logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Chroniques

Bien faire son travail mais jusqu’où ?

Chroniques | publié le : 18.11.2019 |

Image

Bien faire son travail mais jusqu’où ?

Crédit photo

Xavier Alas Luquétas Associe-fondateur d’Éleas

Quand il est vu par le cinéma, le travail est souvent considéré sans nuance : on y découvre un système déshumanisé et aliénant pour les salariés. Mais est-ce vraiment de la caricature ?

Le film « Ceux qui travaillent », d’Antoine Russbach, fustige l’emploi, considéré à la fois comme valeur identitaire d’une vie et de plus en plus complexe à exercer avec des objectifs improbables et souvent contradictoires. Le long-métrage révèle les dommages collatéraux de la mondialisation et des évolutions du système : la placardisation des populations vieillissantes trop coûteuses à licencier, le sacrifice de leur vie privé auquel ils consentent pour rester dans la course, enfin leur déclassement à vitesse grand V lorsqu’ils se retrouvent sans emploi.

L’histoire de ce cadre modèle, gérant à distance une flotte de navires, surinvesti dans son travail aux dépens de sa vie de famille, aurait pu être banale. Sauf qu’une prise de décision impitoyable et sans concertation lui fait perdre sa dignité d’être humain – et son emploi.

Nous pensons que, dans le travail comme dans la vie courante, la grande majorité des personnes font du mieux qu’elles peuvent dans le contexte où elles se trouvent. Ce contexte, c’est d’abord un rapport à l’autre, à l’autorité, au travail, tel qu’on l’a élaboré avec sa famille. C’est aussi – et fréquemment – la nécessité d’assurer des revenus, un train de vie, à ses proches. Ces déterminantes pèsent sur les individus et les rendent plus ou moins perméables aux exigences de l’entreprise qui, d’ailleurs, ne sont généralement ni bonnes ni mauvaises : il faut faire plus, faire mieux ou plus vite… Ces règles sont généralement intériorisées par le salarié et se transforment en auto-injonctions. Il lui arrive même d’aller au-delà et d’entrer dans ce que le philosophe Frédéric Gros nomme la sur-obéissance.

Lorsque l’urgence ou l’isolement s’en mêlent, les dérapages, voire les dérives menacent. La rationalité, la capacité de jugement et la simple sagesse s’en trouvent altérées. Alors, la décision cesse d’être réfléchie pour laisser la place à une impulsivité souvent animée par une crainte ou un a priori enraciné. À moins que ce ne soit la routine qui s’impose comme la moins gênante des solutions.

Sans parvenir au dénouement extrême de « Ceux qui travaillent », on comprend alors mieux comment celui qui se veut respectueux des règles et/ou dans une posture de loyauté vis-à-vis de son entreprise, peut être amené, sans pour autant être le « salaud de service », à basculer dans l’autoritarisme, la maltraitance ou le harcèlement. Nos rencontres avec des personnes qui ont « dérapé » nous confortent dans l’idée que l’individu – quelle que soit sa position hiérarchique – est le plus souvent agi par les règles des systèmes auxquels il appartient, plutôt que par la logique de sa raison. Particulièrement dans des contextes d’urgence et de crise. Néanmoins, sa responsabilité demeure, même – et c’est là que la chose peut être cruellement ressentie – vis-à-vis de l’entreprise qui souvent se considérera elle-même comme victime de ses agissements.

L’issue pour nos organisations serait selon nous d’introduire – grâce à des groupes de pairs et à la désignation de référents – une réflexion sur l’éthique du travail, et surtout d’en permettre la mise en pratique à tous les niveaux de l’entreprise (direction, managérial, RH…) pour éclairer les décisions et permettre une meilleure prévention et régulation en interne des situations complexes. Faute de quoi, dans une période où la réactivité prend le pas sur des pratiques d’entreprises de moins en moins pensées, le mode « action-réaction », conjugué à l’inintelligence artificielle, pourrait bien nous transformer en sujets aliénés d’un jeu vidéo planétaire.