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Le grand entretien

« La permaentreprise est un modèle viable pour un futur vivable »

Le grand entretien | publié le : 12.04.2021 | Carine Mandère

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« La permaentreprise est un modèle viable pour un futur vivable »

Crédit photo Carine Mandère

Dans son livre La Permaentreprise (éditions Eyrolles), le patron très engagé de norsys présente un nouveau modèle de développement inspiré de la permaculture, avec un guide pratique. L’idée étant de promouvoir cette méthode auprès d’autres dirigeants d’entreprise motivés.

Votre livre plante un décor alarmant et critique envers les entreprises se cachant « derrière une façade verte ». Être lucide devrait-il permettre de mieux réagir ?

La lucidité, c’est accepter de regarder la gravité de la situation en face, sans la nier, la minimiser ou chercher à temporiser. C’est ne pas attendre que les consommateurs changent, que l’État édicte des lois, que les autres se transforment ou que les crises se multiplient. Notre système de développement n’est plus viable. Il creuse les inégalités, consume la biorégénérescence de la planète et accélère le réchauffement climatique. Il y a urgence à en changer. Les entreprises représentent une force pragmatique de changement. Encore faut-il qu’elles rejoignent le camp des lucides. Qu’elles fassent preuve d’audace, de créativité et d’intelligence en acceptant de questionner leur modèle et leur fonctionnement. Il faut se remettre en cause et aller bien au-delà de tentatives de verdissement d’un modèle de développement concentré sur le financier, saupoudré d’une petite couche de RSE.

La responsabilité sociétale des entreprises est, selon vous, clairement insuffisante. Pourquoi ?

Les démarches RSE n’ont malheureusement pas assez d’impact et ne réussissent pas à inverser la tendance. C’est le manque de vision globale qui est problématique. La RSE se résume trop souvent à une approche éloignée du cœur stratégique de l’entreprise, non dépourvue d’arrière-pensées publicitaires. Dans de nombreuses entreprises, elle a davantage été mise au service de la communication et de la marque employeur qu’à celui d’un monde meilleur. Le résultat est une déficience qui fait que l’on ne parvient pas à faire bouger les lignes. La RSE ne suffit pas, surtout lorsqu’elle concerne des entreprises fortement guidées par la finalité financière et qui agissent de manière ponctuelle plutôt que structurelle. Pire, c’est contre-productif quand les entreprises en jouent. Le greenwashing et le socialwashing décrédibilisent la RSE auprès des salariés et alimentent la défiance des citoyens.

La loi Pacte, avec possibilité de définir sa raison d’être et de devenir une entreprise à mission, constitue-t-elle un progrès ?

De récentes dispositions législatives sont apparues pour obliger les entreprises à prendre en compte leurs impacts sociaux et environnementaux. Or deux critères sont prépondérants et font la différence dans l’engagement : la globalité et la transparence des engagements qui doivent être objectivés, contractualisés et communiqués. Mais il ne faut pas attendre une loi ou de nouvelles normes pour commencer à avancer. J’ai la conviction que c’est l’entreprise qui a les moyens d’améliorer les conditions d’existence des êtres humains et d’éviter que la planète ne continue de se dégrader. C’est une question de volonté. Il faut que les entreprises assument leur responsabilité. Dans le livre, un schéma récapitule les niveaux d’action qu’une entreprise peut décider d’engager. Situé en haut de l’échelle de l’entreprise responsable, le niveau 5 répond aux exigences d’un nouveau concept de développement inspiré de la permaculture, la permaentreprise.

En quoi la permaculture est-elle inspirante pour le monde de l’entreprise ?

C’est un modèle de développement agricole alternatif, fondé sur le souci de prendre soin à la fois des humains et de la terre. Il est né dans les années 1970 en réponse à une agriculture industrielle coûteuse en énergie et à impact écologique négatif. La permaculture part du terrain et s’enracine dans l’action. Elle observe les écosystèmes naturels locaux, en tire des connaissances pratiques qu’elle expérimente et améliore sans cesse. Elle assume la croissance et vise la pérennité mais change les modes de production en prenant en considération les ressources à préserver. Elle est exemplaire pour le monde de l’entreprise. Les fondateurs de la permaculture ont focalisé leur énergie sur la conception d’un autre modèle, sa mise en œuvre et son partage. Ce n’est pas seulement un système agricole. Son objet est plus vaste. L’étudier a été, pour moi, une source d’inspiration. Il m’a semblé possible de le retranscrire dans le monde de l’entreprise et d’inventer un modèle visant la permanence des ressources. Quand mon travail a commencé à prendre forme, je l’ai présenté autour de moi pour vérifier que c’était réaliste. Et nous avons mis en expérimentation des points de concept au sein de norsys.

À quoi ressemble une permaentreprise ?

Pour définir sa raison d’être et son modèle de développement, une permaentreprise s’appuie sur trois principes éthiques qui sont indissociables : elle ne peut pas prendre soin des êtres humains sans préserver la planète ni se fixer des limites et partager les surplus. La permaentreprise a un usage sobre et juste de ses ressources clés. Elle se dote, avec transparence, d’objectifs d’impact exigeants qui mesurent sa progression et conditionnent la crédibilité de son engagement. Dernier point : elle est capable d’agencer ses parties prenantes. Concrètement, cela se traduit par le fait de veiller particulièrement à l’employabilité des collaborateurs, à régénérer leur énergie et à leur donner davantage de place dans la gouvernance. Les écarts entre les salaires doivent diminuer. Pour préserver la planète, une contribution nette positive en carbone doit être visée dans un délai de cinq ans. Quant au partage des profits, il doit être équitable.

Quel est, selon vous, un partage équitable des profits dans la permaentreprise ?

La crise de la Covid-19 a mis en lumière la fragilité d’entreprises à cause d’un manque de trésorerie parce que leurs dirigeants avaient préféré se servir des dividendes plutôt que de faire des réserves conséquentes. À force d’avoir comme première finalité de servir les actionnaires, certains grands groupes n’ont plus les reins assez solides. Dans le modèle de la permaentreprise, la capacité de s’autolimiter est essentielle. L’argent est une ressource, un moyen vital et un indicateur de performance. Mais pas une fin en soi. Le partage équitable des profits doit permettre de répartir les résultats financiers en parts égales : une moitié aux actionnaires pour générer des capacités d’investissement ou pour être distribuée sous forme de dividendes. L’autre moitié étant distribuée entre les salariés et la société civile. La finalité de la permaentreprise n’est pas la maximisation des profits, mais l’amélioration des conditions de vie des humains sur une terre habitable.

Expérimentez-vous votre modèle de permaentreprise aussi en dehors de norsys ?

J’accompagne une vingtaine d’autres structures motivées pour expérimenter la méthode proposée dans le guide. L’envie est de s’assurer que le modèle est pertinent, concrètement, avec les étapes pratiques détaillées. De les expérimenter encore puis d’essaimer. Je veux rendre accessible ce modèle car je suis persuadé qu’il répond à un besoin des salariés. Qu’une entreprise adopte un tel projet, ça ne peut que la valoriser. L’attractivité est importante pour accueillir les talents les plus performants. L’intérêt des collaborateurs vers des actions cohérentes pour l’amélioration du monde s’accroît. Et les jeunes générations le disent clairement : on va juger les entreprises sur leurs actes, pas sur des paroles. Depuis 2019, un manifeste « pour un réveil écologique » réunit plus de 30 000 étudiants de grandes écoles. Ils refusent de mettre leurs compétences au service de grands groupes déconnectés de l’urgence climatique.

Parcours

Sylvain Breuzard est titulaire d’une licence de sciences économiques et d’une maîtrise d’informatique associée à la gestion d’entreprise. Il a commencé sa carrière comme ingénieur technico-commercial dans de grandes entreprises de services informatiques. En 1994, il cofonde norsys, groupe de services numériques. Il est ancien président national du Centre des jeunes dirigeants d’entreprise et cocréateur du réseau Etincelle qui soutient des jeunes en rupture scolaire. Depuis 2011, Sylvain Breuzard préside aussi le conseil d’administration de Greenpeace France.

Auteur

  • Carine Mandère