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Le grand entretien

« Les robots vont rapidement se diffuser en France »

Le grand entretien | publié le : 02.03.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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« Les robots vont rapidement se diffuser en France »

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Singapour voit se multiplier les robots dans les activités de service. Une étude à paraître en mai 2020 dresse le bilan de cette évolution qui semble positive, à condition que les intérêts des acteurs en présence soient alignés. Ronan Jouan de Kervenoael, l’un des auteurs de l’étude, a accepté de revenir sur l’ensemble des enjeux associés à ce processus.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au cas de Singapour ?

J’ai étudié en 2019 l’introduction à Singapour de robots dans les activités de services – hôtels, restaurants, musées, parcs d’attractions – qui entraîne un changement radical pour les salariés ayant des tâches répétitives, souvent faiblement rémunérées et avec une forte saisonnalité. Premièrement, dans de telles conditions, il est difficile de recruter et de conserver les salariés qui ont souvent aujourd’hui un niveau de formation initial élevé. Deuxièmement, l’attitude des consommateurs tend à favoriser l’introduction des robots. Beaucoup en ont assez du « self-service technology ». Que ce soit dans les banques ou les aéroports, ils se retrouvent seuls face à des machines, sans aucune présence humaine. Les conséquences sont généralement négatives. Certains consommateurs augmentent leur recours au petit commerce local ; d’autres préfèrent avoir un échange vocal par téléphone plutôt que d’appuyer sur des boutons… mais surtout il y a une grande part qui abandonne tout simplement les démarches, ce qui provoque un manque à gagner conséquent. Ainsi, l’étude montre que les clients dans les services à Singapour attendent beaucoup des échanges avec les employés. Cela représente la qualité et reflète l’innovation dans les prestations de service, donnant donc au relationnel une importance croissante.

Quelle est l’utilité réelle des robots ?

Les robots ont une double utilité. D’un côté, prendre en charge les tâches répétitives et standardisées, et ainsi constituer un espace de temps pour les employés afin qu’ils/elles puissent être face à face avec les consommateurs au lieu de dispositifs automatisés. De l’autre, aider les employés à mieux remplir leur mission, les laissant se concentrer sur les clients et non sur les fonctions sans valeur ajoutée. Les robots les débarrassent des activités inintéressantes et fournissent des informations précises en temps réel qui viennent améliorer les échanges avec les clients. En libérant les employés des tâches monotones, les robots augmentent le temps que les salariés consacrent au relationnel avec le client, là où se trouve la valeur durable. Aujourd’hui, c’est la définition même de la notion de service 4.0 qui doit être redéfinie. Comment, donc, créer les conditions pour une relation client-employé plus intéressante et qui enrichisse les expériences de tous les acteurs ?

Vont-ils remplacer les employés ?

Non, les robots sont une opportunité pour l’entreprise car ils vont faciliter les recrutements en prenant en charge les tâches ingrates et améliorer les conditions de travail et le bien-être des employés. Cela va valoriser la partie humaine des tâches mais aussi favoriser la formation et la valorisation durable des employés. Aujourd’hui, à Singapour, l’enjeu des hôtels est de rendre les employés plus visibles, de les plonger parmi les clients. Par exemple, certains employés informent les clients sur les activités possibles, les restaurants du moment, etc. Ce sont des informations de première main qui ne se trouvent pas dans les guides. Ils apportent une solution flexible, agile, adaptée, en temps réel, qui inclut un relationnel souvent absent des sites d’évaluation. La formation de ces employés est donc conçue en fonction des demandes des clients et pensée dans une optique globale d’écosystème. Il s’agit de « valoriser » Singapour, de présenter un ensemble cohérent de l’offre disponible. Dans un tel schéma, les employés sont aussi les relais des visiteurs, ce qui crée une boucle. Enfin, même si les clients ont encore besoin des employés pour surmonter parfois une certaine peur du contact direct avec les robots, ces machines sont aussi un facteur marketing d’attractivité incluant une dimension ludique.

Quelles répercussions aura la présence des robots sur les groupes de travail ?

Un tel système va modifier la formation et l’apprentissage. Aujourd’hui, à Singapour, ce sont souvent des employés plus jeunes qui enseignent à leurs managers plus âgés. Pour les managers, cette évolution est complexe car ils ont été formés à l’école hôtelière classique, or ils doivent gérer beaucoup d’employés tout en assimilant les nouvelles technologies et les changements qu’elles suscitent. Les employés deviennent un levier de créativité pour proposer de nouveaux services. Par exemple, les robots créent une visibilité sur les réseaux sociaux et les employés sont les vecteurs de cette visibilité, en postant des photos ou en aidant les clients à en prendre. Les réseaux sociaux étant en activité permanente, cela pousse les entreprises à inclure dans le temps de travail les échanges sur les réseaux sociaux hors de l’activité habituelle, ainsi que le temps que consacrent les salariés pour aller découvrir l’écosystème afin de mieux répondre aux questions des visiteurs. Les managers admettent qu’un salarié sur son portable peut (doit) exercer une activité de valorisation. Ces nouveaux usages ont poussé certaines entreprises à fournir des téléphones à leurs salariés ou à les indemniser en échange de l’usage professionnel de leur téléphone personnel. Des formations sont proposées afin que leurs employés prennent des photos de meilleure qualité et apprennent la création de contenus en ligne.

Quand la France sera-t-elle concernée ?

Demain, les robots vont rapidement se diffuser en France. Le secteur des services va pouvoir attirer des personnes plus diplômées en mettant en avant la fin des tâches ingrates et répétitives mais aussi des perspectives d’évolution en interaction avec les robots. Pour les managers, ce sera plus difficile car ils devront repenser le rôle des employés or la France est souvent un pays très vertical et administratif où les salariés sont obligés de faire toujours la même chose. C’est ce type de stratégie qui trop souvent suscite une peur de devenir obsolète et d’être remplacé par des robots et non une collaboration productive. L’entreprise doit devenir un lieu où les salariés apprennent et ces acquisitions doivent être intégrées avec les technologies. Les entreprises sont encore trop souvent rivées sur le court terme mais elles vont devoir changer car les jeunes choisissent désormais leur travail en fonction de la qualité de vie qu’ils souhaitent. Compte tenu de l’évolution de la pyramide des âges, les jeunes diplômés se sentent en position de force. À l’horizon 2050, au moins un tiers de la population aura 65 ans et plus ! Les RH ont tout intérêt à recruter des jeunes créatifs, porteurs de projets, qui veulent intégrer les technologies. Les entreprises qui attirent ces jeunes sont celles qui mettent en avant des valeurs, jouent la carte de la transparence et les laissent innover. L’enjeu clé des RH dans les années à venir sera de conserver les talents car c’est en les gardant que la robotisation sera possible.

Source : « Leveraging human-robot interaction in hospitality services : Incorporating the role of perceived value, empathy, and information sharing into visitors’ intentions to use social robots », R. de Kervenoael, R. Hasan, A. Schwob, E. Goh, Tourism Management (78) à paraître en mai 2020.

Parcours

Ronan de Kervenoael est un professeur de marketing à Rennes School of Business (RSB). Il est titulaire d’un doctorat en géographie humaine de l’université de Sheffield (Royaume-Uni), ainsi que d’un master en commerce international et finance de l’université de Lancaster (Royaume-Uni), Avant de rejoindre RSB, il a également enseigné à Lancaster University (Royaume-Uni), Tech de Monterrey (Mexico), Singapore Institute of Management (Singapour) et Sabanci University (Turquie). Il est spécialiste du marketing digital, de la grande distribution et des services. Ses travaux de recherches portent principalement sur la compréhension des dynamiques de la technologie d’un point de vue socioculturel (par exemple IoT, robots, IA) par les différents acteurs. Ses travaux ont été publiés dans un grand nombre de revues, y compris Environment & Planning A, World Development, European Journal of Operational Research, Information Technology & People, Journal of Retailing and Consumer Services, Service Industries Journal, Telecommunication Policy, International Journal of Retail Distribution Management, Consumption Markets & Culture et Tourism Management.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins