’entreprise se modifie : « On attend d’elle qu’elle soit présente sur son territoire, qu’elle exerce une mission sociale, qu’elle se montre citoyenne. Bref, elle doit témoigner de sa responsabilité sociétale », observe Béatrice de Durfort, déléguée générale du Centre français des fondations (CFF). Dès lors, les fondations d’entreprise trouvent leur place au sein d’une stratégie philanthropique et « viennent en appui des réflexions sur la gouvernance et sur l’empreinte sociale et environnementale des sociétés. »

Ces outils de mise en œuvre de la RSE se multiplient presque comme des petits pains. Elles étaient 293 en 2011, on en comptait 400 en 2017. Pour autant, selon le CFF, seulement 14 % des entreprises font du mécénat, le plus souvent (pour les trois quarts d’entre elles) sans recourir à une structure ad hoc comme une fondation. Ce qui laisse une belle marge de croissance. Depuis 2 ou 3 ans, les observateurs notent des évolutions significatives. À l’image de Camille Marc, directrice du développement à l’Admical, une association qui promeut le mécénat d’entreprise en France : « Auparavant, précise-t-elle, la culture était, de loin, le principal domaine d’intervention des mécènes. Aujourd’hui, il y a un top 5 des champs d’action, qui se répartissent quasi équitablement : le social, la culture, l’éducation, le sport et la santé. Et les mécénats d’entreprise sont souvent croisés avec des projets mixant plusieurs domaines comme sport et handicap par exemple. »

Une plus grande visibilité des actions menées.

Cela vaut bien entendu au premier chef pour les fondations. Camille Marc pointe, parmi les motivations des entreprises qui en créent une, la sécurisation qu’elles offrent, et la sanctuarisation des budgets, qui les mettent à l’abri de tout renversement de conjoncture ou de changement de cap du dirigeant, ou du dirigeant lui-même. Une fondation reçoit en effet une dotation de départ, intangible, et est créée pour un mandat reconductible de 3 à 5 ans. Ses orientations ne peuvent, non plus, être remises en cause. Mais les entreprises ont aussi leurs motivations spécifiques. À commencer, explique Camille Marc, par la « visibilité et la lisibilité » des actions menées, à rebours d’un mécénat moins structuré, qui finance un projet ici et là, en fonction des coups de cœur et opportunités.

C’est cet objectif qu’a suivi le groupe Suez en créant sa fondation d’entreprise en janvier dernier, pour une durée de 5 ans. Elle rassemble les initiatives éparpillées qui préexistaient et s’inscrit dans la logique du regroupement, en 2015, sous la bannière du nom Suez, de toutes les activités du groupe. À entreprise unifiée, fondation identifiée. « C’est plus lisible. Quand on dit fondation Suez, tout le monde comprend », se félicite Myriam Bincaille, sa déléguée générale.

Dotée de 4 millions d’euros par an, elle poursuit trois objectifs : la lutte contre l’exclusion, l’insertion par l’emploi et la formation de personnes défavorisées en France, et la cohésion sociale par l’éducation, le sport et la culture. À chaque grand axe, des déclinaisons concrètes comme le développement de l’accès à des services essentiels tels que l’assainissement de l’eau, ou la gestion des déchets. « Tout ceci s’inscrit dans la feuille de développement durable du groupe mais nous veillons à maintenir une muraille de Chine entre notre business et notre mécénat, souligne Myriam Bincaille. Ainsi par exemple, la fondation n’intervient pas dans les grandes villes à l’étranger, là où nous faisons des affaires. »

Une implication croissante des collaborateurs.

La fondation Suez a choisi d’intervenir dans des domaines proches de ses métiers pour proposer aux collaborateurs du groupe d’offrir du mécénat de compétences. Cette volonté d’impliquer les parties prenantes, à commencer par les salariés, est un phénomène qui prend de l’ampleur, comme le précise Bénédicte Menanteau, cofondatrice de Upaya, cabinet de conseil en mécénat : « Il y a une tendance à la réconciliation avec l’entreprise, dont on pense qu’elle peut contribuer à transformer, au moins un peu, notre société. On commence à se dire qu’elle détient une part de l’intérêt général et dans le même temps, les collaborateurs réclament de donner plus de sens à leur travail. » Dès lors, si leur entreprise crée une fondation, ils s’impliquent. « On observe, ajoute Camille Marc, de l’Admical, que de plus en plus de directions des ressources humaines prennent une part active dans le pilotage des fondations. Précédemment, c’était plutôt les directions de la communication. »

Babilou compte parmi les fondations qui impliquent largement les collaborateurs. Avec un budget de 200 000 euros sur 5 ans, la jeune fondation, lancée en janvier dernier, est née d’un constat dressé lors de la concertation en interne qui a accompagné la rédaction du projet d’entreprise « grandir ensemble 2020 ». « Les collaborateurs veulent s’impliquer de manière plus forte dans le secteur de la petite enfance, ne pas se contenter d’accueillir les enfants mais devenir un acteur de l’évolution de la société », souligne Édouard Carle, président et cofondateur du groupe de crèches privées. Première étape, la fondation recense actuellement les nombreuses initiatives des diverses crèches qu’elle gère pour donner des priorités et bâtir son programme d’action. De la sensibilisation des petits à l’importance de la biodiversité ou au rôle des abeilles, à l’accueil des enfants de réfugiés et à la formation de leurs mamans aux métiers de la petite enfance, le spectre s’annonce large.

Un mécénat de plus en plus structuré.

Lancée en décembre dernier et dotée de 300 000 euros sur cinq ans, la fondation Bjorg bonne terre et citoyens se fixe pour objectif de développer une alimentation saine du champ à l’assiette et de sensibiliser à cet enjeu. Elle a été coconstruite avec les collaborateurs et elle soutient déjà quelques projets concrets, comme le réseau écolo crèche qui intervient dans les établissements d’accueil de la petite enfance pour éduquer les plus jeunes et leurs familles à de nouveaux modes d’alimentation. « La fondation est pour moi un écho à notre politique RSE, explique Émilie Lowenbach, responsable RSE de Bjorg et déléguée générale de la fondation. La RSE nous permet d’améliorer notre chaîne de valeurs en travaillant sur nos produits, ou nos processus de fabrication. La fondation porte tout cela, et le met un cran au-dessus, au niveau de l’intérêt général. RSE et fondation visent à l’amélioration de la société où l’on vit. »

Vaste programme, qui conduit les fondations à accompagner des projets de plus en plus transversaux. « Les problèmes sociaux sont généraux, observe Camille Marc, et les fondations s’y intéressent dans leur globalité. » Cela correspond à une volonté de plus en plus marquée des entreprises de renforcer toujours davantage leur impact sociétal et, donc, d’évaluer les résultats de leurs actions. C’est le choix par exemple de la coopérative Up, ex-Chèque déjeuner, qui a lancé, en novembre 2017, une fondation d’entreprise dotée de 1,25 million d’euros, pour structurer un mécénat préexistant, qui finançait de nombreux projets au coup par coup sans les évaluer ensuite. De 1999 à 2017, 900 projets avaient reçu les subsides de la coopérative qui avait investi 3 millions d’euros au total. « En créant la fondation, nous voulons changer de dimension, résume Thomas Delpech, son délégué général, en donnant aux populations invisibles accès à des choses essentielles que sont l’éducation et la culture, l’alimentation, le logement et la santé. » Les projets seront maintenant accompagnés de 3 à 5 ans.

Un ancrage territorial de plus en plus prégnant.

Autre évolution marquante, les fondations d’entreprise ont un ancrage territorial de plus en plus marqué. C’est le cas de la fondation Korian pour le bien vieillir, qui a vu le jour en septembre dernier et qui met sur la table un budget de 500 000 euros par an. La structure du groupe de maisons de retraite médicalisées, de soins et d’hospitalisation à domicile inscrit sa volonté d’agir localement dans l’un de ses axes de développement, en favorisant l’inclusion par la solidarité. Objectif : soutenir des actions sociétales innovantes, en particulier menées par des structures du secteur de l’économie sociale et solidaire, pour, à terme, inventer, par exemple, les Ehpad (Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de demain… L’entreprise familiale FM Logistic a aussi inscrit dans l’ADN de sa fondation, lancée l’an dernier pour marquer son 50e anniversaire, l’implication au plus près de ses entités, en France comme à l’étranger. Elle a donné deux piliers à sa fondation : l’insertion et l’enfance. Avec un but commun : « renforcer l’emprise sociétale », confie sa directrice générale, Marie-Laure Faure. Concrètement, la fondation, dotée d’un million d’euros pour les cinq prochaines années, permet l’accueil de jeunes au sein de ses diverses usines pour « leur apprendre à retrouver une vie normale, à aller travailler… ». 107 jeunes ont ainsi déjà bénéficié de cette intervention en France, au Brésil et en Pologne, trois des quatorze pays où la société de supply chain (gestion de la logistique, interface entre les industriels et les consommateurs) est présente. « Nous tenons à ce que nos plateformes vivent dans leur environnement donc pour nous, l’ancrage territorial est capital. » Un excellent moyen, aussi, de percevoir, le plus directement possible, l’impact des actions menées et les transformations sociales initiées ou accompagnées…

Le cadre juridique

C’est la loi du 4 juillet 1990 qui a créé le statut de la fondation. Il en fait un programme d’action pluriannuel fixé pour au moins 5 ans, qui peut être prorogé pour 3 ans. Mais le texte législatif de référence reste la loi du 1er août 2003, dite loi Aillagon, relative au mécénat, aux associations et aux fondations. Elle permet aux entreprises, à concurrence de 60 % et aux particuliers, à hauteur de 66 %, de déduire les sommes versées à des œuvres philanthropiques de leurs impôts, sous certaines conditions : exercer, sauf exception, leur activité en France, avoir un caractère non lucratif, traiter d’au moins une thématique reconnue d’intérêt général (Article 238 bis et 200 du Code général des impôts).

Auteur

  • Sophie Massieu