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Entretien avec Jean-Marie Marx : « Nous sommes un laboratoire pour faire évoluer la formation professionnelle »

Le point sur | publié le : 20.01.2020 | Benjamin d’Alguerre, Laurence Estival

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Entretien avec Jean-Marie Marx : « Nous sommes un laboratoire pour faire évoluer la formation professionnelle »

Crédit photo Benjamin d’Alguerre, Laurence Estival

Près de deux ans après son lancement par Muriel Pénicaud, le Plan d’investissement dans les compétences (Pic) a permis à plus de 600 000 jeunes décrocheurs et demandeurs d’emploi peu qualifiés de suivre une formation. Un dispositif innovant qui crée une nouvelle dynamique, comme le détaille le haut-commissaire aux compétences et à l’inclusion par l’emploi Jean-Marie Marx.

Où en est aujourd’hui le Pic lancé début 2018 ?

Le Pic qui court sur les années 2018 à 2022 prévoyait une montée en puissance progressive. Nous avions fixé comme objectif la formation de 200 000 jeunes et demandeurs d’emploi peu qualifiés en 2018 et de 400 000 personnes en 2019. Le premier objectif a été atteint et le second sera largement dépassé. Pour les trois prochaines années, ce sont également 450 000 personnes supplémentaires qui seront accompagnées pour acquérir de nouvelles compétences. Nous avons réussi d’ores et déjà à atteindre ce rythme de croisière afin de toucher les 2 millions de jeunes sans qualifications et demandeurs d’emploi à l’issue du Plan d’investissement en 2022. En matière de publics ciblés, les objectifs ont là aussi été respectés : dans la quasi-totalité des cas, les bénéficiaires sont des personnes vulnérables ayant un niveau inférieur au bac. Les demandeurs d’emploi des zones rurales et des quartiers prioritaires de la ville sont bien représentés.

Tous les acteurs concernés ont-ils joué le jeu ?

Concernant les projets nationaux, ce sont 500 porteurs de projets qui ont répondu aux appels à projets d’innovation et sur ce total, 192 ont été retenus : 21 dans le cadre de l’appel à projets “100 % inclusion”, en attendant les prochains dossiers pour mi-février ; 55 pour favoriser l’insertion des réfugiés et 116 sur les prépas en apprentissage. Il existe aussi un appel à projets « Soutien aux démarches prospectives compétences » relatif au développement de la GPEC au niveau des branches professionnelles pour lequel nous avons sélectionné une trentaine de lauréats sur une cinquantaine de propositions. Nous avions enfin lancé un appel d’offres déconcentré concernant le repérage et la mobilisation des publics « invisibles » (pour la plupart des jeunes de 16 à 29 ans échappant aux radars des acteurs de l’emploi et de l’insertion, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les zones périphériques rurales) qui a permis de retenir plus de 200 projets. À ce stade, nous tablons sur près de 132 000 entrées prévisionnelles dans l’intégralité de ces projets sur toute la durée du Pic. Évidemment, les Pactes régionaux (Pric) jouent aussi un rôle essentiel. Tous les partenaires sont extrêmement mobilisés : conseils régionaux et services de l’État en région bien entendu, mais également les directions régionales de Pôle emploi (en particulier celles qui portent le Pacte en Auvergne-Rhône-Alpes et PACA, mais pas exclusivement), et plus largement les acteurs du service public de l’emploi, les organismes de formation… Nous nous réunissons régulièrement avec nos partenaires régionaux – à la fois pour suivre la réalisation des entrées en formation et le respect des priorités fixées par le Plan d’investissement, mais également pour partager les bonnes pratiques et essaimer.

Le Pic prévoyait de favoriser le déploiement d’initiatives innovantes. Pouvez-vous en faire un premier bilan ?

Cette partie « innovation » du Pic est centrale. Les Pactes consacrent ainsi 7 % à des dépenses d’ingénierie pour faire émerger de nouvelles façons de faire, pour imaginer et traduire en actions des innovations pédagogiques ou de parcours. Les Pactes offrent aux acteurs une certaine latitude pour traduire ce volet dédié aux innovations, notamment dans le cadre d’appel à projets afin de favoriser une véritable R &D sociale. Tous ces projets font l’objet d’un suivi : la DGEFP a mis en place des « labs » avec les porteurs de ces projets et – c’est une nouveauté ! – des comités de bénéficiaires pour repérer les sujets qui posent problème. Nous suivons également avec une grande attention ces projets régionaux, car ils nous apportent une vue panoramique sur tout ce qui est en cours. Les régions apprécient d’ailleurs cet exercice. Il nous permet de repérer des pépites qui sortent du cadre et qui pourraient être « exportées » dans d’autres régions !

Pourriez-vous donner quelques exemples des « pépites » que vous avez repérées ?

La Nouvelle-Aquitaine a par exemple expérimenté un système qui permet à tout participant à une formation de l’arrêter s’il trouve un emploi puis de la reprendre dans les 24 mois si nécessaire sans perdre le bénéfice de ses acquis. C’est une façon de répondre au problème d’évaporation des personnes en formation souvent observé et de sortir d’une logique de « tout ou rien ». En Occitanie, la région a développé un observatoire Occitanie 4.0 qui compare, par analyse textuelle, les compétences demandées dans les offres d’emploi et celles proposées dans les programmes de formation financés par la région. Cet exercice de matching montre un bon taux de recouvrement, de l’ordre de 70 % à 80 %, et permet d’engager, sur cette base, un dialogue avec les branches et les organismes de formation pour enrichir les programmes des compétences manquantes (les 20 % à 30 % restants). On retrouve des projets similaires en Hauts-de-France et en région Grand Est.

Certaines expérimentations recueillent-elles une attention plus spécifique ?

Nous accordons une importance toute particulière à deux sujets : la capacité de la commande de formation à s’adapter de façon agile pour tenir compte des nouveaux besoins de compétences des entreprises, grâce notamment à la modularisation de la formation et à la logique de bloc de compétences ; d’autre part, le décloisonnement des espaces-temps de formation, à travers la sécurisation des périodes intermédiaires entre deux formations, les logiques d’entraînement post-formation, ou encore l’accompagnement qui se prolonge lors des premiersmois du contrat de travail…

Les entreprises sont-elles aussi parties prenantes ?

Elles deviennent un acteur clé notamment pour les actions de formation centrées sur les besoins des secteurs qui connaissent des tensions au recrutement ou dans le cadre de formations en situation de travail. Je pense en particulier au programme Défi, engagé en Centre-Val de Loire qui a permis de financer des actions « sur mesure » construites avec les entreprises qui connaissent des difficultés de recrutement dans chacun des 69 bassins de la région. En contrepartie, l’entreprise s’engage à embaucher les personnes formées. Nous avons par exemple visité une société de transports urbains qui a de forts besoins de recrutement sur des postes de chauffeurs de bus. Il s’agit d’une qualification rare, la plupart des conducteurs étant plutôt spécialisés dans les déplacements intercités. Il a fallu inventer la formation adéquate, sourcer les candidats et les former. Ils en sont à la seconde promotion. Dans le Grand Est, le programme « Des étoiles et des femmes » vise, sous l’égide d’Alain Ducasse, à former des femmes des quartiers demandeuses d’emploi aux côtés de grands chefs avec une promesse d’embauche à la clé. Au niveau national, nous avons le projet de créer une plateforme collaborative pour que les acteurs puissent échanger, construire ensemble, s’entraider, essaimer les actions les plus innovantes…

Le Pic permet-il aux acteurs de la formation, de l’emploi et de l’insertion de développer leurs propres compétences ?

Le Plan d’investissement dans les compétences ne se fixe pas qu’un objectif quantitatif, mais également de faire autrement, de transformer le système. Il invite à travailler sur le fond. La montée en puissance du Pic nous permet de devenir aussi plus opérationnels et de réfléchir sur de nouveaux sujets tels l’Afest (Action de formation en situation de travail) pour les demandeurs d’emploi. Nous devons définir un cadre méthodologique pour former les chômeurs grâce à ce dispositif initialement conçu pour des salariés en poste. Nous nous sommes rendu compte que la formation professionnelle était en retard par rapport à ce qui se passe en formation initiale, sur l’apport des sciences cognitives à la pédagogie. Nous allons aussi travailler avec trois Carif-Oref sur une lecture sectorielle des programmes de formations des demandeurs d’emploi sur le périmètre des nouveaux Opco. Le fameux exercice de croisement branches/territoires est ainsi en train d’être réalisé. L’impact du Pic va donc au-delà des actions qui lui sont directement liées.

C’est-à-dire ?

Une des nouveautés était d’entrer dans une logique de compétences et d’améliorer la capacité du système de formation à préparer l’avenir, notamment en s’appuyant sur de nouvelles démarches prospectives, soutenues par la data et le prédictif, pour préparer les compétences du futur.

Était-ce vraiment nouveau ?

Oui, la loi permet de franchir clairement un cap déterminant en généralisant la logique de blocs de compétences et le Plan d’investissement permet d’expérimenter des actions concrètes. Cette logique de compétence transforme radicalement la façon d’envisager les formations et permet de faire évoluer l’offre. Le Pic incite les acteurs à mettre en place des méthodes agiles pour identifier, répondre aux besoins et accompagner toutes ces transformations et nous sommes devenus nous-mêmes un laboratoire sur la manière de faire évoluer la formation dans son ensemble.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre, Laurence Estival