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Le grand entretien

« Que fait-on des gens qui sont moins intelligents que l’ia ? »

Le grand entretien | publié le : 17.09.2018 | Lys Zohin

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« Que fait-on des gens qui sont moins intelligents que l’ia ? »

Crédit photo Lys Zohin

Laurent Alexandre a marqué les esprits avec son livre à succès La Guerre des intelligences, où il anticipe la révolution sociale, économique et sociétale que représente l’intelligence artificielle qui pose rien moins que la question de la place de l’Homme dans la société. Entretien.

Lorsqu’on parle de l’avenir du travail, ne faut-il pas parler de concept même de travail qui change ?

L’avènement de l’intelligence artificielle (IA) entraîne des conséquences majeures pour le travail, du fait que le coût de distribution du travail intellectuel tombe à zéro et que la valeur même de l’intelligence baisse. Autant d’éléments tout à fait révolutionnaires. Non seulement l’IA est très peu coûteuse, mais en plus, elle est « scalable » et ce, beaucoup plus, pour l’instant, que la robotique. La robotique coûte extrêmement cher et, de ce fait, n’est pas encore généralisable en dehors des usines. Nous sommes donc dans une phase de défi pour les travailleurs intellectuels. D’autant qu’un système doté d’une intelligence artificielle se met à jour en continu, ce qui n’est pas le cas pour un robot. Il y a donc un choc pour les professions intellectuelles et les manageurs.

Que pensez-vous du déplacement de postes, certains étant détruits, d’autres étant créés ?

Deux problèmes ici : le déplacement se traduit par des perdants et des gagnants. Déjà, en 1900, les maréchaux ferrants ont perdu et les garagistes ont gagné. En outre, il y a une particularité nouvelle avec l’IA : elle remplace des gens pas très « doués », disons, par des gens qui le sont beaucoup plus. Ce qui cause donc un problème d’inégalités. Pour intégrer, organiser, porter et manager l’intelligence artificielle, il faut plutôt être intelligent. Quand l’IA remplace un bac moins trois par un ingénieur, on a une transformation de la structure d’emploi qui se fait au détriment des gens les moins doués. On voit déjà très bien, en particulier dans les pays riches, que les gens peu ou pas diplômés ont une baisse de leur pouvoir d’achat, sans parler d’une baisse de leur espérance de vie, notamment aux États-Unis et en Angleterre. Nous avons donc un problème social qui n’est pas qu’un simple problème d’adaptation comme nous l’avons connu dans le passé. Dans la situation actuelle, l’hypothèse la plus sérieuse, c’est qu’on ait moins besoin de gens peu intelligents à l’avenir. De fait, dans une économie de la connaissance, on a, par définition, besoin de plus en plus de gens intelligents.

Comment gérer ce défi sociétal ?

L’explosion des inégalités est déjà en cours, même en Europe. Les gens intelligents ont un avantage structurel par rapport aux gens moins doués, le tout entraînant des inégalités que les outils traditionnels, comme la fiscalité, ne savent pas régler. Contrairement à la vision bien-pensante en la matière, l’éducation et la formation sont des technologies qui marchent extrêmement mal. Et il n’existe, à l’heure actuelle, aucune technologie sur terre pour réduire les inégalités intellectuelles. Aucune ! Ni l’école, ni la formation professionnelle ne savent le faire. Elles savent apporter des connaissances et aider les gens à structurer leurs connaissances, mais en aucun cas réduire les inégalités intellectuelles. Il n’y a pas d’études au monde qui montrent que l’école peut améliorer le quotient intellectuel… Et l’État providence, depuis le siècle dernier, sait prendre l’argent là où il est pour soigner les enfants pauvres, par exemple, mais en ce XXIe siècle, il n’existe pas de technologie, pas d’outils, pour prendre des points de QI à des data scientists et les donner à d’autres ! Si les transferts sociaux fonctionnaient auparavant, nous avons aujourd’hui une question sociale nouvelle, et nous ne savons pas y répondre… Il n’existe pas de technologie pour opérer ces nouveaux transferts nécessaires. C’est une terrible réalité.

Comment, dans ces conditions, se préparer à cette transition ?

Premièrement, il faut sortir du discours bienveillant généralisé qui implique que, grâce à l’école et à la formation, nous allons régler le problème. Il faut analyser correctement le problème et comprendre que l’école et la formation, sous leur forme actuelle, sont incapables de régler le problème. Deuxièmement, il faut investir dans la recherche sur l’éducation, les neurosciences, le cerveau, pour trouver les moyens d’améliorer l’intelligence des gens qui n’en sont pas assez dotés. Certes, ce n’est pas politiquement correct de dire cela, ce n’est pas le paradigme politique traditionnel, qui veut qu’il n’y ait que des inégalités sociales, pas d’inégalités intellectuelles, et que les inégalités sociales ne découlent en aucun cas d’inégalités intellectuelles. Or les inégalités intellectuelles sont très fortement génétiques, hélas ! Dans une décennie comme la nôtre, qui est 100 % génétique, on a trouvé comment casser le déterminisme génétique pour combattre la leucémie, par exemple, mais on n’a pas trouvé comment briser le déterminisme génétique de l’intelligence. Cela suppose des investissements en recherche considérables. Et si les élites pouvaient se sentir concernées par la maladie parce que leurs enfants pouvaient être leucémiques, elles se moquent du déficit d’intelligence, puisque leurs enfants n’en souffrent pas ! Les élites sont dans une situation très confortable, et elles ne voient pas l’intérêt de rendre intelligents des gens qu’elles ne connaissent pas, qu’elles ne fréquentent pas, qui ne sont rien pour elles… Cette attitude retarde la prise de conscience, même si on connaît les chiffres sur les 25 % de la population française incapable de se servir d’Internet ou sur les 35 % d’enfants qui quittent le système scolaire sans comprendre un texte écrit. Ainsi, selon des études, la différence, en matière de capacité de lecture, est à 64 % génétique. C’est énorme ! Et on ne va pas changer fondamentalement le patrimoine génétique en un claquement de doigt. L’école peut améliorer un peu les choses, certes, et même capter les gens intelligents, quelle que soit leur famille, de même que l’entreprise – mais en fait, l’école profite plus aux QI élevés qu’aux QI bas. L’ironie, c’est donc qu’en mettant plus d’argent dans l’école actuelle, on favorise les inégalités intellectuelles !

Quelle est votre une vision de l’avenir ? Utopique ou dystopique ?

Tout dépend de ce qu’on fera de la technologie. Quant à la politique sociale, la seule possible, au XXIe siècle, c’est celle qui augmentera le QI de ceux qui ont de faibles capacités. La question fondamentale est donc, en 2050 : que fait-on des gens qui sont moins intelligents que l’intelligence artificielle ? Et si je vois une énorme synergie entre des gens intelligents, innovants et l’IA, j’en vois beaucoup moins avec des gens moins intelligents. Mais on va trouver, à l’image, peut-être, de Neuralink, la société d’Elon Musk, dont la mission est d’implanter dans le cerveau humain des microprocesseurs pour augmenter les capacités intellectuelles, ou des technologies éducatives pour faire de même. Sans cela, nous pourrions avoir une révolution, sanglante. Mais je préfère faire le pari que les élites vont prendre conscience des enjeux de l’intelligence dans un proche avenir…

Parcours

Laurent Alexandre a étudié à Sciences-Po, un MBA à HEC, puis l’ENA. Il est également médecin et chirurgien urologue. En 1999, il cofonde, avec Claude Malhuret, qui a occupé entre autres le poste de secrétaire d’Etat en charge des Droits humains dans le gouvernement Chirac (1986-1988), le site de santé Doctissimo.

En 2008, le site est racheté par le Groupe Lagardère.

En 2010, Laurent Alexandre rachète DNAVision, une société belge de séquençage d’ADN.

En 2013, Laurent Alexandre rachète 28 % du capital de La Tribune au groupe Hi Media.

Enfin, il est l’auteur de plusieurs livres, dont La Guerre des Intelligences – intelligence artificielle versus intelligence humaine (JC Lattès, 2017).

Auteur

  • Lys Zohin