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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Chroniques | publié le : 31.08.2020 | Denis Monneuse

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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Crédit photo Denis Monneuse

L’illusion de productivité

Parce qu’on a une forte charge de travail, parce qu’on a les yeux plus gros que le ventre ou bien parce qu’on surestime nos capacités, on a tendance à avoir des to-do listes à rallonge. Face à des dizaines de tâches à accomplir, il nous faut faire un choix : par lesquelles commencer ? Le même type de décision intervient quand on se retrouve face à des dizaines de courriels dans notre messagerie électronique. Lesquels traiter en premier ? Ceux qui sont rapides à traiter ou bien ceux qui demandent plus de temps ?

Voilà quelques-unes des questions qu’avaient en tête Diwas KC, de l’université Emory aux États-Unis, et trois autres chercheurs, Bradley Staats, Maryam Kouchaki et Francesca Gino. Ils ont alors observé dans un hôpital comment les médecins choisissaient les patients qu’ils traitaient en premier, sachant que les infirmières avaient évalué au préalable pour chaque patient le niveau de difficulté pour les soigner. Les chercheurs ont ainsi étudié le comportement de 84 médecins ayant traité 233 000 patients au total. Ils viennent de publier leurs conclusions dans la revue Management Science1.

Plus il y a de patients en attente et plus les médecins ont déjà fait de nombreuses interventions durant leur temps de service, plus ils ont tendance à traiter en premier les patients les plus faciles à soigner. Cela permet de réduire le nombre de patients en attente. Cette tendance est compréhensible : elle donne une illusion de productivité. À court terme, on se sent plus satisfait, moins anxieux.

Mais les chercheurs notent que cette préférence pour les tâches faciles est négative à la fois pour les individus et pour leur employeur sur le long terme. Pourquoi ? Parce que cela ralentit le rythme de travail. En effet, les médecins qui prennent en charge le plus de cas difficiles deviennent plus efficients que les autres, leur courbe d’apprentissage est plus rapide. C’est en se confrontant à des cas difficiles qu’ils développent leurs compétences et leur efficience. En revanche, soigner des cas faciles n’apprend rien : ce type de tâches ne fait pas progresser les médecins.

Les chercheurs ont ensuite organisé une expérience en laboratoire pour comprendre les causes qui nous amènent à traiter en priorité les tâches faciles. Les 365 participants devaient copier un texte le plus vite possible en 3 minutes. La moitié des participants devaient en plus écouter de la musique et compter le nombre de fois que certains mots étaient entendus : ce groupe avait donc une charge de travail plus importante. À la fin de cette première tâche, les participants devaient choisir une deuxième tâche, soit facile, soit difficile. Les trois quarts des participants du groupe avec la forte charge de travail ont choisi une deuxième tâche facile contre les deux tiers pour les autres participants. Il est ressorti que c’est la fatigue et l’impression d’un faible progrès dans notre travail qui pousse à privilégier les tâches faciles.

Pourtant, on a tort de s’adonner en priorité aux tâches faciles en se laissant piéger par l’illusion de productivité car on est ensuite plus fatigué pour traiter les tâches les plus difficiles. D’où l’intérêt d’ordonner les tâches de sa to-do liste au lieu de les noter sans ordre de passage.

(1) KC, Diwas S., Bradley R. Staats, Maryam Kouchaki, and Francesca Gino. 2019. « Task Selection and Workload : A Focus on Completing Easy Tasks Hurts Performance. » Management Science.

Auteur

  • Denis Monneuse