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Le point sur

« Accompagner les aidants est dans l’intérêt économique des entreprises »

Le point sur | publié le : 11.03.2019 | Lucie Tanneau

Il y a un an, la loi Mathys, qui autorise le don de jours de repos entre collègues, a été élargie aux proches aidants. Est-ce utile ?

On manque de recul sur la mise en place de ces dispositifs, et nous ne disposons pas de chiffres ou d’études d’impact. Certaines entreprises se sont intéressées plus tôt que d’autres aux aidants, il y a de grandes variations d’utilisations des dispositifs, mais aussi de connaissances des aidants. Mais on sait que le dispositif est déjà utilisé et apprécié. C’est une bonne chose que les aidants aient de plus en plus leur place dans la société et dans les entreprises, et que l’on sorte de l’approche en silos de la loi Mathys, avec la possibilité de dons uniquement pour les enfants malades. Le besoin est beaucoup plus large, certains aidants s’occupent d’un frère, d’une mère ou d’un proche. Quand on est salarié, on a besoin de temps et donc que l’entreprise soit compréhensive…

Comment un aidant combine-t-il sa vie professionnelle avec sa vie personnelle et cette aide à la personne ?

Il jongle, il se débrouille… justement parce qu’il est difficile d’obtenir de l’aide. Souvent, quand on est aidant, on n’a pas envie d’en parler, c’est de l’ordre du tabou. On a du mal à reconnaître publiquement qu’un proche est en perte d’autonomie, car on a peur que cela soit interprété comme un manque de performance de notre part, alors que, quand on devient parent, on fait le tour des bureaux pour annoncer la bonne nouvelle, et tout le monde comprend qu’on arrive un peu fatigué le matin ou qu’on s’absente si le petit est malade. Les entreprises ont créé beaucoup de dispositifs pour aider. En 2013, le nombre d’aidants en entreprise a dépassé le nombre de parents de jeunes enfants : on estime ainsi à 15 % la part de salariés en situation d’aidants.

Mais est-ce aux collègues d’être solidaires, plutôt qu’à l’État ou à l’entreprise ?

C’est beau comme idée, la solidarité entre collègues. Mais le salarié va donner toutes ses RTT la première année au papa du petit Mathys, puis, la deuxième année, d’autres personnes en auront besoin. Et la troisième année, il aura besoin de souffler aussi. Il y a un risque d’épuisement de la générosité et du salarié lui-même. Les congés et les RTT sont faits pour se reposer, se ressourcer. C’est noble de vouloir les offrir, mais c’est un peu se mettre en délicatesse soi-même par rapport à ses besoins. Je pense que c’est plutôt à l’État de prendre ses responsabilités. Annoncer la création d’un congé de proche aidant en grande pompe alors qu’il n’est pas indemnisé, c’est inutile. Il faut créer un vrai système et que les entreprises se saisissent du sujet.

Les aidants ont-ils besoin de congés, d’un soutien financier, psychologique, de la part des entreprises ?

Un peu de tout ça. Un aidant a besoin de savoir que, s’il parle de sa situation, ce ne sera pas un motif de discrimination. Il a besoin d’aménager ses heures grâce à un manager compréhensif. Il a aussi besoin d’informations de la part de la médecine du travail, ou d’accompagnement pour mettre des mots sur sa situation ou celle de son proche. Il craint la précarité. Certaines branches sont déjà allées loin dans l’accompagnement en indemnisant un peu le congé de proche aidant. Certaines entreprises ont compris qu’il était nécessaire de soutenir les aidants, car s’ils s’arrêtent de travailler ou s’ils prennent un mi-temps, ils se précarisent et l’entreprise perd un salarié qui était formé depuis parfois vingt ans – car, souvent, les aidants ont plus de 50 ans. En les accompagnant, le coût financier et humain du turn-over peut être diminué : et encore une fois, on parle de 15 % des effectifs !

Comment le salarié utilise-t-il les jours dont il bénéficie dans le cadre du dispositif ? Et ces jours supplémentaires en dehors de l’entreprise ne risquent-ils pas, à terme, de l’éloigner de son travail ?

Cela peut consister à emmener un proche à un rendez-vous médical, à gérer l’administratif, à être présent lors d’une chimio… Mais ce dispositif a des limites. Il arrive que l’aidant soit obligé d’arrêter de travailler, alors que son emploi est une bouffée d’oxygène, un lieu pour parler d’autre chose que de la pathologie. Sans accompagnement de l’aidant, on peut déboucher sur un burn-out, voire sur une double hospitalisation aidant-aidé, avec un coût énorme pour la Sécurité sociale. Des études en Grande-Bretagne avancent des chiffres impressionnants de diminution du turn-over et de l’absentéisme lorsqu’une entreprise met en place une vraie politique d’accompagnement des aidants. Aider les aidants est donc dans l’intérêt économique des entreprises.

Auteur

  • Lucie Tanneau