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Le fait de la semaine

Santé au travail : Un accord qui change tout

Le fait de la semaine | publié le : 21.12.2020 | Lys Zohin

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Santé au travail : Un accord qui change tout

Crédit photo Lys Zohin

Après s’être finalement accordés sur un texte dans la nuit du 9 au 10 décembre, les partenaires sociaux ont jusqu’au 8 janvier pour signer l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la santé au travail. L’accent est mis sur la prévention et l’amélioration des dispositifs, notamment en direction des PME.

« Un changement de paradigme » : c’est ainsi qu’Éric Chevée, négociateur au nom de la CPME, qualifie l’accord sur la santé au travail, conclu dans la nuit du 9 au 10 décembre dernier entre partenaires sociaux. Organisations patronales et syndicales ont jusqu’au 8 janvier pour signer ce nouvel accord national interprofessionnel (ANI) qui fait l’unanimité, hormis la CGT. Une première en treize ans. Le texte met en effet en avant le concept de prévention primaire, par opposition à celui de réparation. « Depuis 2010 et la réforme sur la tarification des risques professionnels, il y a un confort dans le financement de la réparation, la branche accidents du travail/maladies professionnelles du régime général affichant un excédent, précise Xavier Bontoux, avocat associé, directeur général de l’entité risques professionnels du cabinet d’audit et de conseil BDO. Il était donc logique – et vertueux – d’axer l’ANI sur la prévention », ajoute-t-il. Et avec elle, sur la formation des salariés.

Passeport prévention

Ainsi, le texte prévoit la mise en place d’un « passeport prévention » pour tous les salariés et apprentis, qui attestera du suivi d’un module de formation à la prévention des risques professionnels. De quoi éviter des formations redondantes ou inefficaces. Voire « mettre en lumière la responsabilité de l’employeur, puisqu’on affirme haut et fort que la première prévention, c’est la formation du salarié, précise l’avocat spécialisé. Et il ne faut jamais oublier que le Code du travail, qui implique l’obligation générale, pour l’employeur, de sécurité, comporte également un article plus méconnu, selon lequel chacun est responsable de sa propre sécurité, y compris le salarié, mais encore faut-il que ce dernier soit formé ». Une formation qui concerne également les élus des CSE et CSSCT. Selon le texte, ils bénéficieront de deux jours supplémentaires, portant la formation à cinq jours au total. Ce qui implique des coûts. En conséquence, Éric Chevée a voulu vérifier auprès des entreprises adhérentes à la CPME qu’elles étaient bien d’accord avant d’apposer sa signature sur le texte. Elles le sont. Il signera donc, les instances dirigeantes de la CPME lui ayant également donné leur feu vert.

« Avant la formation, faisons déjà de la sensibilisation », estime cependant Abdelkrim Talhaoui, cofondateur et PDG d’Octopeek, une société de conseil dans le big data et l’intelligence artificielle pour les entreprises, basée dans le Val-d’Oise et qui compte 42 salariés. « Dans certains secteurs, le turnover est élevé, il faudra alors former de nouveaux collaborateurs. Et puis, si nous n’avons pas été impactés par la crise sanitaire et économique, certaines entreprises le sont. Ce sera plus compliqué pour elles de trouver les moyens financiers de cette formation », explique-t-il. « Encore un coût à notre charge », soupire Emmanuelle Anin-Le Bihan, DRH de Serac (310 salariés), une société qui fabrique des machines d’emballage et de conditionnement à La Ferté-Bernard, dans la Sarthe. A contrario, Jérôme Creuzet, président de CSA, un sous-traitant aéronautique de Marmande (Lot-et-Garonne), qui comptait 57 salariés avant la crise et n’en a plus que 31 actuellement, se félicite de cette initiative. « La formation à la prévention santé pour les membres du CSE me paraît essentielle, dit-il. D’autant que dans les PME, ces salariés sont souvent non syndiqués et ne peuvent donc pas être épaulés en matière d’information par un syndicat. »

Par ailleurs, si « l’accès aux SSTI était administrativement complexe, pénalisant ainsi les PME n’ayant pas les ressources humaines adéquates pour faire appel à leurs services », précise Vincent Tharreau, qui dirige Kiplin, une start-up nantaise de 17 collaborateurs, éditrice de jeux numériques en santé, le texte redéfinit l’offre des services de santé au travail interentreprises [rebaptisés SPSTI, en introduisant le p de prévention], en direction des entreprises. L’offre sera certifiée, ce qui devrait permettre d’homogénéiser les prestations. « Reste à savoir comment ces services vont s’en emparer », ajoute toutefois Vincent Tharreau.

« Avant, nous devions cotiser, mais sans bénéficier des services, affirme Julien Mouchet, cofondateur et directeur général de Kovers, une société bourguignonne de mutuelle santé, qui compte 30 salariés. Les organismes n’avaient pas la capacité de le faire. » « Ces services ne viennent pas naturellement vers nous, confirme Emmanuelle Anin-Le Bihan. Et lorsque des spécialistes assistent les membres du CSST, c’est souvent pour donner des conseils théoriques, peu applicables dans les PME. »

Le DUERP à l’honneur

Autre élément intéressant contenu dans le texte, selon l’avocat Xavier Bontoux, le développement du DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels), avec la pérennité et la traçabilité des risques, en particulier chimiques. « En cette période de crise pandémique, ce document a déjà pris une importance capitale. Les employeurs ont dû le réadapter par rapport aux mesures de prévention contre le virus. C’est la base juridique d’une prévention d’entreprise. Très technique, le DUERP est souvent rédigé avec le concours de préventeurs. Là encore, on met donc, de façon indirecte, l’accent sur la prévention », dit-il.

Responsabilité des employeurs

Concernant la responsabilité des employeurs, le texte rappelle que « la jurisprudence a admis qu’un employeur et ses délégataires pouvaient être considérés comme ayant rempli leurs obligations s’ils ont mis en œuvre les actions de prévention ». « Certes, il y a eu, en 2015 et 2016, à travers les arrêts de la Cour de cassation, un infléchissement de cette obligation de sécurité, qui est passée d’une obligation de résultat à une obligation de moyens – renforcés, cependant – mais il ne faut pas oublier les derniers arrêts, en date du 8 octobre de cette année, qui disent que l’obligation de moyens renforcés des employeurs va très loin, puisqu’elle force ces derniers à vérifier l’efficacité et la maintenance des équipements de sécurité », relève Xavier Bontoux.

L’ANI prévoit également la rénovation de la gouvernance des SPSTI. Ainsi, si la présidence revient à l’employeur, la fonction de vice-président et de trésorier revient à des représentants des salariés des entreprises adhérentes désignés par les organisations syndicales.

« On donne plus de compétences aux SPSTI, mais quid de leur financement ? », conclut toutefois l’avocat Xavier Bontoux. Outre la date butoir de signature, l’accord sur la santé au travail connaîtra deux étapes : d’une part l’arrêté d’extension, d’autre part la transposition dans la loi du texte du 10 décembre, dont s’est chargée Charlotte Parmentier-Lecocq, députée LREM du Nord, corapporteuse avec Carole Grandjean, de deux rapports sur le sujet.

Auteur

  • Lys Zohin