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Le fait de la semaine

Apprentissage : Querelle sur les bons résultats

Le fait de la semaine | publié le : 16.09.2019 | Benjamin d’Alguerre

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Apprentissage : Querelle sur les bons résultats

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

458 000 apprentis à la rentrée 2019. « Un record », selon Muriel Pénicaud, qui attribue ce dynamisme retrouvé à sa loi Avenir professionnel dont on soufflait la première bougie le 5 septembre. Au grand déplaisir des régions qui estiment être les vraies initiatrices de ce nouveau départ.

L’embellie sur l’apprentissage, enfin ? En visite dans le Maine-et-Loire, le 5 septembre dernier, à l’occasion du premier anniversaire de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », la ministre du Travail Muriel Pénicaud s’est félicitée des bons chiffres de cette rentrée 2019. Au 30 juin, on comptait en effet 458 000 jeunes inscrits dans un cursus d’apprentissage, soit une hausse de 8,4 % (58 885 contrats signés) par rapport à 2018… Une année qui s’était déjà révélée faste pour ce mode de formation puisqu’elle avait enregistré une augmentation de 7,4 % des inscrits.

Cette remontada de l’apprentissage était déjà observable dès 2017, où 294 800 nouveaux contrats avaient été signés, portant le nombre total d’alternants et d’apprentis à 435 000 à l’époque. Un phénomène que la Dares (la direction des statistiques du ministère du Travail) attribuait alors essentiellement à l’expérimentation menée dans neuf régions autorisant l’entrée en apprentissage jusqu’à 30 ans au lieu de 25. « Après une baisse significative du nombre de signatures de contrats de 2012 à 2016, conséquence de la crise économique mais aussi de la déstabilisation des aides à l’apprentissage durant la première moitié du quinquennat Hollande, on a pu constater une stabilisation des chiffres en 2017 avant une reprise progressive en 2018 qui se poursuit en 2019 », note Catherine Elie, directrice des études et du développement au sein de l’Institut supérieur des métiers (ISM). « Toutefois, les chiffres ne sont pas encore revenus au niveau de 2012 », rappelle-t-elle. On comptait alors 470 000 jeunes engagés dans un cursus d’apprentissage.

Une embellie attendue

Aux yeux du ministère du Travail, en revanche, les chiffres favorables de la rentrée 2019 « sont le fruit des nouvelles libertés de choisir, de développer, de créer qu’offre la loi à tous les acteurs de l’apprentissage : jeunes, CFA et entreprises ». Et de citer les premiers effets de sa « révolution copernicienne » : 17 753 apprentis ayant reçu ou s’apprêtant à recevoir l’aide au permis de conduire (500 euros) pour favoriser leur mobilité, 35 081 aides uniques à l’apprentissage versées à 30 087 employeurs d’apprentis, 1 980 bourses Erasmus Pro accordées à des apprentis effectuant une partie de leur cursus en Europe, 57 000 jeunes prêts à s’engager dans 61 « prépa apprentissage » (ces « sas de transition » destinés à reconnecter des décrocheurs avec les savoirs de base avant qu’ils n’évoluent vers un cursus d’apprenti) et 554 nouvelles ouvertures de CFA enregistrées par les Direccte depuis la publication de la loi. Si les chiffres sont engageants, certains tempèrent les effets d’annonce. « Nous n’avons aucune information concernant la couverture sociale dont pourront bénéficier les jeunes entrant en prépa apprentissage. En l’absence de cadre, je ne peux pas me permettre d’en accueillir lors de cette rentrée », glisse un directeur de CFA de l’Ouest de la France.

D’autres relativisent le nombre d’ouvertures de nouveaux centres de formation. « On en compte 394 plutôt que 554 », calcule Eric Chevée, vice-président emploi-formation de la CPME, « certaines UFA – unités de formation d’apprentis – ont changé de statut et les chambres consulaires ont profité de la réforme pour rationaliser leurs réseaux », détaille-t-il. « Pour autant, ne boudons pas notre plaisir face aux bons chiffres : cela fait des années que nous attendions une embellie de l’apprentissage. Elle est enfin là », se félicite-t-il.

Des questions sans réponses

Les régions, en revanche, font grise mine en voyant le ministère du Travail s’attribuer ce qu’elles estiment être leur bilan. « On peut tout accepter, mais pas la malhonnêteté intellectuelle ! », s’agace David Margueritte, président de la commission formation de Régions de France et vice-président de la région Normandie. « Les conseils régionaux sont encore en charge de l’apprentissage jusqu’au 31 décembre : comment la ministre peut-elle attribuer ce nouveau dynamisme à sa réforme ? » Selon Régions de France, le crédit est davantage à porter aux efforts des exécutifs régionaux élus en 2014, toutes étiquettes politiques confondues. Et alors que les conseils régionaux vont devoir abandonner leur leadership en matière d’apprentissage au profit des branches au 1er janvier 2020, les annonces du ministère passent mal : « Ce coup de com’ n’est là que pour mieux masquer le fait que le gouvernement n’a toujours aucune réponse concrète à apporter aux inquiétudes des acteurs qui vont devoir appliquer cette réforme dès 2020 », grince Christelle Morançais, présidente des Pays-de-la-Loire. Car la passation de la compétence des régions aux entreprises laisse aujourd’hui des questions sans réponses : quid des aides régionales pour l’hébergement, la mobilité ou la restauration des apprentis, par exemple ? Certains conseils régionaux, comme les Hauts-de-France se sont engagés à les maintenir sur leurs propres budgets et les Opco auront la possibilité de les prendre en charge, mais en seront-ils capables financièrement ? Quid du maillage territorial des CFA ? Quid de la péréquation entre centres de formation alors que, selon David Margueritte, l’enveloppe que l’État compte confier aux conseils régionaux pour l’assurer devrait davantage approcher les 138 millions d’euros que les 150 prévus durant les débats sur la réforme ? Quid, enfin, de la prise en charge des contrats d’apprentissage signés en cette rentrée de septembre. Seront-ils financés selon les tarifs « au contrat » fixés en mars dernier par France Compétences ou selon les règles du « coût préfectoral », toujours en vigueur, mais bien moins avantageux pour les CFA ? Ce dernier débat empoisonne depuis quelques mois les relations entre les chambres de métiers de l’artisanat et la rue de Grenelle, mais les autres organisations patronales suivent aussi le dossier de près. Le trou dans la caisse pour les établissements frôlerait les 200 millions d’euros, selon les CMA. « Le ministère du Travail aimerait que la prise en charge au coût-contrat soit effective dès septembre, mais pour l’instant, Bercy bloque », lâche un membre du conseil d’administration de France Compétences. Bref, si les chiffres sont bons, les questions restent nombreuses.

Nouveau départ dans l’artisanat aussi

L’apprentissage dans l’artisanat connaît lui aussi un vif regain. Selon l’édition 2019 du baromètre ISM-MAAF publié début septembre, les inscriptions en première année pour les cursus menant aux métiers de l’artisanat ont grimpé de 3 % (75 370 apprentis inscrits en 2018 pour un total de 147 200, soit 34 % des apprentis). L’ISM enregistre une nette recrudescence des apprentis de plus de 25 ans (+ 51 %) aujourd’hui que la loi permet l’inscription jusqu’à 30 ans. « C’est surtout cette mesure qui porte la hausse », explique Catherine Elie, directrice des études et du développement au sein de l’ISM. Le retour à la croissance et la bonne santé du bâtiment expliquent aussi l’embellie : car si l’apprentissage dans les métiers de bouche n’a jamais été réellement affecté par la crise (et est donc demeuré stable), 2018 a vu d’autres secteurs attirer à nouveau les candidats : la maçonnerie (+ 9 %), l’installation électrique (+ 16 %), la réparation auto (+ 10 %) ou moto (+ 16 %).

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre