C’est une population oubliée de la crise sanitaire et sociale, et sans conteste l’une des plus fragilisées : celle des salariés et des demandeurs d’emploi handicapés. Dans cette enquête, la sociologue Anne Revillard prend du recul, analysant les écueils des politiques handicap : droit à la scolarité, insertion dans l’emploi ou accessibilité, l’égalité des chances reste « lettre morte », pointe-t-elle. Le constat est hélas connu. Mais son livre ne cède pas à la victimisation, au contraire. Au travers d’entretiens avec des personnes handicapées visuelles ou moteur (un choix intéressant, car plus de la moitié sont diplômées de l’enseignement supérieur), l’enseignante à Sciences Po illustre de leurs protestations et de leur volonté de travailler. Entre d’un côté l’inaptitude possible au travail et de l’autre des quotas d’embauche pour favoriser leur insertion, la législation de l’emploi est la plus ambivalente, « une ressource ou un frein » selon les cas, constate l’auteure.

Les témoignages illustrent plutôt des difficultés d’obtenir un emploi stable et autres stratégies de contournement, certaines personnes refusant d’indiquer la mention de travailleur handicapé dans leur CV pour passer au moins le cap de l’entretien. Car, paradoxalement, « la conception de la RQTH comme facilitateur de l’emploi pousse à une déclaration qui peut déboucher sur des discriminations », note la sociologue. Les récits attestent que celles-ci restent flagrantes, comme cette secrétaire malvoyante racontant le refus d’un employeur de l’embaucher, évoquant l’impossibilité d’adapter son poste ou le contact avec des clients « risquant de poser problème ». Face à ces échecs répétés, « certains se tournent vers le travail indépendant » (coach, informaticien), en se formant pour se réorienter. Mais avec des revenus faibles, souvent combinés avec le filet de l’allocation d’adulte handicapé. Un éclairage édifiant sur la dure bataille de ces personnes sur le marché du travail, pas dupes des lois peu appliquées.