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Le grand entretien

« Il faut passer de la notion d’horaires à la notion d’efficacité »

Le grand entretien | publié le : 07.01.2019 | Lys Zohin

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« Il faut passer de la notion d’horaires à la notion d’efficacité »

Crédit photo Lys Zohin

Si les RH se sont centrées ces dernières années sur l’équilibre – et la séparation – entre vie personnelle et vie professionnelle, comme en atteste par exemple le droit à la déconnexion, l’arrivée des Millennials sur le marché de l’emploi bouscule la donne. Il s’agit désormais d’intégrer les deux. Avec tous les changements d’attitude de la part des managers que cela implique.

Si l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle a été le leitmotiv de bien des DRH, il semble que les choses évoluent aujourd’hui, pourquoi ?

Dans trois à cinq ans, environ un collaborateur sur deux sera un Millennial. Or ces gens-là sont nés avec la tech et il est impossible de penser la leur enlever. Et impossible aussi de leur dire, comme cela se faisait avant, il y a des heures pour travailler, des heures pour les loisirs, des heures pour faire les courses dans le quartier… Même si certains auront encore un téléphone portable personnel et un autre professionnel, il n’empêche, ils auront toujours les deux avec eux. Il y a donc désormais une perméabilité entre les deux mondes. Pis, il existe maintenant un mal que l’on appelle en anglais le « fomo », autrement dit fear of missing out, la peur de rater quelque chose – une info, en particulier, notamment en ce qui concerne la vie privée. Le stress qui découle de cette peur est particulièrement mauvais pour la concentration. Et les Millennials, à des degrés divers, sont sujets à cette peur. Comment pourraient-ils travailler efficacement si on leur enlevait la possibilité de regarder leur portable personnel pour savoir s’ils auront une invitation à une fête le week-end ? La vie dans l’entreprise change. En outre, l’idée d’un « équilibre » entre vie professionnelle et vie personnelle qui prévalait auparavant – et qui prévaut encore dans certains cas aujourd’hui – évoque la notion d’opposition. Prenez une balance, par exemple. Si un plateau, celui de la vie professionnelle, est trop lourd, alors celui de la vie personnelle est trop léger. Cette opposition entre les deux, ce conflit qui ferait que, si l’on travaille trop, l’on ne peut pas se consacrer à ses proches ou au sport, par exemple, est assez malsaine. La nouvelle notion, qui nous vient des Millennials, est de penser à une intégration entre les deux aspects de la vie, professionnelle et personnelle. Nous sommes « un », mais cela ne nous empêche pas d’appartenir à plusieurs sphères en même temps – professionnelle, familiale, amicale, sportive… Il n’y a donc pas d’opposition entre tout cela. L’objectif, désormais, est de trouver l’harmonie et d’arriver à tout faire, tout concilier.

Certes, mais comment ?

D’abord, d’un point de vue général, il faut passer de la notion d’horaires à la notion d’efficacité. Qu’importe en combien de temps le travail est effectué et les objectifs – qui doivent être atteignables, cela dit – sont précisément atteints. Il faut accepter un rythme différent pour chacun. Nombre de spécialistes et d’études montrent que l’idée de travailler environ huit heures par jour est obsolète. Conséquence, au même titre qu’il n’y a plus cette notion d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, qui impliquait de compter les heures dévolues à l’une ou à l’autre, on ne devrait plus compter non plus les heures pour le travail et se concentrer à la place sur l’efficacité. Pourtant, les différentes lois, notamment les lois Aubry, régissant le travail – qui datent des années 2000 ! – parlent encore de « la durée du travail effectif », c’est-à-dire le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Autant dire que le Code du travail – qui permet d’enlever un quart d’heure de travail (et de salaire) à quelqu’un qui regarde ses e-mails personnels au bureau ou à l’atelier – est en retard sur la nouvelle réalité, même s’il existe également la notion de « forfait ». Quant au droit à la déconnexion, il dit : « Si je ne veux plus regarder mes e-mails professionnels, je peux », il ne dit pas : « Je dois ».

Et concrètement, dans la vie de tous les jours ?

Au-delà du fait que les managers, comme je viens de le dire, doivent écouter les besoins des collaborateurs, les respecter, leur faire confiance et accepter que chacun ait un rythme différent, les collaborateurs, eux, doivent pour leur part faire preuve de discipline et se mettre des limites, sinon ils passeront effectivement leur temps à regarder leurs e-mails professionnels le week-end et à travailler, ne serait-ce que pour atteindre leurs objectifs. Le problème est déjà là, puisque, selon certaines études, 65 % des salariés déclarent lire leurs e-mails professionnels pendant leurs vacances… Il s’agit donc de coordonner, avec son manager, ses collègues, ses proches, ses amis, quand on travaillera. Il existe d’ailleurs des entreprises, notamment outre-Atlantique, qui ont mis en place des méthodes allant dans le sens de l’efficacité plutôt que du travail effectif.

Quelles sont ces méthodes ?

Elles s’appuient sur trois piliers : d’abord, établir un cadre général sur les possibilités offertes et non offertes de gérer son temps de vie au travail et communiquer sur ces éléments. Certaines appellent cela un work-life integration program1. Ensuite, un superviseur doit observer les indicateurs mis en place pour jauger l’efficacité des collaborateurs plutôt que des horaires accomplis, enfin de s’assurer que la nouvelle culture se dissémine bien dans l’entreprise. Quant au collaborateur, il doit préciser ses besoins pour pouvoir tracer sa route. Ces dispositifs, simples, sont essentiels si les entreprises veulent fidéliser les Millennials avec une expérience collaborateur.

(1) Voir les travaux de l’université de Berkeley à cet égard : https://www.haas.berkeley.edu/human-resources/life-integration/

Parcours

1999 : Lancement de Meltis, un cabinet de conseil qui accompagne le changement et la transformation des acteurs publics et privés.

2017 : Stéphane Waller lance Bleexo, une appli RH regroupant des outils visant le développement de l’engagement des salariés, de la QVT et du potentiel des collaborateurs et des équipes, incluant par exemple un module « enquête salarié » pour donner à chacun la parole (anonyme) sur son expérience salariée, ou un module « analyse d’engagement » pour jauger de l’engagement salarié en temps réel et mesurer l’efficacité des actions RH. À cela s’ajoutent des modules de coaching des managers et d’autres, de « reconnaissance » par exemple, pour installer et multiplier le feed-back positif. Tous ces outils sont fondés sur l’analyse de données en temps réel et des solutions à base d’intelligence artificielle.

Auteur

  • Lys Zohin