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Le fait de la semaine

Contrats courts : Le gouvernement dégaine le bonus-malus

Le fait de la semaine | publié le : 24.06.2019 | Benjamin d’Alguerre

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Contrats courts : Le gouvernement dégaine le bonus-malus

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Le gouvernement a détaillé son système de bonus-malus pour limiter le recours des entreprises aux contrats de travail de courte durée. Sept secteurs sont concernés. Les employeurs les moins vertueux pourront voir leurs cotisations patronales grimper jusqu’à 5 %.

Le couperet du bonus-malus est finalement tombé ! Le 18 juin, à l’occasion de la présentation du troisième volet des réformes sociales du quinquennat dédié à la transformation du marché du travail, Édouard Philippe et Muriel Pénicaud ont dévoilé les sept secteurs au sein desquels le recours à des CDD de courte durée justifiait l’imposition d’un bonus-malus sur les cotisations patronales des entreprises adhérentes.

« Le recours aux contrats courts ne s’explique pas toujours par l’activité. Dans certains secteurs, sur certains territoires et à entreprises de taille et d’activité équivalentes, on peut constater un usage très différent des contrats courts. Certaines en abusent alors que d’autres, au contraire, font des efforts pour stabiliser l’emploi », jugeait Édouard Philippe au moment de révéler ce top 7 des plus gros consommateurs de contrats courts. Sa ministre du Travail abonde : « Certains employeurs en ont fait un outil de gestion des ressources humaines. » Un outil dont l’usage a des conséquences.

Précarité

Pour les travailleurs qui enchaînent ces contrats et restent ainsi enkystés dans la précarité sans possibilité, par exemple, de contracter des prêts ou d’accéder à la propriété (selon les chiffres du ministère du Travail, 85 % des contrats de moins d’un mois sont signés avec le même employeur), mais aussi pour le régime de l’assurance chômage qui creuse ainsi son déficit en multipliant les périodes d’indemnisation des chômeurs qui sautent d’un contrat à un autre.

« Sur les 9 milliards d’euros de surcoût pour l’assurance chômage associés aux contrats courts, les CDD en général pèsent à eux seuls […] 6,2 milliards d’euros », calcule Gilles Lafon, président de Prism’Emploi, la fédération professionnelle du travail temporaire.

La liste des sept secteurs concernés est cependant surprenante. Sont ainsi recensées les branches de la Fabrication de denrées alimentaires, boissons et produits à base de tabac ; les « Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques » (en clair : les agences de publicité et les instituts de sondage) ; l’Hébergement et la restauration ; la Production et la distribution d’eau-assainissement, la gestion des déchets et la dépollution ; le Transport et l’entreposage ; la Fabrication de produits en caoutchouc, plastique et autres produits non métalliques et le Travail du bois, l’industrie du papier et l’imprimerie. Pas vraiment ceux que l’on avait vu venir. À l’exception de l’hôtellerie-restauration et des instituts de sondage, aucun des secteurs finalement retenus ne figurait dans la liste des branches consommatrices de contrats courts que les services de l’Unédic avaient fournie aux partenaires sociaux lors de la négociation 2018 sur la réforme de l’assurance chômage. À l’époque, les secteurs dans le viseur du bonus-malus étaient plutôt l’intérim, les « activités de services administratifs et de soutien » (propreté et sécurité), l’hébergement médico-social (les Ehpad) et les arts, spectacles et activités récréatives. Quatre secteurs qui, à eux seuls, représentaient 62 % de l’augmentation des contrats à courte durée, selon les données de l’assurance chômage.

Le hiatus s’explique par la méthodologie choisie pour procéder au calcul. Si l’Unédic s’était basée sur les DPAE (déclarations préalables à l’embauche des entreprises) recensées par l’Acoss, le ministère du Travail a choisi pour sa part de ne prendre en compte que les fins de contrats donnant lieu à une inscription à Pôle emploi. Selon ce critère, les secteurs ciblés représentent 34 % des ruptures totales de contrat en France pour un taux de séparation (le rapport entre l’effectif de l’entreprise et le nombre d’inscription au chômage de salariés ayant travaillé pour elle) dépassant les 150 %. « Soit, par exemple, plus de 3 CDD pour 2 CDI ou plus de 150 intérimaires pour 100 CDI », illustre Muriel Pénicaud. En revanche, des secteurs comme le travail temporaire, le bâtiment ou l’audiovisuel et le spectacle ne figurent pas sur la liste.

Critères

Concrètement, le bonus-malus se traduira par une fluctuation des cotisations patronales s’échelonnant de 3 % à 5 % (au lieu des 4,05 % actuelles) en fonction du caractère plus ou moins vertueux de leur politique d’embauche. Les critères retenus pour en juger figureront dans un futur décret que Matignon annonce « entre la fin juillet et la fin août ».

« Plus le nombre de salariés qui s’inscrivent à Pôle emploi après avoir travaillé pour une entreprise est important par rapport à son effectif, plus une entreprise paiera de cotisations patronales à l’assurance chômage », résume le ministère du Travail. À noter toutefois que seules les entreprises de plus de 11 salariés seront visées.

Mais dans les secteurs concernés, l’ambiance oscille entre incompréhension et consternation. À la FP2E, le principal groupement patronal du secteur de l’eau et de l’assainissement, on ne comprend pas le choix du gouvernement d’avoir intégré les activités de la branche dans la même catégorie que celle du traitement des déchets. Tristan Mathieu revendique l’exemplarité de son secteur qui compte 94 % de salariés en CDI et une ancienneté moyenne supérieure à 14 ans. « Si ce secteur est visé spécifiquement, il s’agit sans doute d’autres pans d’activité que celles de la gestion déléguée des services de l’eau confiée à nos adhérents », explique-t-il. Dans l’hôtellerie-restauration, on déplore l’acharnement qui pèse sur le secteur. « Depuis 2013, on subit surtaxation sur surtaxation, mais le recours aux CDD est une réponse normale au surcroît d’activité évènementielle ou saisonnière inhérent au fonctionnement de nos entreprises ! En outre, cela ne concerne que 20 % des contrats signés. Les 80 % restant relèvent du CDI. Pourquoi faire porter cette réforme sur sept secteurs seulement ? C’est de la discrimination ! », s’agace Thierry Grégoire, président de la section « saisonniers » de l’Umih. « C’est un mauvais coup porté à la création d’emploi. D’autant plus que le secteur public, pourtant grand consommateur de contrats courts, ne sera pas concerné », avance de son côté la CPME.

Selon l’agenda gouvernemental, ce nouveau système de taxation entrera en vigueur le 1er janvier 2020. Matignon ne s’interdit d’ailleurs pas de l’étendre à d’autres secteurs.

Une taxe forfaitaire sur les CDD d’usage

Toujours pour réduire le recours aux contrats de courte durée, le gouvernement a annoncé son intention de taxer les CDD d’usage (ces contrats pouvant se limiter à quelques heures de travail par jour). « Une taxe forfaitaire de 10 euros par contrat leur sera appliquée, expliquait Muriel Pénicaud. Le but, c’est de préférer le CDD d’une semaine à celui d’un jour ; celui d’un mois à celui d’une semaine ; celui de plusieurs mois à celui d’un seul. » Les intermittents du spectacle ne seront pas concernés par cette mesure étant donné que leurs employeurs s’acquittent déjà d’une surcotisation patronale de 0,5 % depuis mars 2017.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre