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Allongement de la vie active : Le casse-tête de l’emploi des seniors

Le point sur | publié le : 07.12.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Allongement de la vie active : Le casse-tête de l’emploi des seniors

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Contraints d’allonger leur vie active pour liquider une retraite à taux plein, les seniors sont pris entre deux feux : des politiques publiques qui peinent à produire leurs effets et un monde du travail encore trop souvent réticent à l’idée de diversifier les effectifs.

Sale temps pour les seniors ! Entre le premier et le deuxième trimestre 2020, le nombre de demandeurs d’emploi de plus 55 ans de catégorie A a bondi de 13 % et représente près de 720 000 personnes sur un total de 4,4 millions de chômeurs, selon la Dares. Cette nette dégradation due à la crise de la covid-19 se fait déjà sentir dans l’indicateur clé, le taux d’emploi des seniors, qui recommence à baisser depuis le début de l’année 2020 (52,8 % fin juin), alors qu’il avait progressé significativement depuis le début des années 2000 – sauf pour la tranche 65-69 ans – pour atteindre 53 % en 2019. La vague de suppressions d’emplois redoutée ne va pas épargner les quinquagénaires et sexagénaires encore au travail.

Pourtant, la France avait commencé à rattraper son retard par rapport à ses voisins européens., après des décennies de mesures qui ont évincé les seniors du marché du travail, à commencer par les dispositifs de préretraite, les décisions à caractère politique comme l’abaissement de l’âge de départ à la retraite à taux plein décidée en 1982 ou encore l’instauration, en 1984, de la dispense de recherche d’emploi pour les demandeurs d’emploi âgés de plus de 57 ans. En 1999, cette limite a été abaissée pour inclure les personnes de 55 ans si elles ont cotisé au moins 160 trimestres, soit la durée d’assurance nécessaire pour obtenir le taux plein de retraite. Dès la fin des années 1980 et jusqu’à la fin des années 2000, un nombre important de demandeurs d’emploi – 7 % des 55-64 ans pendant les années 2000 – a bénéficié d’une dispense de recherche d’emploi.

Alors que les réformes des retraites se sont empilées depuis une trentaine d’années, convergeant désormais vers un recul de l’âge de départ, Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT, insiste sur la responsabilité des employeurs : « Ils ont trop tendance à externaliser la question de l’emploi des seniors : ils demandent un allongement de la durée de l’activité professionnelle, afin de réduire le coût des retraites, tout en s’exonérant de responsabilité dans le recrutement ou le maintien en emploi des seniors. » Et il rappelle l’importance du maintien en bonne santé pour préserver l’emploi des salariés les plus âgés : « Ce qu’on ne fait pas maintenant en matière de santé au travail ou de pénibilité peut se payer vingt ou trente ans plus tard : les personnes ne pourront plus rester en activité, leur reconversion sera plus difficile. Ce qui manque, c’est un outil de traçabilité des expositions qui permettrait de retarder, voire d’empêcher la survenue de pathologies. »

Il estime qu’un tel outil serait aussi protecteur pour l’employeur, pas toujours responsable de l’exposition à l’origine du problème. Il attribue la situation actuelle à un « blocage idéologique » au sujet du compte de prévention pénibilité et il anticipe une répétition du même scénario dans les négociations sur la santé au travail : « On reconnaît le risque, mais on cherche prioritairement à s’en exonérer plutôt que de le traiter collectivement. » L’exemple d’autres pays qui ont « souvent investi longuement dans la QVT ou la santé au travail » et ont désormais un taux d’emploi des seniors supérieur à celui de la France devrait inspirer tous les acteurs impliqués et provoquer un choc pour préparer le futur, estime le responsable de la CFDT : « Il faut renverser notre façon de faire et se préparer collectivement à la seniorisation des emplois. C’est à cette condition qu’il sera possible de rendre soutenable l’allongement de la durée de vie active. »

Des seuils d’âge pour tous ?

Anne Jolivet, chercheuse au Centre d’études, de l’emploi et du travail (CEET) du CNAM, souligne de son côté la responsabilité des pouvoirs publics. Elle déplore que l’incitation à négocier en faveur de l’emploi des travailleurs âgés, instituée par la loi 17 décembre 2008 puis poursuivie par d’autres dispositifs, ait contribué à installer des seuils d’âge à 50, 55 ans, voire 45 ans avec la loi sur la formation de 2004. « Beaucoup d’employeurs se sont accrochés à ces seuils d’âge, souvent pour être sûrs de ne pas enfreindre les règles, alors que la question ne se pose pas dans ces termes, explique la chercheuse. Dans de nombreux secteurs, par exemple les services informatiques, les entreprises comptent très peu de salariés au-delà de 40 ans. » Elle en conclut que la question du vieillissement au travail ne se pose pas par rapport à des seuils d’âge fixés pour tous : « Une politique en faveur de l’emploi des seniors ne peut pas se construire par catégories d’âge. Les difficultés à tenir dans un emploi, la survenue d’inaptitudes se posent aussi parmi les populations jeunes. » Elle en déduit que la création des conditions permettant aux plus âgés de rester en emploi jusqu’à leur départ en retraite n’est qu’un volet de la question qui doit être élargie : « Il faut aussi réfléchir aux moyens qui permettent aux salariés de travailler dans de bonnes conditions aux différents âges de la vie active. »

Parmi les freins à lever figurent une série d’idées toutes faites et de préjugés sur les seniors. Ils seraient moins agiles, moins familiers des outils digitaux, moins malléables, etc. Jean-Paul Domergue, de Solidarités nouvelles face au chômage (SNC), rappelle la responsabilité des recruteurs : « Ils ont tendance à embaucher des personnes qui correspondent à la population dominante dans l’entreprise. S’ils sont jeunes, les opérationnels vont penser qu’une personne plus âgée aura plus de difficultés d’adaptation et que son expérience sera gênante pour l’encadrant. Ce sont des préjugés. » Qui peuvent devenir une véritable erreur stratégique, avance Benoît Serre, vice-président délégué de l’ANDRH : « Le début de la crise l’a démontré, les soft skills prennent de plus en plus d’importance, or les seniors ont une expérience qui peut s’avérer très utile lors des moments difficiles. Les entreprises vont avoir besoin de managers solides à la fois pour gérer les conséquences de la crise mais aussi pour reconstruire ensuite. »

Faire reculer la place des seniors dans la file

Au-delà de l’évolution des mentalités, Jean-Paul Domergue souhaite que soit systématiquement mis en œuvre le conseil en évolution professionnel en présentiel tout comme la « médiation active » : « Elle permet un appariement de l’offre et de la demande grâce à une prise en compte, par le médiateur, des deux parties. Là où elle est mise en œuvre, en Pays de la Loire et en Bretagne, elle fonctionne. » La crise sociale que va engendrer la pandémie lui inspire des craintes redoublées : « Nous déplorons qu’aucune mesure de soutien en faveur des seniors ne figure dans le plan de relance alors que le chômage va encore croître. Le nombre de seniors se trouvant dans une situation très difficile va sensiblement augmenter. On peut présager qu’un des effets des aides, tout à fait nécessaires, accordées aux entreprises pour l’embauche des jeunes, sera de faire reculer encore la place des seniors dans la file d’attente à l’emploi. »

En 2019, les taux d’activité et d’emploi des 55-64 ans, soit 8,3 millions de personnes, atteignaient 56,9 % et 53 % respectivement. Dans cet ensemble, les situations peuvent varier fortement. Ainsi, alors que les taux d’activité et d’emploi des 50-54 ans, soit 4,4 millions de personnes, atteignent 85,9 % et 80,7 %, ils plafonnent à 35,4 % et 32,7 % pour les 60-64 ans (4 millions de personnes) et restent très faibles pour les 65-69 ans (3,8 millions de personnes), sous la barre des 10 % avec, respectivement, 7,8 % et 7,5 %. Un tableau que la crise sociale risque de faire évoluer défavorablement.

Tout espoir n’est pas pour autant perdu puisque la question de l’emploi des seniors se pose dans des termes très différents selon les secteurs, rappelle Annie Jolivet : « Des secteurs sont plus ouverts au recrutement à des âges plus tardifs, par exemple l’aide à domicile, le transport de voyageurs ou les activités immobilières. » Benoît Serre évoque, de son côté, des perspectives nouvelles dans les entreprises : « Devenir manager suscite de moins en moins de vocations. En parallèle, les entreprises développent des filières « expertise » qui favorisent le maintien dans l’emploi et l’employabilité. C’est un levier à développer dans les entreprises. » Les critères de recrutement sont aussi moins sélectifs sur l’âge dans les activités et sur des sites où les employeurs sont confrontés à une pénurie de candidats, que leurs activités soient perçues comme en déclin ou du fait de conditions de travail peu attractives, de sites isolés ou situés dans des zones dont la population plus jeune est partie. Pour autant, faire coïncider ces opportunités avec les capacités et les souhaits des salariés seniors reste un défi pour les RH, les partenaires sociaux… et les pouvoirs publics.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins