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Quand la QVT devient un business

Dossier | publié le : 07.06.2018 | Muriel Jaouen

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Quand la QVT devient un business

Crédit photo Muriel Jaouen

S’il fait écho à de réels enjeux sociaux, le bien-être au travail a également généré un marché où prolifèrent des acteurs et des offres très divers. Pour une rentabilité à géométrie variable.

Depuis quelques années, bien-être et qualité de vie au travail ont généré une floraison d’offres hétéroclites, de la certification la plus officielle jusqu’aux gadgets technologiques, en passant par un périmètre très élargi de prestations de conseil et d’accompagnement.

La tentation du one shot

Combien pèse ce business ? L’hétérogénéité de l’offre, l’élasticité de son périmètre, mais surtout la jeunesse de la plupart des acteurs en présence rendent vaine toute tentative de chiffrage. Ce n’est en tout cas pas nécessairement sur le versant le plus foisonnant du marché que fleurissent les initiatives les plus lucratives. Réseaux sociaux, applications mobiles dans les champs du sport ou de la diététique, sophrologie, méditation… On ne compte plus les start-up qui convoitent cette nouvelle manne.

Combien seront encore là dans un an ? « La demande n’est pas encore mature. Les entreprises envisagent bien souvent la qualité de vie au travail dans une logique de one shot », commente Gabrielle de Valmont, co-fondatrice de Nap& Up, une start-up créée il y a un an pour sensibiliser les organisations du travail aux vertus de la sieste.

Sur ce marché d’offre beaucoup plus que de demande, les entrepreneurs doivent être capables de multiplier les arguments commerciaux. « Pour convaincre les entreprises, il faut sans cesse innover, diversifier et adapter la palette de services », souligne Anne-Charlotte Vuccino. En 2015, cette ancienne consultante en stratégie a créé Yogist, une méthode d’apprentissage et de pratique du Yoga au bureau. En l’espace de trois ans, la start-up a réussi à mettre un pied dans de grandes entreprises en multipliant les packages commerciaux : ateliers-découverte de 90 minutes facturés de 500 à 700 euros pour 10 à 20 personnes, forfaits semestriels à 6 000 euros, plateforme e-learning donnant accès à 15 tutoriels de 5 minutes à raison de 10 euros par mois et par salarié…

Mais le marché ne se développera que si la demande se structure. C’est tout l’objet des outils de diagnostic créés pour prendre le pouls de la situation au sein des entreprises. En 2013, la Fabrique Spinoza, un think tank dédié au « bonheur citoyen », a ainsi recensé pas moins d’une quinzaine d’instruments de mesure du bien-être au travail. Développés par des sociétés comme Mars-lab, o2j, Malakoff-Médéric, BeBetter& Co, ces dispositifs reposent sur des méthodologies diverses, pour des objectifs et des visées opérationnelles très variables. Et des tarifs extrêmement élastiques : de 500 à 400 000 euros selon La fabrique Spinoza.

Diagnostic, action, évaluation

« La plupart des solutions de mesure du bien-être sont polarisées sur une seule dimension (stress, santé, sécurité, climat social…). Or, la qualité de vie au travail appelle une lecture décloisonnée », affirme Samuel Dewavrin, co-fondateur en 2014 de Wittyfit, une méthode d’audit en temps réel et en continu développée en collaboration avec le Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand.

Déployé dans une vingtaine d’entreprises (Thalès, Icade, Botanic), le dispositif s’appuie sur une plateforme digitale en mode Saas (software as a service), à laquelle les salariés peuvent se connecter à tout moment pour indiquer en quelques clics leur niveau de bien-être physique (sommeil, nutrition, activité physique…), psychologique (stress, moral…) et la manière dont ils se sentent dans l’entreprise (niveau de reconnaissance, ambiance de travail…). « Si un salarié répond qu’il ne va pas bien sur tel ou tel item, il lui est automatiquement demandé ce qu’il souhaiterait voir fait pour améliorer la situation. Les résultats, anonymes, sont consolidés et restitués à chaque manager, qui prend la main pour engager des actions qui seront ensuite soumises à évaluation », explique Samuel Dewavrin.

Parmi tous les dispositifs de mesure disponibles sur le marché, rares sont ceux qui intègrent ainsi à la fois le diagnostic, l’action et l’évaluation. « Un audit fiable doit reposer sur des données objectives », soutient Victor Waknine, président de Mozart Consulting et créateur en 2009 de l’Indice de bien-être au travail, un système de mesure du bien-être au travail défini à partir des données de gestion sociale des entreprises. Outil statistique (basé sur des indicateurs dont la valeur prédictive sur la marge des entreprises est démontrée), l’indice permet également un benchmark sectoriel par le croisement de données officielles et des millions d’informations sociales collectées depuis neuf ans par le référentiel de Mozart Consulting. Tout cela se paie : autour de 45 000 euros pour une trentaine d’indicateurs sur une base de 2 000 salariés.

Il faut dire que, pour les entreprises, le bien-être est aussi un puissant levier de valorisation. D’où l’engouement pour les classements. Créé en 1992 aux États-Unis, importé en France en 2002, présent dans 60 pays, Great Place to Work vise à labéliser les meilleures entreprises où il fait bon travailler. Le classement est établi à partir d’un questionnaire de 64 items destiné aux collaborateurs de l’entreprise et d’un audit visant à évaluer la qualité et la diversité des pratiques managériales en œuvre.

« L’édition 2018 a enregistré 244 candidatures pour 79 lauréats répondant in fine aux critères de sélection », affirme Patrick Dumoulin, directeur général de Great Place To Work France. Les structures de moins de 300 salariés déboursent 5 400 euros par an pour payer l’enquête et l’audit, 10 900 euros si elles veulent disposer d’une analyse détaillée et d’une présentation devant le staff de direction. Au-delà d’un effectif de 300, compter un euro supplémentaire par salarié. Une coquette somme tout de même pour les récidivistes de longue date à l’instar de Leroy Merlin, qui emploie plus de 20 000 personnes et en est à sa quatorzième année de labellisation.

La qualité de vie au travail s’invite partout. Dernière tendance : certifier les bâtiments et environnements tertiaires. Délivrée depuis les États-Unis par le Green Business Certification Inc., la norme Well Building Standard vient pour la première fois en France d’être remise à un bâtiment du promoteur HRO. « Une démarche lourde, longue et coûteuse », lâche Virginie Scaglia, en charge des certifications environnementales et de bien être chez HRO. En mars 2018, le français Certivéa a également lancé son label, OsmoZ, qui s’appuie sur une démarche transversale visant les politiques RH, l’aménagement intérieur et la qualité du bâtiment. Coût : « 4 000 à 12 000 euros selon la taille du site pour une labellisation d’un an, 6 000 à 18 000 euros pour un cycle de trois ans », précise Patrick Nossent, président de Certivéa.

La bataille de la crédibilité

« Les entreprises sont friandes de reconnaissance. D’où leur appétit grandissant pour les labels, les certificats, les normes », résume Benoit Montet, directeur France du Top Employers Institute, le pionnier des organismes de certification RH, créé en 1972 aux Pays-Bas. Le certificat Top Employers est aujourd’hui décliné dans plus de 100 pays. En 2017, 78 sociétés en France ont été certifiées. Renouvelable tous les ans, la mention Top Employer ne peut être octroyée sur une première année, la période minimale d’accréditation pour bénéficier du label étant de trois ans. Tarif : un peu plus de 15 000 euros par an.

Contrairement à The Great Place to Work, l’accréditation Top Employeur repose sur un audit confié à un cabinet indépendant, en l’occurrence Grant Thornton. Pour les sociétés spécialisées dans la labélisation, il s’agit aussi, dans la multitude de labels basés sur la perception, de faire valoir la crédibilité de leur méthodologie. Un terrain sur lequel l’Afnor dispose d’un réel atout. En 2015, l’Afnor a produit ses deux premières certifications de personnes sur le champ de la QVT : la « Certification consultant évaluateur de démarches santé et qualité de vie au travail » et la « Certification chef de projet santé et qualité de vie au travail ». Pourquoi certifier des personnes et pas des entreprises ? « Le registre de la QVT est déjà couvert par la norme internationale ISO 26000 portant sur la RSE et qui inclut un important volet RH », justifie Séverine Michaut, responsable du pôle certification de personnes. Coût de ces deux estampilles Afnor : 2 000 euros (formation et certification) pour le chef de projet, 3 000 euros pour le consultant. À ce jour, 60 consultants et 15 chefs de projets ont été certifiés.

Auteur

  • Muriel Jaouen