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Le grand entretien

« Les problématiques de santé au travail sont encore plus présentes pendant la pandémie »

Le grand entretien | publié le : 20.04.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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« Les problématiques de santé au travail sont encore plus présentes pendant la pandémie »

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

En adaptant les missions des services de santé au travail, l’ordonnance n° 2020-386 du 1er avril modifie les priorités des médecins du travail, désormais mobilisés dans la lutte contre le Covid-19. Pour Jean-Marie Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST), ce texte présente des points positifs, mais aussi des zones d’ombre qui exigent une clarification.

Quel rôle doit jouer la médecine du travail dans la crise que traverse le pays ?

Les services de santé au travail (SST) doivent tenir toute leur place dans la lutte contre l’épidémie et être aux premiers rangs. Il est essentiel qu’ils se mobilisent pour proposer une véritable politique de prévention, répondre aux besoins et aux demandes collectives et individuelles. Les médecins du travail doivent être à leur poste (ou dans la réserve sanitaire) et pouvoir continuer à remplir leurs missions, car les problématiques générales de santé au travail (maintien dans l’emploi, risques professionnels) n’ont pas disparu du fait de la pandémie.

L’ordonnance adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire va-t-elle dans le bon sens ?

Certains points sont positifs. Cette ordonnance va à l’encontre des précédentes recommandations du ministère du Travail, que nous avions trouvé irresponsables. Elles préconisaient d’effectuer toutes les visites prévues, y compris celles, par exemple, d’aptitude cariste, ce qui était complètement en décalage par rapport à la situation. Nous regrettons cependant que l’article premier de l’ordonnance évoque les services de santé au travail dans un seul rôle d’appui aux entreprises et non d’appui aux salariés. Or notre rôle est bien de protéger la santé des salariés et non pas d’appuyer des politiques de sélection des personnels ou de fournir des conseils pour augmenter la productivité. Cet article premier de l’ordonnance peut paraître ambigu, car il n’évoque pas les salariés ni la possibilité pour eux de demander un rendez-vous avec le médecin du travail. Notre rôle de premier recours du salarié est mis sous l’éteignoir.

Quelles autres dispositions vous semblent-elles discutables ?

Dans son article 2, cette ordonnance déroge au Code de la sécurité sociale en autorisant le médecin du travail à prescrire des arrêts de travail « en cas d’infection ou de suspicion d’infection au Covid-19 » et à procéder à des tests de dépistage.

La possibilité de prescrire des arrêts de travail nous a laissés dubitatifs. L’arrêt de travail est du ressort des médecins de soins s’ils estiment que le salarié a besoin de cesser son activité. S’il s’agit de mettre à l’arrêt les salariés pour protéger leur santé, ce peut être positif, mais il est à remarquer que le médecin du travail ne pourra prescrire d’arrêts qu’aux salariés infectés par le Covid-19 ou suspectés de l’être et non aux salariés fragiles. Cette possibilité a été ouverte pour être utilisée au moment du déconfinement. Le médecin du travail sera dès lors chargé de dire qui peut ou ne peut pas reprendre le travail par rapport à des suspicions d’infection au Covid-19 alors que le rôle du médecin du travail est d’éviter l’altération de la santé du fait du travail. Avec cet article 2, la médecine du travail se retrouverait dans la situation de sélectionner les gens qui peuvent travailler. Nous renouerions avec la plus pure tradition hygiéniste française qui a marqué les débuts de la médecine du travail à la fin des années 40, où la médecine du travail avait pour mission d’extraire les salariés tuberculeux du milieu du travail. Le rôle des médecins du travail ne sera-t-il que d’extraire du milieu du travail les salariés infectés par le Covid-19, ce qui expliquerait la possibilité de procéder à des tests ? Ce n’est pour l’instant qu’une hypothèse puisque les décrets ne sont pas sortis, mais le risque est là.

Quels éléments devrait contenir le décret en préparation sur les conditions d’application du présent article pour écarter un tel risque ?

Plusieurs éléments auraient dû ou doivent être réunis à mon sens. Tout d’abord, il aurait fallu une véritable concertation entre les ministères et les professionnels de santé au travail. Le décret doit définir qui fait quoi et avec quel statut. Il doit garantir le droit des personnes et l’indépendance du médecin dans sa prise de décision. En période de crise sanitaire, les obligations déontologiques et les valeurs de métier, dont le Conseil de l’ordre a rappelé l’importance et la nécessité du respect, ont tendance à être négligées. Nous sommes d’ailleurs mal compris quand nous entendons les rappeler. Les médecins du travail, comme tous les médecins, peuvent être mobilisés dans des actions de santé publique, comme ce fut le cas lors de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1/N1). Ils tiendront leur place. S’il s’agit de leur demander de procéder à des tests et de prescrire des arrêts, nous désirons que ce soit dans le cadre d’une réquisition, de façon à bien séparer ce qui relève de cette situation exceptionnelle de mobilisation de tous les médecins et ce qui est le rôle de la médecine du travail qui est la protection des travailleurs contre les risques liés au travail. Nous souhaitons ardemment que, pendant cette période particulière, soit maintenue notre activité propre, car les problématiques de santé au travail sont toujours présentes, et même davantage en ce qui concerne, par exemple, les risques psychosociaux, et que tous les travailleurs puissent continuer à avoir accès à leur médecin du travail (individuellement et collectivement).

Le ministère du Travail a publié des fiches métiers afin d’assurer la poursuite des activités dans de bonnes conditions sanitaires. Que pensez-vous de ces guides ?

Concernant les fiches métiers, tout cela est très joli, mais illusoire. Les gestes barrières et les masques, quand ils sont disponibles, sont insuffisants pour arrêter la transmission. Les préconisations de ces fiches métiers sont illusoires dans bien des métiers où des consignes telles que se laver régulièrement les mains ou ne pas les porter au visage sont ingérables, comme l’expérience le démontre. Ces mesures sont aussi illusoires, car aucun moyen de contrôle n’est prévu. Les inspecteurs du travail et la médecine du travail ne vont plus sur le terrain et ne peuvent pas vérifier si ces mesures sont réellement mises en place. Elles sont donc à la fois insuffisantes et rien ne garantit leur application. C’est la situation d’impréparation qui pousse à prendre ces demi-mesures. L’État gère la situation en fonction des pénuries.

Avec le guide élaboré par l’OPPBTP et les partenaires sociaux, la reprise des chantiers du BTP pourrait s’accélérer. Cela vous semble-t-il compatible avec les mesures de limitation de la pandémie ?

Sur les chantiers, aujourd’hui, je considère que la poursuite de l’activité fait courir un risque aux salariés et à leurs proches. Cela supposerait une analyse au cas par cas des situations de travail avec un état des lieux pour voir où et comment il est possible de reprendre le travail. Il faudrait alors mettre en place de véritables mesures de protection de façon pluridisciplinaire. Il appartiendrait alors à chacun de prendre ses responsabilités. Les salariés ayant repris le travail et étant victimes du Covid-19 devraient se voir reconnaître en accident du travail. La ministre du Travail a déclaré que les employeurs ont une obligation de moyens, mais la jurisprudence affirme que les employeurs ont bien une obligation de résultats.

Parcours

Devenu médecin du travail en 1982, Jean-Marie Sterdyniak a d’abord exercé en service autonome en entreprise avant d’intégrer un service interentreprises en 1991. Il s’engage dans l’action syndicale en 2000. Il devient secrétaire général du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST) en 2013. Il est également vice-président du Conseil national professionnel de médecine du travail.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins