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Fonctionnaires : le big bang de la réforme territoriale

Liaisons Sociales Magazine, N° 155 | Accord | publié le : 30.09.2014 |

Derrière la nouvelle carte des régions et des pouvoirs locaux se jouent de multiples réorganisations. Un bouleversement pour les agents publics qui, économies obligent, ont des craintes sur les contenus de postes, les conditions de travail et les mobilités.

Revoilà la réforme si décriée du mille-feuille territorial ! En ­octobre, les sénateurs vont replonger dans le projet de loi redessinant la carte simplifiée des régions (13 au lieu de 22), à moins que le gouvernement choisisse la procédure d’urgence pour tenir le calendrier et éviter qu’une deuxième lecture ne pâtisse d’une grogne des élus, renforcée par la probable bascule à droite du Sénat. Les parlementaires ont déjà un programme fourni avec l’étude du second volet de la réforme qui doit redistribuer les pouvoirs et renforcer, au détriment des conseils généraux, les compétences de ces 13 superrégions et d’in­tercommunalités également agrandies. Celles-ci devront regrouper a minima 20 000 habitants, contre 5 000 aujourd’hui. Avec les 13 métropoles créées en janvier, voilà les piliers de la future architecture territoriale. De quoi perturber les 1,8 million d’agents publics territoriaux !


Cadres des fonctions support en région ou secrétaires de petite commune, certains sont déjà promis à des réorganisations et mutualisations de services avec les fusions et regroupements attendus, en janvier 2016 pour les régions et 2017 pour les intercommunalités. Pour beaucoup d’autres, l’identité de leur futur employeur sortira de la bataille sur le périmètre des compétences des différentes collectivités, qui déterminera les transferts d’effectifs. Elle sera ardue. Car les conseils généraux – dont la disparition était programmée en 2020 et qui ont déjà sauvé la tête des plus ruraux d’entre eux – refusent de lâcher les transports scolaires dévolus aux régions.
 

Mobilité forcée. Désireux de renforcer les garanties des fonctionnaires transférés, les syndicats peaufinent leurs amendements. Certes les agents sont protégés dans leurs emploi, statut et carrière (ancienneté et avancement) et ne perdront ni leur régime indemnitaire ni leur protection sociale complémentaire s’ils en bénéficiaient ! Mais la CGT et la CFDT revendiquent une obligation de négociation locale avant toute réorganisation, renforçant la logique de la loi de 2010 sur la rénovation du dialogue social dans la fonction publique. « Mi-2011, une circulaire a précisé comment s’y prendre. Mais toutes les collectivités n’en ont pas fait leur livre de chevet, estime Claire Le Calonnec, de la CFDT Interco. C’est une culture à développer. Car, en matière de dialogue, on rencontre le meilleur comme le pire dans les 43 600 col­lecti­vités. » « Quand les réorganisations sont présentées en comité technique ou en CHSCT, tout est arrêté. Impossible de ­négocier les conditions de travail ! Or, dans les transferts, les agents n’ont pas de garantie de conserver le même contenu de poste », renchérit la CGT, qui pointe les risques liés aux mobilités forcées.


Et il y a tous les avantages, temps de travail en tête, susceptibles d’être revus à la baisse lors d’un changement d’employeur. « Quand on gagne 1 300 euros net par mois, comme la majorité des agents, tout changement de lieu de travail ou des conditions d’emploi peut vite faire basculer des équilibres de vie », souligne Bruno Collignon, président de la Fédération ­autonome de la fonction publique ­territoriale qui réclame un « socle commun de garanties sociales ».


Autant de propositions qui n’ont pu être soumises, au printemps, au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, instance consultative réunissant État, employeurs et syndicats. Vent debout contre une réforme précipitée, la CGT, FO, l’Unsa et la CFTC ont pratiqué la politique de la chaise vide. Du jamais-vu ! « Les dispositions concernant les personnels avaient déjà été débattues il y a un an, quand le gouvernement avait envisagé la décentralisation en un seul projet de loi avant de décider de la présenter en trois textes », minimise la CFDT. Les élections professionnelles du 4 décembre ne sont certainement pas pour rien dans le coup de chaud syndical. Reste qu’en six mois le tour de vis budgétaire est patent, du prolongement jusqu’en 2017 du gel du point d’indice (qui sert de base au calcul des salaires) jusqu’à la réduction des dotations de l’État aux collectivités locales, de 11 milliards d’euros pour 2015-2017, soit 3,7 milliards dès l’an prochain (la dotation de l’État était de 40,1 milliards en 2014).
 

Logique budgétaire. Incontesta­blement, la plus jeune des fonctions publiques – née en 1984, avec les lois de décentralisation – et la plus dispendieuse est dans le collimateur : des trois fonctions ­publiques, elle est la seule à enregistrer depuis dix ans une hausse continue de ses ­effectifs, stabi­lisée en 2011, et de sa masse salariale. Des dérives poin­tées, mi-juin, par la Cour des comptes, qui préconise le non-remplacement d’un départ sur trois à la retraite et la hausse de la durée effective du travail, jugée « fréquemment inférieure à la durée réglementaire ». À leur décharge, les collectivités n’ont les mains qu’à moitié libres. C’est à Paris que se sont décidés les emplois d’avenir, la réforme des rythmes scolaires ou la revalorisation au 1er janvier de la grille des catégories C, qui leur rapportera, en moyenne, 440 euros net par an !


Mais la feuille de route est tracée : du big bang territorial, le gouvernement attend aussi de grosses économies, par la suppression des doublons et la rationalisation des interventions. « Entre 12 et 25 milliards à moyen terme », selon André Vallini, le secrétaire d’État chargé de la réforme. L’équivalent de 5 à 10 % du budget des collectivités ! Des chiffres qui suscitent une bronca parmi toutes les associations d’élus. Car les mutualisations de services ne dégageront pas d’économies à moyen terme.


Les créations d’« interco » se sont toujours accompagnées d’une harmonisation par le haut des régimes (temps de travail, jours de congé, etc.) des agents regroupés. Une « tradition » – comme l’a admis André Vallini – aujourd’hui sur la sellette ? « Nous vivons un changement d’époque, reconnaît un DRH d’une collectivité francilienne. Pendant longtemps on n’a pas regardé la masse salariale. Depuis peu, on tente de la maîtriser. Aujourd’hui, les élus savent qu’il faudra la réduire, même s’ils ne l’avouent pas. » De quoi augurer pour les syndicats de difficiles arbitrages, dans les regroupements, entre maintien de l’emploi et harmonisation des avantages acquis.
 

Auteur : Anne Fairise