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Saisonniers : Le casse-tête de la sécurisation de l’emploi

Le point sur | publié le : 15.07.2019 | Benjamin d’Alguerre

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Saisonniers : Le casse-tête de la sécurisation de l’emploi

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

La loi El Khomri comprenait un important volet dédié à la sécurisation de l’emploi saisonnier. Il n’a pour l’instant pas porté ses fruits et les employeurs ne se précipitent pas sur les possibilités offertes pour instaurer une véritable flexisécurité saisonnière. Mais la prise de conscience semble avancer.

Comme chaque été, les caravanes syndicales se sont remises en route pour un tour de France bien particulier. Leurs étapes : les principaux spots d’emplois saisonniers afin de sensibiliser les travailleurs estivaux sur le droit du travail. Contrats, heures supplémentaires, assurance chômage ou encore logement sont au programme. Selon un sondage de la CGT, 65 % des saisonniers seraient dans l’ignorance de leurs droits. La CFDT célèbre cette année la 21e édition de cette campagne d’information estivale. « On fait beaucoup les cafés, hôtels et restaurants pour sensibiliser sur la question de la sécurisation de l’emploi. On rappelle par exemple que, depuis la loi El Khomri, un salarié saisonnier embauché deux saisons de suite dans la même entreprise bénéficie d’un droit à la reconduction de son contrat la saison suivante », explique Inès Minin, secrétaire nationale en charge de la jeunesse au sein de la confédération de Belleville. Depuis un an, les équipes cédétistes peuvent en outre s’appuyer sur l’appli « Ma saison » pour muscler leur campagne d’évangélisation.

L’activité saisonnière occupe près de deux millions de salariés en France. Hôtellerie-restauration, activités de vacances et de loisirs, agriculture et industrie agro-alimentaire constituent les principaux consommateurs de ces emplois particuliers, caractérisés par les allers et retours des salariés dans ces entreprises, au gré de l’activité. En 2016, la loi El Khomri instaurait le CDD Saisonnier et enjoignait dans la foulée aux 17 branches les plus consommatrices de saisonniers d’engager des négociations visant à assurer une meilleure sécurisation de l’emploi de ces salariés précaires. Elle leur offrait la possibilité, à ce titre, de déployer en leur sein le CDI intérimaire (CDII) développé depuis 2015 par le secteur du travail temporaire. Un contrat permettant l’alternance de périodes d’emploi et de formation durant les intersaisons.

Le CDII ne séduit pas

Où en est-on aujourd’hui ? « Les résultats sont loin d’être probants. Globalement, les injonctions aux branches sont restées lettre morte : il faut dire qu’au moment de la publication de la loi, celles-ci étaient déjà engagées dans d’autres négociations concernant leur rapprochement. Les agendas se sont percutés et les saisonniers n’étaient pas la priorité », constate Christian Gilquin, directeur de l’Observatoire de la saisonnalité. Mauvais timing. L’expérimentation du CDII n’a pas davantage trouvé son public… même si certains ont pu lorgner dans cette direction pour mettre au point leurs propres parcours emploi-formation saisonniers, à l’image d’Agefos PME et son « CDI emploi formation » déployé dans la branche des campings en 2016 ou du Fafih, l’année suivante, pour « Pro-Saisons » (lire page 14) à destination des cafés-hôtels-restaurants. N’empêche qu’à ces deux exceptions près, le CDII ne séduit pas les employeurs. « Le secteur de l’hôtellerie-restauration n’a jamais eu d’intérêt à l’adopter : il lui préfère le CDD saisonnier ou d’usage, beaucoup plus avantageux puisqu’il dispense du versement de la prime de fin de contrat de 10 % de l’intérim », regrette Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism’Emploi, la fédération du travail temporaire. La donne pourrait cependant changer avec la taxation annoncée du CDD d’usage dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage « Oui, mais à condition que cette surcote soit suffisamment importante pour convaincre les employeurs de l’hôtellerie de se tourner vers le CDII », poursuit Isabelle Eynaud-Chevalier. La réforme de la formation professionnelle faciliterait une telle démarche puisque, depuis le 1er avril dernier, hôtellerie-restauration et intérim font désormais Opco commun au sein de l’ESSFIMO, l’opérateur de compétences des services à haute intensité de main-d’œuvre. Un Opco dont l’une des priorités sera de constituer, dès la rentrée prochaine, un comité de pilotage de la GPEC interbranches.

Évolution des mentalités

Si l’hôtellerie-restauration dispose aujourd’hui de cette proximité avec l’intérim, c’est loin d’être le cas de toutes les branches employeuses de saisonniers. Une partie de celles appartenant au secteur du tourisme (campings, hôtellerie de plein air…) a préféré rejoindre l’Afdas (culture, médias, divertissement et sport) lors du grand mercato des Opco. C’était d’ailleurs le souhait de Frédérique Lardet, députée LREM de Haute-Savoie. Chargée d’une mission sur l’emploi et la formation dans le secteur du tourisme (dont les conclusions ont été rendues au Premier ministre le 15 mars dernier), cette dernière avait justement suggéré aux rédacteurs du rapport Marx-Bagorski la création d’un Opco unique sur le champ du tourisme ou, à défaut, l’intégration de toutes les branches concernées dans le giron de l’Afdas. « Celui-ci dispose déjà d’une grande expérience sur la problématique des intermittents du spectacle, pas si différente de celle des saisonniers », explique-t-elle aujourd’hui. Malgré cela, l’élue savoyarde se félicite de constater une évolution des mentalités quant à la sécurisation de l’emploi saisonnier. « Hier, les restaurateurs étaient réticents à proposer autre chose que des CDD d’usage. On observe désormais un changement de cap : ils comprennent l’avantage de la flexisécurité pour disposer d’une main-d’œuvre régulière, saison après saison. C’est peut-être le début d’une sortie de crise. » À condition cependant que les employeurs se saisissent en parallèle des questions annexes à l’employabilité, comme la mobilité ou le logement. Sur ce dernier point, la loi « Montagne II » oblige désormais les communes classées zones touristiques à conclure avec l’État une convention sur le logement des saisonniers. Un début.

Groupements d’employeurs

À en croire le rapport « Emploi saisonnier : enjeux et perspectives » publié par France Stratégie de 2016, les pouvoirs publics semblent attendre beaucoup des groupements d’employeurs pour apporter des solutions à la question de la pluriactivité. On en compte aujourd’hui 5 100 dont 3 200 dans le secteur rural. Beaucoup… mais peut-être trop. « Dans l’agriculture, on constate que la réponse aux besoins saisonniers se traduit de plus en plus par le recours au travail détaché plutôt qu’à la sécurisation de l’emploi local », grince Inès Minin. À la FFGEIQ, la fédération française des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, on s’avoue également réservé : « les groupements d’employeurs peuvent apporter des réponses… mais pas toutes ! Certains recourent aussi à des contrats saisonniers ou de courte durée : tout dépend de leur activité », abonde Francis Lévy, délégué général de l’organisation.

La fédération, dans la foulée de la loi El Khomri de 2016, avait cependant entamé le chantier de la création d’un « label GE » destiné à faire la promotion des groupements d’employeurs vertueux, favorisant l’emploi de qualité. Qu’en est-il aujourd’hui ? « C’est encore embryonnaire », avoue Francis Lévy. Bref, si la problématique de la sécurisation de l’emploi des saisonniers semble être bien présente dans les esprits, les réponses se font encore attendre… En attendant, les caravanes syndicales n’ont pas fini d’avaler des kilomètres pour aller à la rencontre de ces travailleurs précaires.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre