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Addictions : Une prévention plus que jamais nécessaire

Le point sur | publié le : 14.06.2021 | Lucie Tanneau

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Addictions : Une prévention plus que jamais nécessaire

Crédit photo Lucie Tanneau

Depuis 2020, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) pilote un programme avec France addictions et le réseau des Agences régionales pour l’amélioration des conditions de travail (Aract). Son but : tester une nouvelle approche pour lutter contre les addictions au travail. Des entreprises volontaires dans trois régions (Occitanie, Centre-Val de Loire et la Réunion) ont réfléchi ensemble pour établir un diagnostic, créer des outils et favoriser le maintien en emploi des collaborateurs concernés.

« Un collaborateur avait un problème avec l’alcool, raconte le responsable prévention d’une entreprise. Des collègues de son service nous l’avaient signalé et nous avions pris rendez-vous pour en parler. » Le salarié rencontre alors la médecine du travail qui le juge apte, en lui fixant un rendez-vous trois mois plus tard. Sauf que, quelques jours après, au retour de sa pause déjeuner – apparemment alcoolisée –, le salarié s’effondre, foudroyé sur son lieu de travail. En interne, évidemment, l’événement est extrêmement choquant. Ceux qui jugeaient les convocations du salarié intrusives ont perçu l’intérêt d’évoquer les questions d’alcoolisme au travail. « C’est dramatique qu’il faille en arriver là. Mais aujourd’hui, le sens de notre action de prévention est mieux compris. Ceux qui la voyaient comme une contrainte supplémentaire comprennent maintenant qu’il s’agit de leur santé, et pas seulement de notre sécurité », reprend notre interlocuteur, qui a souhaité conserver l’anonymat puisque l’enquête est toujours en cours.

L’exemple est, certes, extrême. Mais les entreprises sont nombreuses à évoquer des salariés qui arrivent « avec un petit coup dans le nez », comme on dit souvent pour évoquer un problème d’alcoolisme. Dans certains secteurs d’activité, c’est habituel. Le déjeuner pris dans la gamelle ou au restaurant s’accompagne facilement d’un verre de vin, ou plus, sans que cela ne soit perçu comme un comportement déviant. « Aujourd’hui, la consommation de substances psychoactives, l’alcool, le tabac ou autre, est un sujet tabou, avec des consommations cachées, ce qui est une vraie problématique en milieu de travail », expose Patricia Coursault, directrice du travail et chargée de mission prévention, spécialiste des milieux professionnels, au sein de la Mildeca, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.

Cette administration centrale, directement rattachée au Premier Ministre, réfléchit depuis 2018 à un plan d’action pour lutter contre les addictions en entreprise. « Quand il y a un problème ou un accident du travail lié à une consommation addictive, on voit souvent des réactions individuelles, qui sont soit une mesure disciplinaire, soit une réponse médicale. On considère qu’il s’agit d’une problématique individuelle, qui n’est pas en lien avec le travail », poursuit-elle.

Une réflexion sur l’environnement professionnel

La Mildeca s’est entourée de différents partenaires pour changer de vision. Elle s’est associée à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), l’association Addictions France (anciennement Anpaa), spécialiste des questions d’addictologie, et au groupe mutualiste de santé et de protection sociale VYV (qui apporte un soutien financier de l’ordre de 50 000 euros sur un montant global de 250 000 euros) pour lancer, il y a un an, une expérimentation intitulée « approche organisationnelle de la prévention des conduites addictives ». Le programme repose sur des ateliers collectifs (voir ci-dessous), organisés dans trois régions différentes (Occitanie, Centre-Val de Loire et la Réunion) et vise à faire réfléchir à ce qui peut provoquer des conduites addictives. « Qu’est-ce qui, en situation de travail, dans l’organisation de travail, dans le management ou dans le manque de protection par rapport à la vulnérabilité individuelle des personnes, peut conduire à une conduite addictive ? », s’interroge Patricia Coursault. Si la collaboration entre les différents organismes n’a pas été facile à mettre en place, à partir du moment où l’Anact a une culture associative tandis qu’Addictions France possède une culture d’organisme public, et que le Covid a fait reculer la thématique dans les priorités des entreprises volontaires pour participer à l’expérimentation, la démarche a pu finalement commencer à la rentrée 2020, en pleine crise sanitaire.

Sortir du tabou

En septembre 2020, six ou sept entreprises dans les trois régions ciblées se sont retrouvées régulièrement (en visio) pour « construire une méthodologie d’accompagnement commune ». « L’idée est de partir d’un partage d’expériences entre entreprises publiques et privées, sur les blocages, les difficultés, afin de construire une méthode pour établir des diagnostics, et mettre en place ensuite des solutions que l’on aura construites », indique Virginie Fémery, directrice Santé et Prévention au sein du groupe VYV. Elle reconnaît que, jusqu’à présent, « les conférences et ateliers proposés sur les addictions en entreprise ne fonctionnent pas ». « Le sujet est tabou : les salariés ont peur d’être identifiés, voire licenciés, et les employeurs sont démunis », regrette-t-elle. Des entreprises ont donc été recrutées, par réseau et sur la base du volontariat, pour tester cette approche différente. « Ce sont plutôt des PME ou ETI car les grands groupes ont davantage de moyens en interne avec des médecins du travail, des infirmiers ou des personnels spécialisés en prévention », détaille Virginie Fémery. Depuis novembre, elles ont fait des addictions un sujet à part entière, qui se rapproche de ce qu’elles connaissaient avec les RPS, les TMS ou l’absentéisme.

Auteur

  • Lucie Tanneau