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Trois questions à Laila Abdallah, secrétaire internationale de saco1 : « L’État doit laisser les partenaires sociaux prendre leurs responsabilités »

Le point sur | publié le : 15.10.2018 | L. Z.

En quoi la Suède diffère-t-elle de la France en matière de dialogue social ?

La Suède n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui ! Au 19e siècle, le pays était en proie à de nombreux conflits sociaux, parfois violents. Puis, employeurs et employés ont décidé de forger un système fondé sur le consensus. Par ailleurs, nous n’avons pas de salaire minimum en Suède. Du coup, cette absence permet aux partenaires sociaux, et principalement les syndicats, d’obtenir des salaires supérieurs. Enfin, nos négociations collectives impliquent des accords sur deux ou trois ans. Pendant cette période, chaque partie s’engage à les respecter, et pour les syndicats, l’engagement est de ne pas faire grève. Et dernière chose, comme en Allemagne, les négociations de branches donnent le ton pour de nombreux secteurs, avec, dans l’industrie, IF Metal, l’équivalent l’IG Metal. Dans le contexte de transformation du travail actuel, notre but, à SACO, est de fournir pour la Suède un cadre, qui, au-delà de la réglementation adoptée par l’État, soit plus flexible et fondé sur la négociation collective. Par ailleurs, SACO est aussi une association professionnelle, en plus d’être un syndicat. Nous mettons l’accent sur le développement professionnel. C’est une tradition en Suède, et la plupart des professions fonctionnent de cette façon. Et du fait que, chez nous, 80 % environ des employeurs font partie d’un syndicat, il est important que les salariés fassent de même, afin de peser dans les négociations collectives.

Pouvez-vous donner quelques exemples d’avancées ?

Je pense par exemple à un accord, vieux de 20 ou 25 ans, et portant sur ce qu’on appelle ici la « conversion », autrement dit, la transition d’un métier à un autre. L’accord, signé par tous les partenaires sociaux, a eu pour but de financer un fonds spécial visant à aider les salariés à changer de métier. L’État n’y participe pas. D’ailleurs, cet accord a été scellé lors de négociations collectives, pas à travers une initiative de l’État. Conséquence, le système est plus flexible. Et ce sont les employeurs et les employés qui financent ce fonds dont la charge est d’accompagner par de la formation le parcours du salarié. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous n’avons pas de problème d’inadéquation entre compétences et postes à pourvoir, comme en France ! Cela dit, le taux de chômage s’affiche à 5,9 % (chiffre de février 2018) et celui des cols blancs est encore plus bas… Autre exemple, dans la tech, les conditions qui ont été négociées sont particulièrement flexibles, les salariés pouvant décider des horaires qu’ils souhaitent faire, et mettre sur un compte des heures supplémentaires, pour être payés en heures supplémentaires ou profiter de jours de congé. En outre, l’accord dans la branche de la tech donne le ton pour d’autres négociations, qui profitent des mêmes conditions concernant les horaires de travail. Enfin, en ce qui concerne le congé parental, fixé par la législation à 480 jours maximum, si l’État suédois verse 80 % du salaire du parent en congé pendant 380 jours, les entreprises, grâce à des négociations collectives, offrent 10 % supplémentaires.

Que devrait faire la France, à votre avis, pour améliorer le dialogue social ?

Je ne me permettrais pas de donner des conseils, mais il me semble que si la Suède a su faire évoluer ses traditions, pour passer d’un contexte très conflictuel à un système plus formel et plus apaisé, la France peut elle aussi en faire autant. Il est important que le président Macron soutienne et renforce les partenaires sociaux tout en modifiant les conditions du marché du travail. L’État, s’il doit évidemment donner le cadre légal, doit aussi laisser les partenaires sociaux prendre toutes leurs responsabilités. Il est important de noter que l’État suédois joue un rôle indépendant s’il y a un conflit ou non dans le dialogue social. Ce rôle est de donner la responsabilité aux partenaires sociaux de décider des conditions dans le marché du travail et d’une politique sociale supplémentaire. L’institut de la médiation établi par les autorités en Suède sert non seulement de médiateur mais aussi de think tank offrant des informations sur les salaires, l’égalité entre femmes et hommes, etc. En outre, l’État suédois estime qu’il est nécessaire d’avoir un taux de syndicalisation élevé, pour que les partenaires sociaux soient réellement représentatifs. Et il subventionne les salariés pour qu’ils puissent payer leur affiliation. Enfin, un changement de culture en matière de dialogue social prend du temps et doit s’accompagner d’un accroissement de la syndicalisation et de la représentativité, sans oublier le respect, de part et d’autre, bien sûr.

(1) Sveriges akademikers centralorganisation, syndicat suédois des professions intellectuelles.

Auteur

  • L. Z.