logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Accords de performance collective : La durée du travail en ligne de mire

Le point sur | publié le : 02.09.2019 | Nathalie Tran

Parmi les nouveaux outils proposés par les ordonnances Macron, l’accord de performance collective (APC) est celui qui a rencontré le plus de succès dans les entreprises. Libéré des contraintes qui pesaient sur les dispositifs précédents, il tient aujourd’hui ses promesses : apporter plus de flexibilité aux entreprises.

Le décollage a été immédiat. Fin mars 2019, soit un an après l’entrée en vigueur du dispositif, 142 accords de performance collective (APC) avaient déjà été signés. Contrairement aux accords de maintien de l’emploi (AME) qui avaient été un véritable fiasco (moins d’une dizaine de contrats signés), le nouvel outil a d’emblée été adopté par les entreprises. Des PME pour la grande majorité d’entre elles (62 %). Le rythme de signature s’accélère même : 60 % des APC ont été conclus en 2019 contre 38 % en 2018 ! L’opportunité pour les négociateurs de revoir à la baisse les conditions de travail, sans avoir désormais à justifier de difficultés économiques, dès lors qu’il y a un accord majoritaire. Principal thème impacté : le temps de travail, qui concerne 67 % de la totalité des APC signés, dont 26 % d’entre eux modifient également le salaire ; 12 % aménagent uniquement la rémunération et 22 % portent sur la mobilité géographique ou professionnelle.

Des accords à durée indéterminée

Alors que les accords de maintien de l’emploi (AME) ne pouvaient être envisagés que lorsque l’entreprise traversait un cap difficile et sur une durée de deux ans au maximum, les APC peuvent quant à eux être également utilisés de manière offensive, afin de gérer de multiples situations, qu’il s’agisse d’éviter des suppressions d’emplois pour motif économique, d’ajuster l’organisation aux variations de l’entreprise ou d’anticiper un investissement de moyen terme, par exemple. Ils ne sont plus non plus limités dans le temps comme l’étaient leurs prédécesseurs : trois accords de performance collective sur quatre sont à durée indéterminée (103 sur 142). Et presque aucun ne prévoit de clause de retour à meilleure fortune… Ce qui signifie que l’ajustement des conditions de travail contenu dans l’accord peut s’appliquer indéfiniment. Un cran supplémentaire de franchi en termes de flexibilité, mais aussi un risque, selon Luc Bérard de Malavas, consultant chez Secafi, que cette flexibilité soit utilisée « dans une logique de rentabilité et de court terme et non pas en faveur des salariés et de l’intérêt collectif de l’entreprise ». Si le collaborateur peut refuser la modification de son contrat de travail, il s’expose alors à un licenciement « sui generis », c’est-à-dire fondé sur le refus de l’accord et, par conséquent, sans possibilité de contestation devant les Prud’hommes. Avec les APC, les ordonnances laissent non seulement une plus grande liberté aux négociateurs mais lèvent aussi un frein majeur qui avait empêché les AME d’atteindre leur objectif : l’acceptation du salarié. Les premières entreprises à avoir signé ce type d’accords en avaient fait les frais. On se souvient notamment du sous-traitant automobile Behr France, qui pour éviter une centaine de licenciements avait signé un accord de maintien de l’emploi… qui finalement s’était soldé par le licenciement économique de 162 salariés, ces derniers ayant refusé de le signer.

Peu de contraintes juridiques

« L’outil APC est très ouvert et les contraintes juridiques pour l’entreprise sont assez faibles. Il permet de licencier des personnes avec très peu d’accompagnement, puisqu’ils sont volontaires », met en garde Pascal Gabriel, du cabinet Syndex, qui redoute qu’il ne devienne « un instrument de gestion, pénalisant pour les conditions de travail et l’emploi ». La porte ouverte à toutes les dérives ? Stéphane Béal, directeur du département Droit social de Fidal est plus modéré : « Des abus, il y en aura forcément. Est-ce parce qu’un automobiliste conduit en étant ivre qu’il faut interdire les voitures ? », souligne-t-il, rappelant par ailleurs que l’APC ne découle pas d’une décision unilatérale de l’employeur mais est le fruit de la négociation collective. « 142 accords au mois d’avril, ce n’est pas non plus un raz-de-marée », rappelle-t-il. Le flou juridique qui plane autour de la durée de la modification du contrat est plus préoccupant selon lui. Aussi conseille-t-il aux entreprises de compléter l’APC par un avenant au contrat afin d’éviter tout risque de dénonciation de l’accord, plus particulièrement lorsqu’il porte sur la mobilité.

Un danger de précarisation

Négociation certes, mais encore faut-il avoir les bons acteurs, remarque Luc Bérard de Malavas : « Dans les petites entreprises, or c’est là que sont signés la majorité des APC, les délégués du personnel, et même les délégués syndicaux, ne sont pas toujours suffisamment armés face à une direction qui présente un dossier déjà ficelé. On peut redouter une forme de chantage à l’emploi. » Une inquiétude que partage Pascal Gabriel : « Il est possible d’apporter beaucoup de protection, mais cela se négocie. Or dans les secteurs récents, comme les IT, où les forces syndicales sont plus faibles et déjà submergées par les objets de négociation, à commencer par la mise en place du CSE, le danger de précarisation reste grand tant pour les salariés qui partent que pour ceux qui restent ». Tout dépendra, en effet, de la façon dont les entreprises s’empareront de ce nouvel outil, et de leurs motivations…

Auteur

  • Nathalie Tran