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Le fait de la semaine

« Le gouvernement reste sur une position favorable aux plateformes » (Kevin Mention)

Le fait de la semaine | publié le : 20.09.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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« Le gouvernement reste sur une position favorable aux plateformes »

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

 

Kevin Mention (KMBM Avocats) défend des travailleurs des plateformes qui demandent la requalification de leur contrat. S’il estime que l’initiative de la Commission européenne visant à les protéger davantage va dans le bon sens, selon lui, à court terme, les choses ne changeront guère en France.
 
Que pensez-vous de l’initiative de la Commission européenne visant à prendre de nouvelles mesures pour protéger davantage les travailleurs liés à des plateformes numériques1 ?

Kevin Mention : L’initiative lancée par la Commission européenne part du constat qu’il y a des abus en matière de droit du travail de la part des plateformes – dénomination ne convenant guère, d’ailleurs, puisqu’il s’agit le plus souvent de véritables structures organisées offrant leurs services à des clients : la livraison de repas ou le transport de personnes – et cela s’étend même à l’intérim… L’une des pistes explorées par la Commission vise à mettre en place une présomption de salariat comme celle qui existe en Espagne depuis cet été. En France, toutefois, à l’heure actuelle, c’est l’inverse. C’est la présomption de non-salariat qui a été retenue. Ce qui implique, dès lors que les travailleurs n’apportent pas la preuve de la relation salariale, que le juge est contraint de valider une relation d’indépendant vis-à-vis de la plateforme. Avec la proposition de la Commission européenne, il reviendrait à cette dernière d’apporter la preuve que le travailleur n’est pas salarié mais bien indépendant. Ce qui signifierait que la simple acceptation du contrat d’indépendant par un travailleur ne suffirait pas à écarter la requalification, alors que la situation actuelle conforte les entreprises dans leurs abus. En effet, la preuve du salariat est difficile à rapporter avec des plateformes qui ont appris à limiter les traces écrites laissées sur les messageries, les plannings ou les notifications de sanctions. Et si, initialement, le texte instituant la présomption de non-salariat était censé protéger des personnes lambda ayant ponctuellement recours à des auto-entrepreneurs, il a été détourné au profit des plateformes.

 

Quelles peuvent être les répercussions de l’initiative de la Commission européenne ?

K.M: Elles devraient rester limitées à court terme. Les plateformes sont pour l’instant protégées par notre pouvoir législatif, qui enchaîne les adoptions de textes leur étant favorables. En revanche, à moyen terme, des évolutions sont possibles. Des décisions de justice défavorables ne vont pas manquer de s’empiler. Beaucoup sont attendues et des procédures au pénal sont aussi engagées, en France, en Espagne et en Italie. La série de décisions qui s’ensuivra peut faire bouger les choses. Par ailleurs, l’initiative de la Commission est un plus, qui pourrait obliger les plateformes à se positionner : soit elles conservent un recours au statut d’indépendant, mais assouplissent leur système pour que cette indépendance devienne réelle, ou alors elles passent au salariat. En tout état de cause, elles ne pourront pas rester dans un statu quo qui consiste en un salariat dissimulé. Inévitablement, dans les années à venir, un choix devra s’opérer.

 

Aux États-Unis, un juge a considéré comme inconstitutionnelle la Proposition 22 (poussée par les plateformes et approuvée par les électeurs), qui avait abrogé la loi californienne AB5 reconnaissant le statut salarié aux chauffeurs de VTC. Cette décision peut-elle avoir des répercussions sur la situation dans l’Union européenne ?

K.M: Cette dernière décision rebat les cartes. Pour autant, en 2021, rien ne bougera en France. Le gouvernement actuel reste clairement sur une position favorable aux plateformes, malgré les déclarations, pour le moins surprenantes d’ailleurs, de la ministre du Travail, qui a parlé de « subordination » en évoquant les plateformes dans un communiqué du 23 octobre 2020. Subordination que ces plateformes nient depuis des années. Compte tenu de la campagne électorale à venir, sans doute le gouvernement va-t-il accroître le combat contre la « sous-location » des comptes utilisateurs des plateformes. Cette pratique consiste, pour des travailleurs inscrits sur les plateformes, à faire exécuter leurs missions par d’autres, essentiellement des sans-papiers, parfois même des mineurs, en leur accordant une fraction souvent ridicule de leur rémunération. En période d’élections, cela peut choquer la population. L’année prochaine, il est probable qu’aboutissent des poursuites contre des plateformes devant les tribunaux correctionnels et que cette question soit aussi évoquée au plan pénal. L’enjeu est d’autant plus élevé que ces pratiques s’étendent à d’autres secteurs.

(1) Le 13 septembre, un tribunal néerlandais a estimé que les chauffeurs d’Uber devaient être considérés comme des salariés.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins