De nombreux témoignages décrivant les expériences des entreprises confrontées à l’urgence de la crise sanitaire pendant le confinement1 et après2 ont mis l’accent sur le rôle crucial joué par les managers de proximité dans cette période troublée sans avoir pourtant été préparés, dans la plupart des cas, à une crise de cette ampleur. À bien des égards, la reconnaissance, dont ont bénéficié depuis quelques mois les fameux « héros de l’ombre3 », peut légitimement leur être également due, car sans leur engagement et leurs initiatives nombreuses sur le terrain, de nombreuses organisations, publiques et privées, auraient connu de grandes difficultés pour assurer la continuité de leurs activités.

Or, le malaise de l’encadrement de proximité a été mis en évidence depuis plusieurs décennies dans de nombreux livres et articles jusqu’à l’ouvrage récent, dernier de la trilogie « Lost in Management », du sociologue François Dupuy dans lequel il s’insurge, entre autres, contre les effets de la centralisation, en particulier dans le domaine des ressources humaines, qui « a pour conséquence d’aggraver le manque de moyens d’action de la ligne hiérarchique. Cela produit de nombreux effets pervers, du découragement de l’encadrement de proximité, à la souffrance et au désinvestissement du travail »4.

Face à ce malaise, la crise actuelle devrait être l’occasion de redonner à ces acteurs clés, que sont les managers de proximité, un rôle majeur dans la transformation espérée de nos organisations vers plus d’autonomie et de subsidiarité les conduisant à être plus agiles. Ce mouvement de fond, initié depuis quelques années dans un certain nombre d’entreprises comme Michelin avec sa démarche de responsabilisation5, s’est considérablement renforcé récemment durant la période de confinement et après, car de nombreux managers de proximité ont démontré des capacités insoupçonnées d’initiative jusqu’à pratiquer du « corporate hacking »6, en désobéissant par le non-respect de certaines règles pour le bien de l’entreprise et sa survie. Mais cette liberté d’agir qui leur a été laissée durant cette période exceptionnelle pourrait être menacée par un retour à la normale si celui-ci se confirme.

Pour éviter une telle situation et permettre à l’entreprise d’évoluer en profondeur à la suite de la crise sanitaire, les managers de proximité devraient être reconnus comme les pivots de la transformation par les dirigeants et l’encadrement supérieur. Dans cette perspective, les DRH sont susceptibles d’être les chefs d’orchestre de ce mouvement de reconnaissance de l’encadrement de proximité en alignant les politiques et les pratiques RH (recrutement, formation, management de la performance, rémunération, carrière…) pour faire évoluer les mentalités individuelles et collectives dans le sens d’une grande subsidiarité des décisions et d’un management par la confiance7. En définitive, la reconnaissance des managers de proximité comme pivots de la transformation ne peut devenir une réalité que si elle est portée au niveau le plus haut par le/la PDG qui adopterait une posture de « servant leader » à l’image du dirigeant indien Vineet Nayar.