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Prêt de main-d’œuvre : Solidarité façon « pack de rugby » dans le Sud-Ouest

Le point sur | publié le : 12.10.2020 | Lys Zohin

La CCI du Lot-et-Garonne vient de lancer Sharing, une bourse d’entraide. Une quinzaine d’entreprises ont fait part de leur intérêt. CSA, à Marmande, et Optimum, à Agen, ont déjà sauté le pas.

En dépit de la sévère crise de l’industrie aéronautique qui impacte le territoire, les entreprises jouent la carte de l’entraide dans le sud-ouest de la France. « La solidarité entre entreprises, à l’échelle du territoire, est nouvelle et prend sa source dans la crise actuelle, constate Jean-Luc Guéry, président de la société Optimum, basée à Agen et spécialisée dans la fabrication de portes à destination des magasins de meubles et de bricolage, et président du Medef du Lot-et-Garonne. Mais encore faut-il qu’un changement culturel s’opère aussi côté salariés, ce qui n’est pas évident. » Mobilité géographique très relative en France, attachement à l’entreprise ou au statut, freins psychologiques liés à la protection chômage : certains, surtout les moins jeunes, peuvent avoir du mal à accepter, même sur une période relativement courte, l’idée de mettre leurs compétences à profit dans un autre métier et dans une autre entreprise.

En témoignent les difficultés de Jérôme Creuzet, président de CSA, une PME de Marmande, à 70 kilomètres d’Agen. « Pré-Covid, CSA travaillait à 98 % pour l’aéronautique et comptait 57 salariés, décrit-il. Dès avril, j’ai mis beaucoup d’énergie à trouver des solutions pour ne pas licencier. » Il sollicite ses fournisseurs, approche la chambre de commerce et d’industrie locale, la CCI47, parle à Pôle emploi. Et il réussit à « placer » deux personnes à l’extérieur de l’entreprise en mai, puis une autre, chez Optimum, en juillet. Aujourd’hui, ce dirigeant compte six salariés accueillis par d’autres sociétés de la région. Il a quand même dû licencier 19 collaborateurs et il cherche encore à en placer 10 à 15, pour ne pas licencier davantage. Mais ces derniers rechignent. « Le secteur de l’aéronautique est très protecteur et les collaborateurs ont du mal à se projeter dans autre chose, dit-il. L’un d’eux a même déchiré devant moi la convention proposée », soupire-t-il. Il compte sur le témoignage du salarié parti très tôt chez Optimum et convaincu de l’intérêt de cette option pour les faire changer d’avis. « Les cadences sont soutenues, puisque nous produisons une porte de placard toutes les trente secondes, mais ce salarié a conservé le même salaire et Optimum a offert de le dédommager de ses frais d’essence pour venir travailler à Agen », précise Jean-Luc Guéry. Optimum, qui a servi de tête de pont, est satisfaite de l’opération et a accueilli un deuxième collaborateur de CSA dans la foulée. Du fait de l’explosion des commandes dans l’univers du bricolage, les deux « nouvelles recrues » tombent à point nommé.

Conserver les talents sur le territoire

Forte de ces premiers succès et surtout consciente des enjeux économiques pour le territoire, la CCI47 a donc imaginé, en partenariat avec la préfecture, la Direccte (et l’unité départementale de la direction régionale des entreprises de Lot-et-Garonne), une bourse d’entraide entre sociétés via le prêt de main-d’œuvre, lancée sous la marque Sharing, le 14 septembre dernier. « Certes, la CCI47 est un carrefour pour les entreprises locales, au sein d’un tissu économique très diversifié, mais nous savons aussi que les groupements auxquels elles appartiennent se font généralement selon les filières, précise Alain Brugalières, son président. Nous avons donc voulu, avec notre initiative, dépasser ce cadre. » Au-delà de l’aide aux entreprises, prêteuses ou bénéficiaires d’un prêt de salarié, l’organisme consulaire veut veiller à conserver les compétences sur le territoire, cruciales pour la reprise. « Nous avons des perspectives, dans le naval et le nucléaire, mais les contrats n’arriveront que dans un an, confirme Jérôme Creuzet, de CSA. Il faut absolument que l’entreprise puisse avoir des salariés qualifiés à ce moment-là. » Grâce à la plateforme locale Sharing, il espère donc ne pas devoir encore licencier, pour ne pas avoir à recruter puis former de nouveau des salariés dans quelques mois… « Si quelqu’un part pour un travail dans une plus grande ville, comme Toulouse, il sera difficile ensuite de lui demander de revenir », reconnaît le président de la CCI47, Alain Brugalières. Un tel exode pourrait freiner la reprise, alors qu’au contraire, grâce à l’expérience acquise par des salariés prêtés, les entreprises locales bénéficieront en outre, à terme, d’un accroissement de compétences. La CCI47 a d’ailleurs été approchée par CCI France, la tête de réseau des CCI, pour voir comment cette solidarité « façon pack de rugby », comme le dit Alain Brugalières, pourrait être dupliquée dans d’autres territoires.

Auteur

  • Lys Zohin