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Le fait de la semaine

Dialogue social : CSE : le rendez-vous manqué ?

Le fait de la semaine | publié le : 06.01.2020 | Benjamin d’Alguerre

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Dialogue social : CSE : le rendez-vous manqué ?

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Renouveau du dialogue social ou coup d’épée dans l’eau ? Au 1er janvier 2020, toutes les entreprises de plus de 11 salariés doivent avoir mis en place leur CSE. Mais les procès-verbaux de carence se multiplient et, côté dialogue social, l’imagination est loin d’être au pouvoir…

Les ordonnances de réforme du Code du travail de septembre 2017 devaient offrir une liberté nouvelle aux partenaires sociaux dans les entreprises en fusionnant les anciennes instances représentatives du personnel (IRP) au sein d’une nouvelle structure unique, le comité social et économique (CSE). La promesse de l’exécutif, à l’époque, était ambitieuse : libérer les énergies, instaurer un nouveau dialogue social souple et innovant, moins formalisé et moins « techno » qu’hier, et permettre ainsi aux entreprises de mieux s’armer face aux transformations – numériques, environnementales, etc. – qui les attendent dans un monde globalisé. Patatras ! Deux ans plus tard, force est de constater que le compte n’y est pas. Mi-décembre 2019, à quelques jours de la date butoir du 1er janvier 2020 à laquelle toutes les entreprises de plus de 11 salariés devaient avoir adopté les nouvelles règles, un certain cafouillage était toujours de mise. Et ce, malgré un ultime « questions-réponses » de la Direction générale du travail (DGT), publié le 18 décembre, rappelant les entreprises à leurs obligations, en signifiant notamment, à celles qui auraient pu être tentées de réclamer un délai supplémentaire après la deadline, l’interdiction formelle de proroger les mandats d’élus après le 31 décembre 2019. Sursis inenvisageable.

Manque de candidats

Problème : si les derniers chiffres du ministère du Travail dévoilés le 15 décembre faisaient état d’environ 50 000 CSE installés dans la dernière ligne droite, il apparaît que 15 % à 20 % des entreprises n’avaient pas encore établi le leur à 15 jours de l’échéance. Pire : 21 000 employeurs avaient à cette date transmis aux Direccte un procès-verbal de carence indiquant l’impossibilité de mettre en place un tel comité chez elles, faute de candidats pour occuper les mandats requis. Sans surprise, les structures de moins de 50 salariés sont, de très loin, les plus concernées. Autre mauvais signe pour le développement du dialogue social, une étude publiée par la CFDT à l’été 2019 indiquait que seuls 10 % des CSE avaient fait l’objet d’une négociation entre les partenaires sociaux. « Dans leur très grande majorité, ils ont été mis en place à l’initiative des seules directions. Et celles-ci se sont souvent contentées d’appliquer stricto sensu le contenu des ordonnances », déplore l’expert en relations sociales Hubert Landier. En contradiction flagrante avec l’intention initiale du gouvernement qui espérait voir les employeurs se saisir de cette opportunité d’adapter leur dialogue social à leur réalité de terrain.

Réduction des coûts

« Les entreprises se sont surtout engagées avec l’idée de réduire les coûts liés au dialogue social. On estime qu’entre un tiers et les deux tiers des mandats existants ont disparu à l’occasion du passage des anciennes IRP aux CSE », constate Jean-Pierre Yonnet, président du cabinet de conseil RH Orseu. Marcel Grignard, membre du comité de suivi des ordonnances, confirme cette orientation purement comptable prise par les employeurs : « Lorsque des négociations ont eu lieu, les directions ont privilégié la rationalisation du dialogue social et des moyens accordés aux représentants du personnel. Face à cela, les organisations syndicales ont surtout cherché à préserver ces moyens. Rares sont les négociations traitant de l’amélioration du dialogue social », regrette cet ancien secrétaire général adjoint de la CFDT. Surtout, le peu d’importance que les entreprises semblent accorder à cette nouvelle instance peut expliquer qu’elles aient choisi de procrastiner et d’attendre le dernier moment pour se mettre en conformité avec la loi. Ce que tend à prouver l’avalanche d’accords CSE enregistrés sur la base de données Légifrance dans les derniers mois de l’année 2019.

De rares exemples de mieux-disant

Bien sûr, des contre-exemples existent. Mais de façon marginale. Bosch, la SNCF, Solvay, ETAM, la MAIF, Renault ou Naval Group ont signé des accords orientés vers un mieux-disant social par rapport au seul contenu supplétif des ordonnances. Chez Naval Group, où les nouvelles instances ont vu le jour dès octobre 2018, chacun des 9 CSE de l’entreprise et le CSE central se sont vus assortis de commissions ad hoc dédiées à la situation économique, industrielle, à l’emploi, la formation et les compétences, aux œuvres sociales et même, à la demande d’un des syndicats représentatifs du groupe, aux réclamations individuelles et collectives. Quant à la commission SSCT, ses prérogatives ont été élargies puisqu’elle est associée aux plans de préventions et aux enquêtes sur les accidents du travail. Autre initiative : une « clause de revoyure », programmée pour début d’année 2020, occasion de tirer le bilan de fonctionnement de la première année de l’instance et de ses commissions et de « et au besoin, engager une nouvelle négociation pour apporter les ajustements nécessaires », indique Jacques Ziouziou, directeur de la politique sociale du groupe. C’est cependant loin d’être une tendance lourde au sein des CSE et plutôt un privilège réservé aux grands groupes ayant une forte culture du dialogue social. Ailleurs, c’est plutôt le règne du moins-disant qui s’applique « Très souvent employeurs et représentants des salariés ont tendance à reproduire le schéma existant avec des CE, des CHSCT, des DP, oubliant parfois leurs limites », observe Marcel Grignard. « Il existe une corrélation entre qualité du dialogue social et résultats économiques de l’entreprise, mais manifestement, les employeurs ne l’ont toujours pas compris », souligne Hubert Landier. Avec des risques pour l’avenir des entreprises lorsqu’elles devront s’adapter aux nouvelles contraintes énergétiques ou environnementales et disposeront de peu d’endroits pour en discuter avec leur personnel…

Professionnalisation du dialogue social

Mais le sujet le plus épineux pour de nombreux élus reste l’avenir des conditions de santé et de sécurité au travail, maintenant que le CHSCT a été renvoyé aux oubliettes, remplacé par une CSSCT dotée de moins de prérogatives et privée, notamment, de son droit d’alerte. Le 19 décembre, le cabinet Secafi tirait la sonnette d’alarme sur le fait que le « questions-réponses » du ministère prévoit de réserver les formations « santé-sécurité » de 3 à 5 jours aux seuls élus des CSSCT et non plus à ceux du CSE dans son ensemble. « Quand on réduit le CHSCT à une simple commission annexe du CSE, on l’affaiblit », abonde Jean-Pierre Yonnet. Un affaiblissement susceptible d’avoir des conséquences avec une augmentation du nombre d’accidents du travail et des risques psychosociaux. « Je ne suis pas convaincu que ces sujets seront mis de côté », objecte Christian Pellet, président du cabinet Sextant Expertise, « ils seront simplement traités à l’échelle du CSE où les élus ont davantage de prérogatives que n’en avaient ceux des anciens CHSCT ». Et certains d’accuser les cabinets de conseil RH spécialisés dans le conseil à ces instances – dont le chiffre d’affaires a parfois baissé de 40 % depuis les ordonnances – d’entretenir artificiellement la polémique. Pour Hubert Landier, le risque est cependant de voir disparaître une instance « peu polémique » qui avait la vertu d’être formatrice pour de nouveaux élus. « Cela – et la réduction du nombre de représentants de proximité – pourrait entraîner une professionnalisation du dialogue social, confiné entre les seules mains d’un petit nombre d’élus du CSE éloignés du terrain et finit par créer un dialogue complètement hors-sol », avertit l’expert en relations sociales. L’avenir dira si les CSE seront les instances boiteuses que certains prédisent ou si les partenaires sociaux les reprendront en main pour les faire fonctionner.

Erratum : Dans notre article sur les écarts de salaires entre femmes et hommes (Entreprise &Carrières n° 1460-1461 du 16 décembre 2019), en page 4, il fallait lire : « L’analyse des salaires par secteurs montre un écart de près de 87 % entre les secteurs qui rémunèrent le mieux et ceux qui allouent les plus bas salaires. » Cet écart est global et n’est pas lié au sexe. L’écart maximal entre les salaires des femmes et des hommes d’un même secteur est bien de 60 % comme indiqué dans le titre de notre article.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre