Peut-on encore lutter contre l’empire des Gafa ? Dans son livre, l’économiste Joëlle Tolenado, spécialiste de la régulation des marchés électroniques, s’attaque à cette question sous l’angle du droit et du monopole concurrentiel « dangereux » des Gafa. « Leur puissance ne doit pas être sous-estimée : leurs dirigeants sont des esprits brillants. Il existe un lobbying très efficace pour défendre l’absence de réglementation au nom de l’innovation. » Si les condamnations se multiplient en France ou aux États-Unis pour concurrence déloyale, l’auteure, ex-membre de l’Arcep, le gendarme des télécoms, juge cette lutte inefficace. Malgré certaines avancées, elle critique le retard des institutions européennes, incapables d’endiguer ces géants mondiaux qui « vassalisent » les entreprises, se jouent du droit et se diversifient à toute allure, dans les services financiers notamment. Il ne faut pas attendre des États-Unis qu’ils démantèlent ces « big tech », rappelle-t-elle. La seule solution serait « de réguler » plus efficacement les Gafa, et surtout ne pas compter sur le fait qu’ils le fassent eux-mêmes.

Pour bien comprendre les enjeux, l’auteure dresse un tour d’horizon instructif de leurs stratégies d’expansion redoutables, dénonçant la guerre des prix ou l’opacité de leurs algorithmes. À lire notamment, le passage sur « la machine de guerre » d’Amazon aux États-Unis, où le groupe pèse déjà 39 % du marché de la vente en ligne. « Un État dans l’État » devenu incontournable pour les « vendeurs », mais au référencement douteux. « Le code privé se substitue à la loi », fustige l’économiste, pointant la zone d’ombre des algorithmes d’Amazon ou de Google qui « incitent et sanctionnent les participants des plateformes, particuliers ou entreprises ». Au passage, on apprend que, selon l’auteure, le RGPD serait une passoire pour protéger les données : celles de Facebook ou de Google étant situées en Irlande au nom de l’optimisation fiscale, les conflits s’enchaînent et « le régulateur irlandais n’a pas les moyens de les contrôler », déplore Joëlle Toledano. De quoi méditer sur l’usage du big data…

Pour en finir avec la puissance des Gafa qui fragilisent les entreprises, elle plaide pour une refonte globale des institutions et du droit. Réguler non pas les plateformes, mais « l’écosystème » des géants du web. Il faut certes s’attaquer « à la transparence du navire amiral » des algorithmes, mais aussi intégrer les différents « marchés » concernés, « encadrer à la fois les données, les contenus et la publicité de Google ou de Facebook », plaide cette spécialiste. Dommage qu’elle n’explique pas comment s’y prendre, le défi paraissant gigantesque. Mais le propos interpelle. Joëlle Toledano offre un excellent décryptage de la puissance des Gafa qui raflent tout et « stérilisent l’innovation ». Et elle prévient : « sans contre-pouvoir efficace », leur emprise sur l’économie va devenir dangereuse. Y compris pour la société, car Google ou Amazon investissent aujourd’hui dans les villes connectées ou la santé.