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Le fait de la semaine

Engagement : Le salarié solidaire a-t-il de l’avenir ?

Le fait de la semaine | publié le : 29.06.2020 | Laurence Estival

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Engagement : Le salarié solidaire a-t-il de l’avenir ?

Crédit photo Laurence Estival

Si lors de la crise sanitaire, les salariés ont été encouragés à faire preuve de solidarité envers leurs collègues fragilisés ou les travailleurs « en première ligne », nombre d’interrogations se font jour sur la poursuite de ces démarches à l’heure du « retour à la normale ».

Chez Sodexo, il n’aura fallu qu’une semaine et deux jours pour monter l’« Employee Relief Program ». « Nous avons sollicité le top management – les 200 leaders de Sodexo – pour contribuer collectivement, de manière volontaire, à la mise en place d’un fonds afin de soutenir leurs collègues dans ces moments de grande difficulté, se souvient Cathy Desquesses, DRH monde. Trente millions d’euros ont été collectés. Au Brésil, par exemple, les fonds ont été redistribués en bon d’achat de nourriture aux personnes impactées par la crise. Aux États-Unis, ils ont permis d’étendre la couverture sociale de nos collaborateurs pendant deux mois, tandis qu’en Inde, ils ont aidé les salariés en précarité à accéder au logement… »

Au plus fort de la crise sanitaire, les salariés de Sodexo n’ont pas été les seuls à être sollicités… De PSA à Total en passant par Safran, Thalès, Covea ou la Matmut – pour ne citer que quelques exemples – nombre de collaborateurs se sont eux aussi engagés dans des actions auprès de leurs collègues en activité partielle qui subissaient une baisse de salaire ou pour, en dehors même de l’entreprise, apporter leur soutien aux personnels soignants et aux plus démunis via le don de RTT et de jours de congés.

Cette figure du salarié solidaire qui monte en puissance depuis plusieurs années est-elle appelée à perdurer en cette période de reprise ? Concernant l’avenir des accords solidaires, la question est sur la table, depuis que le Parlement a voté le 17 juin la loi relative à certaines dispositions liées à la crise sanitaire. « Un accord d’entreprise ou de branche peut autoriser l’employeur à imposer aux salariés placés en activité partielle bénéficiant du maintien intégral de leur rémunération sur le fondement de stipulations conventionnelles d’affecter des jours de repos conventionnels ou une partie de leur congé annuel excédant 24 jours ouvrables à un fonds de solidarité pour être monétisés en vue de compenser tout ou partie de la diminution de rémunération subie, le cas échéant, par les autres salariés placés en activité partielle », précise ainsi l’article de 6. Certes, peu d’entreprises remplissent ces conditions, sauf dans le cas de la métallurgie où la convention collective des cadres stipule que ces derniers continuent de recevoir 100 % de leur salaire, même s’ils sont au chômage technique.

Une proposition de loi, dans les tuyaux, prévoit aussi la poursuite de la monétisation de jours de RTT et de congés pour remercier les personnels soignants et les étudiants en médecine, en première ligne pendant la pandémie. Et rien n’interdit aux entreprises de susciter la générosité de leurs collaborateurs à partir du moment où un accord avec les partenaires sociaux l’autorise.

Devoir accompli

Cependant, ces opportunités ne déclenchent pas l’enthousiasme chez les salariés concernés… « L’accord solidaire signé en mars et qui courait jusqu’au 11 mai avait pour but de répondre à une situation d’urgence limitée dans le temps, souligne Anh-Quan Nguyen, DSC CFE-CGC de PSA. La solidarité telle que nous l’avons définie ne peut exister qu’en période de crise. Comment, en effet, imaginer que les salariés qui ont travaillé, même à temps partiel, pendant ces trois derniers mois et qui sont fatigués, pourraient renoncer à leurs jours de repos jusqu’en décembre prochain ? » D’autant que le sentiment d’avoir largement fait son devoir domine : 223 000 jours pour venir en aide aux plus fragiles ont été mobilisés grâce à cet accord solidaire, en partie obligatoire pour tous les collaborateurs en poste, et en partie volontaire pour les cadres avec dans les deux cas un abondement par l’entreprise.

Chez Safran Aerosystems, filiale de l’équipementier aéronautique, l’heure est aussi venue de tourner la page. L’accord conclu par les partenaires sociaux qui avait permis de récolter l’équivalent de 3 000 jours entre la mi-mars et aujourd’hui a, selon les syndicats, dépassé les objectifs fixés : « Nous avions choisi d’aider les plus bas salaires par une prime de 8 % pour ceux touchant au-dessous de 2 200 euros qui diminuait progressivement jusqu’à des niveaux de salaires de 2 500 euros, explique un des protagonistes. Les sommes réunies en monétisant les jours de RTT donnés principalement par les cadres ont d’ailleurs été supérieures aux besoins estimés. »

Chacun a sa place

« La solidarité individuelle ne peut pas se substituer à la solidarité nationale, reconnaît Luc Bérard de Malavas, responsable de mission chez Secafi. Il faut trouver un bon équilibre entre ce qui est du ressort des pouvoirs publics, de l’entreprise et des salariés. Concrètement, l’entreprise, dans le cas de la crise sanitaire, a pu bénéficier de la prise en charge par l’État d’une grande partie de la rémunération versée aux salariés en activité partielle. Les employeurs, aidés pour conserver leurs compétences, doivent, par conséquent, participer au mouvement de solidarité en abondant, par exemple, les sommes versées par les salariés sous la forme de RTT ou de jours de congés monétisés. » Pas question, donc, d’injonction qui serait donnée sans engagements réciproques, la participation des uns et des autres devant en outre être analysée en fonction de la situation et après accord avec les partenaires sociaux. « Et pour éviter toute forme de dumping social, il serait pertinent de renforcer la négociation de branche », conclut l’expert.

La monétisation des RTT et de congés, un engrenage ?

Bien qu’il ne soit pas opposé, par principe, aux dons de RTT et de congés, Jérôme Chemin, secrétaire général adjoint de la CFDT-Cadres et délégué syndical chez Accenture, regrette toutefois le précédent créé par la crise sanitaire qui incite à leur monétisation. « Ce qui n’est pas le cas quand il s’agit de donner des jours pour des enfants ou pour une personne de l’entourage d’un collègue malade. Nous devons veiller à ne pas faire de ce qui doit rester une exception la règle afin de ne pas tomber dans un engrenage qui consisterait à encourager ce mouvement en dehors même des actions de solidarité. Attention de ne pas renoncer à notre repos pour travailler plus », met-il en garde. Même si c’est pour gagner plus.

Auteur

  • Laurence Estival