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Le confinement, paroxysme de la crise de la relation ?

Chroniques | publié le : 20.04.2020 |

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Le confinement, paroxysme de la crise de la relation ?

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François Silva Directeur de la recherche et du corps professoral de l’ICD Chercheur au Laboratoire du DICEN du Cnam

Voilà 25 ans, Philippe Breton1 faisait déjà le constat que le développement de ce que l’on n’appelait pas encore le numérique, mais nouvelles technologies de l’information et de la communication, nous entraînait dans un type de « société est de plus en plus communicante, mais de moins en moins rencontrante ». La crise du coronavirus, avec le confinement, constitue pour la plupart d’entre nous, une lourde et constante utilisation des outils sociaux et collaboratifs tant dans nos sphères personnelles que professionnelles avec une pratique systématique du télétravail pour près de 40 % des salariés.

Quels sont les dangers pour nous de vivre dans une société dont ses membres deviennent de plus en plus communicants et de moins en moins rencontrants ? Cette crise développe une distanciation sociale qui éloigne les gens entre eux. Beaucoup ont peur de rencontrer leur semblable. Il faut se rappeler que l’étymologie de rencontre correspond à « l’action de combattre ». Montaigne écrit dans Les Essais qu’une rencontre est contre quelqu’un. Cela correspond à la façon dont l’étranger était à priori tenu en suspicion dans les sociétés féodales. La personne différente n’était pas loin d’être considérée comme hérétique.

Tout autre se situe la rencontre dans nos sociétés modernes. Elle s’ancre sur le principe que tout être humain est construit par les sollicitations générées par les interactions apportées par Autrui. Autrui apporte la chaleur affective2 dont chacun a besoin. Les orphelins de Ceausescu3 nous ont appris de la nécessité pour tout être humain de se « nourrir » des relations avec Autrui. Ainsi, si l’on se construit aussi contre4 Autrui, la rencontre c’est d’abord une relation avec Autrui. Nous voyons émerger des relations (religare5) entre pairs. Ces liens libèrent, car ils sont l’oxygène de tout être humain permettant la dynamique de sa construction à travers sa relation avec Autrui. En effet, chacun offre à l’autre par leurs échanges un miroir de lui-même, facteur d’amélioration et de remise en question, d’apports… Ces liens nécessitent constamment d’être entretenus, pérennisés, développés. L’adulte a besoin de ces rencontres régulières avec Autrui. Cela nécessite souvent du temps pour construire une relation même si l’authenticité permet d’aller très vite à l’essentiel.

Avec le confinement, les outils numériques ont constitué le vecteur de relation entre tous les Français. Teams, Zoom, Whatsapp, Skype, Twitter ou Facebook sont devenus la base de leur communication entre eux. La question pour nos compatriotes n’est pas tellement de recevoir des messages ou d’en diffuser, mais d’entrer en relation entre eux. Ces outils numériques génèrent-ils ainsi de riches pratiques relationnelles ? N’y aurait pas une « consommation » des relations ? Chacun fait une grande utilisation de ces outils pour échanger des messages, mais aussi partager ses sentiments avec Autrui. On se parle, on se voit par écran interposé. Le danger de ces outils concerne la superficialité des échanges. Les relations tant professionnelles que personnelles correspondent à des liens qui souvent ne sont pas pérennes. Si on les compare avec quelques décennies en arrière, les relations sont éphémères même si elles peuvent être intenses et empathiques. Relations Téfal !

Mais surtout, la crise du coronavirus risque de constituer un retour de la rencontre comme celle d’un combat dans lequel on a peur d’Autrui, chacun se méfie de tous. Avec la complicité des outils numériques, chacun se renferme sur lui-même. Nous deviendrions ainsi de nouveaux Robinson Crusoé. Mais quelle société voulons-nous ? Celle d’un individualisme exacerbé ou une société construite sur des relations de coopération et de sociabilité générant des liens basés sur une reconnaissance réciproque de chacun des acteurs.

À nous de décider de notre futur !

(1) L’Utopie de la communication, La Découverte, 1995

(2) Boris Cyrulnik, La nuit, j’écrirai des soleils, Odile Jacob, 2019

(3) Les orphelinats roumains n’ont pas eu les caresses et les sollicitations affectives que donnent parents et proches. Le résultat : des enfants encagés aux regards hagards, des enfants éteints de l’intérieur.

(4) C’est l’opposition dans laquelle se construit l’adolescent.

(5) Religare qui est aussi l’étymologie de religion, le lien entre l’Humain et Dieu.