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Bilan : Les entreprises à but d’emploi, ovni du monde de l’insertion

Le pont sur | publié le : 13.12.2021 | Lucie Tanneau

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Bilan : Les entreprises à but d’emploi, ovni du monde de l’insertion

Crédit photo Lucie Tanneau

 

Cinq ans après le lancement de l’expérimentation Territoire zéro chômeur longue durée en France, le bilan a été rendu public et la deuxième expérimentation est désormais ouverte à davantage de territoires. Comment les entreprises à but d’emploi s’intègrent-elles dans le paysage de l’insertion français ?

Dans le monde de l’insertion, Patrick Valentin est connu comme le loup blanc. Avec 45 ans d’expérience dans le domaine, il est, à 78 ans, président de cinq centres d’aide par le travail (CAT), de quatre ateliers protégés et de trois chantiers d’insertion en Maine-et-Loire. Et c’est de ses cartons, ou plutôt de son cerveau, qui fonctionne toujours à plein régime, qu’est sorti le projet Territoire zéro chômeur longue durée (TZCLD). Une idée pour lutter contre « la privation d’emploi ». « Car l’emploi est un droit en France et donc les personnes sans emploi sont hors la loi », pose-t-il en préambule. En 2011, le mouvement ATD Quart Monde le sollicite. Ensemble, ils défendent une nouvelle manière de faire de l’insertion, « un projet avec des différences superficielles et des ressemblances profondes » par rapport à l’existant, sourit Patrick Valentin. Qu’importe si la roue n’est pas réinventée, le nouveau terme d’entreprise à but d’emploi (EBE) défendu par le projet – « ce qui est le but de toutes les entreprises d’insertion », rappelle aussitôt ce dernier –, permet de mettre sur pied une expérimentation.

Expérimentation dont le but est surtout de tester un nouveau financement – par le transfert des droits au chômage – et une nouvelle gestion, confiée aux comités locaux pour l’emploi (CLE). Une révolution, car depuis les ordonnances Bérégovoy, en 1983, le financement de l’insertion est décidé au niveau national « et ne correspond plus aux besoins des territoires », fulmine encore quarante ans après Patrick Valentin. Territoire zéro chômeur longue durée, lancé en 2016, va permettre de contourner cette situation, en redonnant le pouvoir aux territoires. Encore faut-il que les maires, associations et entreprises locales s’entendent autour d’un projet. C’est la clé. Après cinq ans d’expérimentation, les CLE créés ont réussi à insuffler du dynamisme et à réunir les acteurs de l’emploi pour proposer des candidats dans les entreprises à but d’emploi (EBE).

« Les CLE rassemblent les forces vives du territoire, ce n’est pas piloté par Paris. Les EBE assurent l’opérationnel, mais si les CLE n’y croient pas, ce n’est pas la peine d’y aller. Les EBE ont, de leur côté, fait preuve d’inventivité dans les activités développées : de l’aide à la personne – conciergerie d’immeuble, aide à la mobilité… – à l’aide aux entreprises – lavage des vêtements de travail, réparation de clôtures… – en passant par la transition écologique ou énergétique, qui représente 40 % des activités – récupération de déchets, lutte contre le gaspillage, fabrication à partir de palettes ou de couches en tissus, ressourcerie… », se félicite Louis Gallois, le président du fonds d’expérimentation (lire son interview ci-après).

Le bilan est positif, puisque les entreprises créées depuis 2017 ont tenu malgré le regard extrêmement méfiant du monde plus ancien de l’insertion, du tapage médiatique qui rajoutait de la pression, du millefeuille administratif qui ne facilitait pas la tâche… mais il reste à confirmer.

« Sur deux des territoires, il n’y a plus aucun chômeur longue durée qui a l’envie de travailler. L’idée est radicale, mais fonctionne. Tous les volontaires qui se sont présentés ont trouvé un emploi au Smic, souligne Louis Gallois. Nous remarquons que ça ne coûte pas plus cher mais que les personnes sont changées physiquement et au niveau de l’estime de soi, de la famille, de la santé, dans la manière dont l’environnement social les considère. Ces personnes retrouvent l’envie de se projeter dans l’avenir. Ce sont des éléments difficiles à chiffrer mais ce sont autant d’externalités apportées par la mise en emploi. »

Avec, contrairement au monde ancien de l’insertion, des emplois en CDI et donc une stabilité possible. Le défi des cinq ans à venir va être de trouver une méthode pour calculer les externalités, qui ne dépendent pas seulement du ministère du Travail mais aussi de ceux de la santé, de l’éducation, de la culture…

« Nous devons aussi réussir à ce que les CLE restent à la manœuvre car ils sont les garants du droit d’obtenir un emploi et permettent le financement à hauteur des besoins locaux. Mais c’est une vraie nouveauté perturbatrice dans l’habitude française du pouvoir centralisé », relève encore Patrick Valentin.

Au niveau local, les 14 entreprises de TZCLD trouvent leur place parmi les 6 000 entreprises à but d’emploi en France comptabilisées par Patrick Valentin, qui ne veut surtout pas opposer deux mondes. « Le regard sur ces EBE va changer dans les deux ans, martèle-t-il comme pour conjurer un sort. Dans plusieurs territoires, comme Thiers (Puy-de-Dôme), Lille (Nord) ou Colombey-Les-Belles (Lorraine), les EBE travaillent déjà avec les entreprises d’insertion locales. Quand on ne pose pas un regard national, d’en haut, sur les choses, on voit que les gens se connaissent, se comprennent mieux et arrivent à imaginer des partenariats. » Développer l’expérimentation au niveau national, tout en gardant un regard sur l’insertion des personnes en local, sera certainement la clé de la réussite d’une France zéro chômeur longue durée.

Auteur

  • Lucie Tanneau