logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le grand entretien

« 40 % des employeurs européens peinent a recruter, faute de compétences »

Le grand entretien | publié le : 11.02.2019 | Benjamin D’Alguerre

Image

« 40 % des employeurs européens peinent a recruter, faute de compétences »

Crédit photo Benjamin D’Alguerre

L’agenda européen des compétences en Europe (« skills agenda for Europe ») et les mesures en faveur du développement de l’apprentissage constituent deux des stratégies européennes mises en œuvre pour soutenir la lutte en faveur de l’emploi et de la compétitivité. Tour d’horizon alors que ces dispositions entrent dans leur phase opérationnelle.

Quels sont les enjeux de l’agenda européen des compétences ?

La mise en place d’un « agenda des compétences pour l’Europe » est une première pour la Commission européenne. Jusqu’à présent, la question des « skills » n’était abordée qu’à la marge, dans le cadre des stratégies pour l’emploi ou pour l’insertion. Ce qui a décidé la commission à entamer ce changement de braquet culturel, c’est la prise de conscience de l’existence d’un déficit de compétences dans les États membres de l’Union. 40 % des employeurs disent ainsi peiner à recruter, faute des compétences nécessaires pour occuper les emplois proposés. Par ailleurs, près de 70 millions d’Européens souffrent de lacunes en matière de lecture et d’écriture. Cette situation appelle une réponse européenne. Cependant, il aurait été difficile à l’Union d’adopter une stratégie commune pour tous les États membres tant les législations locales en matière de formation professionnelle diffèrent d’un pays à l’autre. D’où le choix de dix grandes orientations thématiques dont les États peuvent s’emparer pour mettre en place leurs propres plans d’action. La phase de lancement et d’appropriation s’est déroulée de 2016 à 2018. Nous entrons aujourd’hui dans la période de construction des plans d’action et commençons à recevoir les premiers dossiers en provenance de quelques États membres. Pour l’instant, il n’a pas encore été fixé de dates formelles pour le démarrage des actions mais nous misons sur des déclinaisons opérationnelles courant 2019-2020. Celles qui seront retenues bénéficieront d’un cofinancement de l’Union au travers de la mobilisation du Fonds social européen (FSE).

Pouvez-vous détailler les orientations qui guident cet agenda ?

Le spectre est large. Il englobe le développement d’actions en faveur de la création de parcours de renforcement des compétences pour les adultes ; la mise en place d’un cadre européen des certifications ; la création de coalitions en faveur des compétences et des emplois numériques (« Coalitions for digital skills and jobs », dont la déclinaison française est portée par le Medef) ; l’instauration de plans de coopérations sectorielles en matière de compétences ; le développement d’un outil de profilage européen des compétences des ressortissants des pays tiers ; la modernisation de l’enseignement et de la formation professionnelle dans la foulée de la décision de Riga de 2015 ; l’acquisition des compétences clés ; la fixation d’un nouveau cadre pour la décision Europass – le cadre européen de reconnaissance des compétences et des certifications – afin de le rendre plus accessible ; le développement d’un meilleur suivi des diplômes et la mise en œuvre d’outils de partage des bonnes pratiques en matière d’échange de « cerveaux » entre pays européens. Toutes font – ou feront – l’objet de décisions ou de recommandations de l’UE.

Quel regard portez-vous sur la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » entrée en vigueur en France au début de cette année ?

Cette loi, assortie du lancement du plan de développement des compétences (PIC), nous paraissent en phase avec l’ambition européenne. Bien sûr, il faudra observer à terme la façon dont les entreprises, les institutions et les usagers s’en empareront mais, pour l’instant, ces réformes nous semblent aller dans le bon sens.

Quelle place l’apprentissage occupe-t-il dans les stratégies européennes ?

Une place importante. Son développement et celui de la formation tout au long de la vie font d’ailleurs partie de nos priorités. La Commission a, à cet effet, lancé la Semaine européenne des compétences en 2015. L’édition 2018 a touché près d’un million d’Européens. Parmi les autres initiatives récemment prises pour favoriser cette voie de formation, on peut citer la recommandation de mars 2018 qui vise à développer un cadre de qualité européen de l’apprentissage. Ou encore les initiatives en faveur de la mobilité européenne des apprentis qui ont commencé à voir le jour à partir de 2014 et qui ont permis à 300 000 jeunes de réaliser une partie de leur cursus d’apprentissage dans un autre pays de l’Union. Cependant, nous nous heurtons au problème de la jungle des législations des pays membres sur l’apprentissage qui condamne souvent les apprentis en mobilité à limiter leur parcours à l’étranger à des séjours de courte durée, contrairement aux étudiants.

Pour y remédier, les instances européennes envisagent-elles la création d’un statut européen de l’apprenti ?

Non, et l’Europe n’a pas vocation à s’en doter. La question du statut de l’apprenti relève des compétences des États. De toute façon, au vu de la diversité des modèles d’apprentissage existants, ce serait impensable d’essayer d’en fixer un. Ce qui est possible et souhaitable, en revanche, c’est la création de passerelles en incitant les pays européens à rendre leurs systèmes plus flexibles et accessibles à des apprentis étrangers. On pourrait ainsi imaginer des coopérations France-Allemagne pour faciliter le basculement entre le modèle de l’apprentissage français (contrat de travail) et l’allemand (assimilé à un stage étudiant). D’autres passerelles sont à trouver, notamment en matière de protection sociale. Qui paie la sécurité sociale de l’apprenti ? Son employeur du pays d’origine ou le voisin qui reçoit ? Certains pays scandinaves exigent qu’un apprenti en mobilité dispose d’une certaine somme sur son compte en banque avant de pouvoir entamer son apprentissage chez eux. Ce n’est pas forcément un modèle équitable pour un jeune apprenti aux ressources limitées. Mais sur ce genre de dossier, l’Europe peut intervenir grâce à des aides financières. D’une manière générale, la Commission tente d’arrondir les angles tant qu’elle le peut, mais sans imaginer pour autant le même statut de l’apprentissage pour tous les Européens.

Erasmus Pro ne constitue-t-il pas l’un de ces dispositifs facilitateurs ?

C’en est un. Ce dispositif initié en 2018 a déjà permis à 2 000 apprentis français de partir effectuer leur apprentissage à l’étranger. La ministre Muriel Pénicaud espère atteindre l’objectif de 15 000 en 2022. Aujourd’hui, l’Union européenne a mis sur la table une enveloppe de 400 millions d’euros, dont 33 pour la France, destinée à financer ce dispositif. Les négociations pour la séquence 2021-2028 ne vont pas tarder à débuter. Nous espérons qu’elles déboucheront sur un doublement des fonds destinés au programme Erasmus (passant de 15 milliards d’euros aujourd’hui à 30 milliards) permettant de financer la mobilité européenne de davantage d’apprentis.

Parcours

Ingénieur civil de l’École des Mines de Paris, Guillaume Roty dispose également d’un double master de sciences politiques (Sciences Po Paris) et de relations internationales (School of International and Public Affairs de la Columbia University). Consultant en stratégie chez McKinsey & Company de 2005 à 2009, il rejoint la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne en tant qu’analyste économique et politique sur les réformes structurelles (2009-2010) avant d’obliquer vers la direction générale de la concurrence (2010-2013), puis la représentation française de la commission dont il est aujourd’hui porte-parole.

Auteur

  • Benjamin D’Alguerre