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Les clés

Le piège du bonheur au travail

Les clés | À lire | publié le : 04.10.2021 | Lydie Colders

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Le piège du bonheur au travail

Crédit photo Lydie Colders

Dans Les Servitudes du bien-être au travail, des chercheurs étudient les effets néfastes d’un management visant l’épanouissement individuel. Une injonction de nature à dégrader, en fait, la santé des salariés…

La place prise par les soft skills – les qualités psychologiques d’un salarié – en atteste… « Nos sociétés ont basculé aujourd’hui vers un mode de singularisation standardisée » où « le culte de la performance et de l’épanouissement personnel » domine, occultant « le collectif d’appartenance stable » dans les relations au travail, selon les auteurs de l’ouvrage Les Servitudes du bien-être au travail. Avec un paradoxe, souligne la sociologue Sophie Le Garrec, qui a coordonné les travaux : plus les injonctions à « être heureux au travail » se développent dans le management individuel, plus les salariés souffrent face à cet « objectif illusoire ». Écrit avant la crise Covid-19, cet ouvrage de sociologues du travail critique les dégâts de la « psychologisation » du management. Aujourd’hui, « en lieu et place de la santé, on parle de qualité de vie au travail, de psychologie positive, de gestion des émotions ou du stress », disent-ils. Or ce formatage exerce une pression subtile sur l’individu : « Ne pas arriver à tenir ce paraître émotionnel est devenu une non-compétence, un stigmate de faillibilité personnelle », ajoutent-ils. Plus question d’étudier les enjeux organisationnels. « La santé au travail est voilée derrière une novlangue de pare-feux émotionnels et de développement personnel » toujours plus imaginative, selon eux.

Un management ultra-comportemental

Au travers d’une dizaine d’éclairages (Dominique Lhuilier, Marc Loriol…), cet essai à charge aborde divers registres de ces « servitudes » modernes du bien-être au travail. Parmi les contributions, celle d’Aurélie Jeantet sur l’instrumentalisation des émotions est des plus intéressantes. La sociologue y pointe la souffrance de taire son ressenti, « la discrétion, l’indifférence et la froideur, la prétendue maîtrise de soi étant devenues des normes émotionnelles » au travail, écrit-elle. À l’opposé, elle note aussi « l’exacerbation » des affects (l’image « du patron-pote ») tout aussi « leurrante » pour les salariés… Sophie Le Garrec, elle, s’interroge sur l’émergence « du recrutement expérienciel » chez les jeunes, qui flatte le savoir-être. En survalorisant « une sorte de talent naturel » trompeur, en cherchant « des personnalités », on souhaite en fait l’engagement. Mais ce discours tend « à invisibiliser » l’importance de l’apprentissage ou l’expérience chère aux salariés, et accroît in fine « les maux » en entreprise. Le travail même reste le grand oublié de la santé et les auteurs en veulent pour preuve une QVT qui peut virer « aux bonnes pratiques », sans questionner la surcharge de travail ou le collectif. Mais c’est surtout sur ce subtil « conditionnement de la personnalité » que ce livre donne à réfléchir.

Auteur

  • Lydie Colders