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Le grand entretien

« La qualification des intérimaires une priorité pour la branche »

Le grand entretien | publié le : 03.12.2018 | Benjamin D’Alguerre

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« La qualification des intérimaires une priorité pour la branche »

Crédit photo Benjamin D’Alguerre

La création d’emplois pérennes et le développement des qualifications des intérimaires constituent deux évolutions majeures de la branche du travail temporaire. Mais la réforme de la formation qui entrera en vigueur le 1er janvier 2019 risque de bouleverser l’écosystème financier d’un secteur qui misait davantage sur la professionnalisation que sur l’apprentissage pour la montée en compétences des salariés.

Quelle est la situation du marché de l’intérim en cette fin d’année 2018 ?

Il connaît actuellement un très léger fléchissement. En septembre dernier, nous constations une diminution du recours au travail temporaire de 1,7 % par rapport à l’an passé. Le troisième trimestre 2018 affiche pour sa part une stagnation (0 %). Pour autant, certains secteurs restent utilisateurs d’intérimaires comme le BTP (+ 6,4 %) ou les services (+ 6,2 %). La baisse s’observe en revanche dans le commerce (– 1,1 %), les transports (– 3,1 %) et surtout l’industrie (– 5,8 %). Cela ne nous surprend pas vraiment : grâce au retour de la croissance économique, l’intérim a connu une hausse continue depuis quarante-cinq mois et se situe désormais à un niveau historiquement élevé. Aujourd’hui, la croissance favorise depuis un an environ la création d’emplois pérennes en CDI. Selon les chiffres de l’Acoss, la création de CDI enregistre une croissance de 10 % depuis 2017. Le discours traditionnel selon lequel l’intérim permet à un certain nombre de personnes d’accéder au marché du travail en période de reprise est donc confirmé. Au total, depuis 2015, le secteur du travail temporaire a contribué à une part importante de la création d’emplois en France. Selon les derniers chiffres, 50 000 équivalents temps plein (ETP) ont été créés par l’intérim en 2015 et 90 000 l’année suivante.

Mais s’agit-il d’emploi réellement durable ?

Oui, si l’on regarde, par exemple, l’évolution du CDI intérimaire (CDII) dans notre secteur1 qui a vraiment décollé depuis son intégration dans la loi Rebsamen sur le dialogue social et l’emploi du 8 août 2015. En 2013, la branche tablait sur un objectif de 20 000 en trois ans, il a été atteint dès l’été 2017. Aujourd’hui, nous comptons environ 43 000 CDII. La loi Rebsamen a d’ailleurs amélioré ce dispositif, notamment en supprimant le délai de carence obligatoire entre deux contrats dans la même entreprise ou en portant la durée du contrat à 36 mois au lieu de 24 comme le fixait l’accord de branche. Le retour des salariés intérimaires eux-mêmes sur le CDII est d’ailleurs très positif puisqu’ils sont 77 % à s’en déclarer satisfaits malgré la disparition de l’indemnité de fin de mission (égale à 10 % du salaire) qui accompagnait les fins de CDD avant 2014 et la mise en place de ce contrat spécifique.

On pourrait objecter que les intérimaires gagnent en sécurité de l’emploi ce qu’ils perdent en rémunération.

Non, justement ! L’indemnité de fin de contrat ne revient pas dans la poche des employeurs puisque son produit – complété par une contribution de 0,5 % de la masse salariale intérimaire – vient essentiellement alimenter un fonds de sécurisation des parcours intérimaires (FSPI) utilisé par le Faf TT, l’Opca de la branche, pour financer des actions de formation à destination des travailleurs temporaires, en particulier en CDII. En 2017, 85 millions d’euros ont été ainsi collectés et ont permis de financer la formation de 64 000 ETP intérimaires. Nous avons fait de l’amélioration de l’employabilité de ces salariés l’une de nos priorités puisque, pour l’essentiel, il s’agit de publics fragiles, disposant d’un faible niveau de qualification initiale et donc plus exposés que d’autres aux risques du chômage. On les retrouve ainsi souvent sur des postes d’agents de manutention, de caristes, de préparateurs de commandes, ou d’ouvriers non qualifiés de l’industrie, par exemple. 38 % des salariés en CDII interrogés par l’Observatoire de l’intérim et du recrutement déclarent avoir bénéficié d’au moins une action de formation pendant leur CDII (45 % pour les CDII de plus d’un an) dont 23 % d’une seule action de formation et 15 % de deux ou plus. Les intérimaires partagent un fort sentiment d’utilité de la formation suivie pour leur parcours (90 % jugent la formation plutôt utile ou très utile, dont 59 % très utile).

Quelle est la politique de la branche en termes de développement de la formation et des qualifications au sein de la branche de l’intérim ?

Le développement de la qualification des intérimaires a toujours fait partie des grandes préoccupations des partenaires sociaux de la branche. C’est pourquoi plusieurs dispositifs de contributions conventionnelles ou supplémentaires ont été ajoutés aux obligations légales. Aujourd’hui, le taux de contributions moyen des entreprises de la branche au Faf TT s’élève au total à 2,65 % de leur masse salariale. Parmi elles, une contribution spécifique (0,25 % de la masse salariale) vient également alimenter un autre fonds géré paritairement, le Fonds professionnel pour l’insertion dans l’emploi temporaire (FPE-TT) spécifiquement dédié aux innovations en matière de formation et d’insertion. Au total, le Faf TT collecte annuellement 450 millions d’euros, dont le FSPI, 85 millions et le FPE-TT, 45 millions. Évidemment, présenter ces différents fonds dont la vocation est proche est toujours un peu compliqué. Peut-être la réforme de la formation actuelle nous permettra-t-elle de simplifier un peu le système si nos partenaires syndicaux le jugent également utile.

Comment votre secteur va-t-il s’adapter à cette réforme qui vient transformer en profondeur l’actuel système de collecte-répartition des fonds de la formation ?

C’est évidemment un point de vigilance. Notamment parce que la réforme modifie considérablement la répartition des contributions des entreprises entre les différents dispositifs. Aujourd’hui, elles s’élèvent à 1,3 % pour la contribution légale de la branche, à laquelle il faut ajouter une obligation conventionnelle de 1,35 %, pour un total de 2,65 %, un taux élevé qui correspond aux orientations stratégiques de la branche. Une fois les décrets définitifs parus, il faudra que les partenaires sociaux du secteur engagent très vite des négociations afin de conserver le 0,3 % qui excède le taux légal de droit commun de 1 % et de fixer de nouvelles contributions conventionnelles qui soutiennent les activités de formation de la branche.

Autre inquiétude : la répartition des fonds de l’alternance par France Compétences. Notre secteur recourt énormément aux contrats et périodes de professionnalisation (6 000 contrats pros et 8 000 POE financées en 2017), mais assez peu à l’apprentissage (700 contrats). Nous avons même créé des dispositifs de professionnalisation spécifiques au travail temporaire : le contrat d’insertion pour les intérimaires – CIPI, pour un premier palier de formation – et le contrat de développement professionnel intérimaire – CDPI, fléché vers les salariés de niveau V – qui ont bénéficié à 7 000 travailleurs temporaires en 2017. Or, la période de professionnalisation disparaît avec la réforme.

Malgré ces changements importants, j’espère donc que nous pourrons continuer à raccrocher ces contrats spécifiques aux financements dédiés à l’alternance en général, d’autant plus que le futur dispositif Pro-A ne pourra pas s’adresser massivement à nos salariés temporaires. Concernant l’apprentissage, qui est en augmentation régulière dans notre secteur mais reste beaucoup moins développé que la professionnalisation, la question sera surtout dans un premier temps de savoir s’il existera une fongibilité possible entre les fonds qui y seront affectés et les politiques d’alternance.

Comment se passent les négociations de constitution du futur Opco travail temporaire, propreté et sécurité ?

Les organisations professionnelles de l’intérim et de la propreté se sont déjà positionnées en faveur de ce nouvel opérateur et les partenaires sociaux de la branche du travail temporaire ont d’ores et déjà désigné le Faf TT pour constituer la base du futur opérateur de compétences n° 11 évoqué par le rapport Marx-Bagorski. Du côté de la branche de la sécurité, les organisations patronales de la branche poursuivent encore leur réflexion.

En toute hypothèse, les discussions sur le projet d’accord constitutif de l’Opco ont débuté dans la perspective d’aboutir avant le 31 décembre prochain.

Parcours

Diplômée de l’IEP Paris, du Celsa (DESS de GRH) et de l’ENA, Isabelle Eynaud-Chevalier a commencé sa carrière comme chef de la mission insertion professionnelle au ministère du Travail (sous Martine Aubry) où elle a contribué à créer les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI) avant d’intégrer les services de Matignon en 1996 et ceux de la Culture pour y mener des missions RH. En 2004, elle intègre la DGEFP comme sous-directrice des missions économiques, puis chef des missions des politiques de l’emploi et de la formation professionnelle de 2007 à 2013. À ce poste, elle a notamment contribué à la création de Pôle emploi et des Direccte. En 2014, elle rejoint le cabinet LHH Altedia pour y occuper les fonctions de DGA en charge de la stratégie et de l’innovation sociale. Elle est directrice générale de Prism’emploi, la fédération patronale de l’intérim, depuis avril 2018.

(1) Le CDI intérimaire (CDII), créé par un accord de branche sur la sécurisation des parcours en juillet 2013, permet à une entreprise de travail temporaire (ETT) d’embaucher un salarié en CDI et de l’affecter à plusieurs missions pour le compte de plusieurs commanditaires.

Auteur

  • Benjamin D’Alguerre