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Le fait de la semaine

Après le tout distanciel, le mode hybride ?

Le fait de la semaine | publié le : 31.05.2021 | Benjamin d’Alguerre

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Dialogue social : Après le tout distanciel, le mode hybride ?

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Presque une année durant, DRH et élus du personnel ont dû, contraints par la pandémie, pratiquer le dialogue social en mode distanciel. Alors que les entreprises s’apprêtent à déconfiner le 9 juin prochain, la négociation par écran interposé demeurera-t-elle une méthode répandue ?

Confinement, reconfinement, couvre-feu, horaires décalés, nécessité de la distanciation physique… la crise sanitaire a contraint les acteurs du dialogue social dans les entreprises à adopter massivement la discussion distancielle. Depuis près d’un an, avec ou sans préparation – et le plus souvent sans –, DRH et élus du personnel ont dû déserter les salles de réunion traditionnelles pour se convertir en urgence aux vertus de Teams, Zoom, Skype et autres outils de visioconférence pour poursuivre le dialogue social en période de Covid. « Personne n’a eu le choix. Le dialogue social est un exercice obligatoire. Soit il était pratiqué à distance… soit il ne l’était plus du tout ! », analyse Gilles Lécuelle, secrétaire national de la CFE-CGC en charge de ce dossier. Mais le pari de la négociation numérique n’allait pas de soi. Il y a maintenant un peu plus d’un an, en mars 2020, une première enquête réalisée lors des premières semaines de confinement par l’association Réalités du dialogue social (RDS) révélait la faible digitalisation des outils et des pratiques du dialogue social.

Du provisoire qui dure

Si les premiers temps de ce dialogue social distanciel « exceptionnel » ont été pour l’essentiel marqués par l’urgence d’armer les entreprises face au risque pandémique (télétravail, mise en place de dispositifs sanitaires ou de distanciation sociale, activité partielle), la persistance de la crise dans le temps a contraint les partenaires sociaux à revoir leurs agendas pour remettre les dossiers plus traditionnels de négociation touchant l’emploi ou la situation économique des entreprises à l’ordre du jour. Dès la fin 2020, d’ailleurs, le ministère du Travail avait anticipé une crise de longue durée : le 25 novembre, une ordonnance réactivait la possibilité (déjà instaurée lors du premier confinement) pour une entreprise de consulter son CSE par visioconférence, conférence téléphonique ou messagerie instantanée (type WhatsApp). Et quelques jours plus tard, le 3 décembre, un décret élargissait à son tour cette information-consultation distancielle à un ensemble de sujets « lourds » comme le licenciement collectif pour motif économique, la mise en place d’accords de performance collective (APC) ou de rupture conventionnelle collective (RCC) et l’activité partielle de longue durée (APLD). Et les résultats de cette négociation à distance sur une longue durée sont plutôt mitigés à en croire les tendances qui se dégagent des premières consultations réalisées auprès d’une centaine de responsables RH et d’élus du personnel par l’Observatoire du dialogue social de la Fondation Jean-Jaurès : « En fonction des sujets traités, les négociations ont été plus ou moins aisées à mettre en place. Pour les NAO et les informations-consultations, le dialogue social à distance a plutôt bien fonctionné. Mais dès lors que des sujets plus graves ou plus atypiques venaient sur la table comme la négociation de PSE ou d’APC, la méfiance était davantage au rendez-vous », analyse Pascal Priou, secrétaire départemental de l’Unsa de Loire-Atlantique et membre de l’Observatoire. Pour autant, la fondation ne souhaite pas en tirer des conclusions définitives, son enquête se poursuivant au mois de juin en vue d’une publication prévue pour la première quinzaine de septembre.

« Efficace… mais épuisant »

Au-delà des sujets abordés, la période a surtout vu des changements de méthode chez les partenaires sociaux. La distance les contraignant à des séances resserrées et condensées, les acteurs du dialogue social se sont accordés sur une nouvelle forme d’organisation des réunions « basée sur une plus grande préparation en amont des séances et une intensification du rédactionnel », indique Elsa Martinez, chargée de mission chez RDS. L’association s’est elle-même livrée à une enquête auprès d’une trentaine de DRH et d’élus du personnel pour prendre la température après presque un an de dialogue social numérique. Et ses conclusions sont sans appel : privées de leurs scories présentielles, les séances distancielles se sont révélées plus efficaces… mais épuisantes pour les participants. Frustrantes également, car les interlocuteurs sociaux se sont aussi privés du sel de la négociation : le « off » et les réunions informelles qui font parfois basculer la balance et permettent d’arracher un accord entre deux portes. « Le dialogue social relève un peu du jeu théâtral. Il y a une part visuelle dans les négociations : on avance un argument, on voit les réactions de l’ensemble des autres protagonistes, ce qui est rarement possible à l’écran. Il existe tout un jeu d’attitudes qui a son importance », résume Gilles Lécuelle. Mais même à ce jeu-là, le distanciel peut avoir ses avantages, répond Bénédicte Le Deley, membre de l’Observatoire du dialogue social de la Fondation Jean-Jaurès : « Un délégué syndical qui rentre dans le bureau du DRH, cela peut se voir… un coup de fil ne se voit pas ! » De son côté, l’Association nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) tire aussi une sonnette d’alarme sur les pratiques induites par le tout distanciel : s’ils n’y prennent garde, les élus pourraient perdre le contact… avec ceux qu’ils représentent. « Ces modalités du dialogue social ne doivent cependant pas s’effectuer au détriment de la relation de proximité avec les salariés […]. Tout l’enjeu consiste à favoriser un investissement à ces trois niveaux de dialogue : entre élus et direction, entre élus, entre élus et salariés », affirmait-elle le 25 mai en conclusion de son étude « Pratiques de dialogue social en temps de crise ».

Mode hybride ?

Ce dialogue social « efficace » s’est-il pour autant montré qualitatif ? « La nouvelle méthodologie permet d’être plus rapide et offre aux acteurs une plus grande disponibilité – il est toujours possible de caler une réunion en visio d’une heure dans une journée – mais elle affaiblit beaucoup tout ce qui peut se passer par l’informel », constate Gilles Lécuelle. Le caractère « frugal » de la négociation distancielle n’a pas non plus échappé aux acteurs : moins de transports, moins de logistique, plus d’inclusivité… « le e-dialogue social a aussi ses vertus », assure Bénédicte Le Deley. Pour autant, « le présentiel doit garder une place essentielle, car les relations humaines de proximité doivent rester au cœur du dialogue social », précise Elsa Martinez. Le dialogue social post-crise verra-t-il le développement d’un mode « hybride » mi-présentiel, mi-à distance ? La séquence qui s’ouvre le 9 juin sera peut-être l’occasion pour les partenaires sociaux d’en débattre dans le cadre de leurs discussions sur les conditions du retour sur le lieu de travail.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre