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Le fait de la semaine

Restructurations : Qui veut la peau de l’assurance garantie des salaires ?

Le fait de la semaine | publié le : 14.03.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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Restructurations : Qui veut la peau de l’assurance garantie des salaires ?

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Un projet d’ordonnance menace l’équilibre financier de l’AGS qui assure le versement des salaires lorsqu’une entreprise fait faillite et ne dispose plus d’assez de fonds.

Alors que l’année s’annonce sous de sombres auspices pour l’emploi, un projet d’ordonnance concocté par la Chancellerie et le ministère des Finances pourrait mettre en difficulté l’AGS, l’association qui gère le régime de garantie des créances des salariés. Initialement, il s’agit d’un texte sur le droit des sûretés dans les procédures collectives, introduit l’été dernier dans le circuit de production réglementaire. Issu des articles 60 et 196 de la loi Pacte promulguée en mai 2019, il a pour objet, entre autres, de modifier le rang de priorité des différents créanciers lors du redressement ou de la liquidation judiciaire d’une entreprise. Dans l’état actuel du droit, l’AGS dispose d’un « super-privilège » qui la place au troisième rang des créanciers, juste après les frais de justice (les « frais et dépens ») et les « subsides accordés aux dirigeants ». Avec le projet d’ordonnance tel qu’il est actuellement prévu, l’AGS passerait au sixième rang. Elle ne pourrait faire valoir ses droits sur les actifs restants des entreprises défaillantes qu’après les administrateurs et les mandataires judiciaires ainsi que les banques. « L’AGS aurait alors plus de mal à récupérer les avances consenties pour verser les salaires, ce qui remettrait en cause son équilibre financier et, en bout de course, le super-privilège lui-même », indique Franck Morel, associé du cabinet d’avocats Flichy Grangé et auteur, avec le chercheur Sébastien Laye, d’une note sur la question publiée par l’Institut Thomas More.

Perte de ressources

Selon les calculs de l’AGS, l’application d’une telle réforme réduirait ses ressources de 300 millions à 400 millions d’euros par an. Sur la période 2021-2024, elle devrait donc trouver 1,5 milliard d’euros de recettes supplémentaires. Ce n’est que récemment que les partenaires sociaux, syndicats et organisations patronales, se sont émus de ce risque. Anthony Streicher, président de l’association GSC, un intermédiaire d’assurance chargé de « répondre au besoin de protection [des indépendants] contre le chômage », a du mal à dissimuler sa stupéfaction : « La proposition de rembourser les fournisseurs avant l’AGS est incompréhensible. Cela fait plus de quarante ans que l’AGS a été créée avec la mission de protéger en premier lieu les salariés en garantissant que leurs salaires soient versés, le temps que l’assurance chômage prenne le relais. Empêcher l’AGS de récupérer ces fonds, c’est mettre à mal la protection des salariés en cas de défaillance de leur employeur. »

En dépit de l’impact d’une telle mesure, les partenaires sociaux n’ont été alertés que récemment. Une réaction tardive que Franck Morel attribue aux conditions d’élaboration de l’ordonnance : « Les travaux ont été pilotés par les ministères de la Justice et de l’Économie, ce qui explique probablement l’inclusion tardive des partenaires sociaux dans le process. » Organisations syndicales et patronales ont néanmoins manifesté leur totale opposition à la possible rétrogradation des AGS dans l’ordre de priorité des créanciers.

Prenant conscience du risque important de dégâts collatéraux, le gouvernement a manifesté la volonté de nommer un médiateur. Une sage initiative, estime Franck Morel, qui a fait une série de propositions afin d’améliorer le système. Il propose que l’AGS puisse apporter son concours aux indépendants victimes de la crise économique, mais aussi intervenir plus efficacement dans les reclassements. « L’AGS pourrait aussi intervenir dans plus de procédures préventives qui, dans 60 % à 70 % des cas, se soldent par un accord avec les créanciers ou une restructuration. Aujourd’hui, elle peut intervenir dans des procédures de sauvegarde. Si l’AGS pouvait intervenir et faire des avances dans les procédures de conciliation, cela permettrait d’éviter en aval des redressements ou des liquidations judiciaires. »

L’ex-conseiller social d’Édouard Philippe, désormais avocat associé du cabinet Flichy Grangé, propose également un plafonnement des sommes indemnitaires (les dommages et intérêts) qui ne seraient plus couvertes qu’à la moitié du plafond général, soit la moitié du montant maximal de 82 000 euros, afin de financer les autres mesures proposées.

Même si l’ordonnance, qui doit être publiée avant la fin mai, ne devait pas comporter de changement dans l’ordre de priorité des créanciers et préserver le « super-privilège » dont bénéficie l’AGS, la dégradation de la situation économique est malgré tout lourde de menaces pour l’équilibre de ce dispositif. En septembre 2020, une étude d’Euler Hermès tablait sur une augmentation de 31 % du nombre de faillites en 2021, après l’arrêt des mesures publiques de soutien aux entreprises. En décembre, c’est la Banque de France qui tablait dans ses projections macro-économiques sur un taux de chômage à 11 % au premier semestre 2021, soit une destruction de 750 000 emplois.

Dégradation des garanties

De quoi susciter une forte inquiétude quant à l’équilibre des finances de l’AGS. Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale de la CFE-CGC, redoute une dégradation des garanties dont bénéficient les salariés : « Notre crainte est que les recettes provenant des cotisations à 0,15 % et des remboursements des créances salariales diminuent. Avec la dégradation de la situation économique, nous ne voulons pas que le maintien de l’équilibre assurantiel se fasse au prix de la réduction des garanties. » La responsable de la confédération des cadres estime que réduire le plafond actuel de 820 000 euros reviendrait à pénaliser les cadres et les techniciens, qui risquent d’être déjà impactés par la crise qui s’annonce.

Un amortisseur social de premier plan

Créée par une loi du 23 décembre 1973 (n° 73-1194), l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances salariales (AGS) se substitue aux entreprises défaillantes qui n’ont plus les fonds disponibles pour assurer le versement des salaires de leurs employés. Elle finance ses interventions grâce à deux leviers : une cotisation patronale de 0,15 % à laquelle s’ajoutent les créances qu’elle a sur les entreprises défaillantes à travers le principe de « subrogation personnelle ». Ce dispositif institué par l’art. L253-16 du Code du travail permet à l’AGS d’endosser le privilège des salariés et de devenir créancière de l’entreprise défaillante à hauteur des avances qu’elle a consenties pour payer leurs salaires. En 2019, l’AGS a versé 1,5 milliard d’euros à 182 000 bénéficiaires. La récupération des créances sur les entreprises défaillantes représente un quart du financement de l’association.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins