L’équipe RH bruisse de rumeurs. Ce n’est plus la machine à café qui sert de caisse de résonance, elle ne reçoit plus que de rares visites. Il n’y a plus âme qui vive dans l’open space, et pour que la distanciation physique soit totale, les derniers à y traîner se sont installé des petites cafetières personnelles à proximité immédiate de leur espace de travail.

Non, c’est la messagerie interne qui colporte l’information d’un possible départ de Carine. Elle enfle et s’amplifie depuis quelques jours sans que personne ne juge opportun de poser la question directement à l’intéressée.

À chacune de ses apparitions virtuelles, on guette plutôt ses gestes et dissèque ses propos quand elle prend la parole devant son fond d’écran tropical. Ce matin par exemple, à la réunion d’équipe, les palmiers et le temps radieux qui l’entourent sont démentis par la tête qu’elle fait. Pour autant, rien n’est dit et les conjectures continuent à prospérer après.

Pendant toute la journée, Marie-Pierre fait la tournée des uns et des autres, cherchant chez ses collègues un écho à son ressentiment. Si les bruits se confirment, il semblerait que la direction financière absorbe la DRH pour devenir une direction “Ressources”. La perspective ne réjouit personne. Même Rémy qu’on aurait pu croire supporter de cette piste ne semble pas lui trouver d’avantages. Carine, on l’a vu, n’est pas une N+1 très disponible, et on peut lui reprocher de ne pas être suffisamment attentive à ses collaborateurs. Mais elle serait étonnée d’apprendre que son équipe est en train de faire dans son dos la liste de ses qualités, au nom du fameux « on sait ce que l’on perd, mais on ne sait pas ce que l’on gagne… »

Franchement, le moment est mal choisi. La collaboration avec Benjamin est au top et ils ont magnifiquement avancé sur la première brique de la solution qu’ils s’apprêtaient justement à déployer dans les équipes RH.

Avec le départ de Carine, Marie-Pierre craint d’avoir fait tout ça pour rien. Parfois quand les chefs se suivent, leurs projets s’arrêtent, sans que les collaborateurs comprennent pourquoi.

Ce serait encore plus grave pour Benjamin. Si le projet ne se fait pas, la banque ne le suivra plus. Une startup, avant d’envoyer du rêve, ça envoie de la galère. Benjamin, ça fait trois ans qu’il y passe ses jours et ses nuits, ses week-ends, ses vacances. À toute occasion, il pitche son offre, écoute les feed-backs, dirige sa fine équipe de développeurs, sans se décourager. Enfin jusque-là. Parce que, déjà le virus, maintenant Carine…

Bref, c’est moche. Même un Chief Happiness Officer qui proposerait maintenant de gagner des cafés virtuels en jouant à des devinettes comme autrefois on distribuait des corbeilles de fruits pour doper la QVT, même un CHO donc, ne pourrait rien à son moral, pense Marie-Pierre. Si même elle devient cynique, c’est vraiment très mauvais signe !

Ce que personne ne voyait arriver en revanche, c’est que les choses vont s’arranger grâce à celui auquel on s’attendait le moins. Le pire n’étant jamais certain, c’est Gilles qui va tous les surprendre, Gilles qu’on a connu au bout du rouleau, vautré dans son canapé, en proie au malaise avec ses gosses, oui c’est celui-là même qui va faire le nécessaire pour remettre la tête à l’endroit à tout le monde…

(à suivre)…