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« Les chances de recrutement sont moindres si la seule vidéo est utilisée »

L’actualité | publié le : 10.01.2022 | Lys Zohin

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« Les chances de recrutement sont moindres si la seule vidéo est utilisée »

Crédit photo Lys Zohin

Quels ont été les résultats de l’étude menée sur les recrutements à distance ?

Parce que les recrutements s’opèrent actuellement le plus souvent en distanciel, nous avons voulu voir comment ce processus influençait les décisions et de quelle façon. Dans trois entreprises de l’agro-alimentaire, qui offraient sept postes différents, 50 candidats ont participé à des entretiens. Nous avons monté deux groupes. Dans le premier, le processus commençait par un entretien en vidéo, suivi d’un deuxième en face-à-face, dans le second groupe, l’ordre était inversé. Nous nous sommes concentrés sur la perception des traits de caractère des candidats, selon des critères tels que l’ouverture, la stabilité émotionnelle, le côté extraverti ou consciencieux et l’impression « agréable » qu’ils donnaient. Sur l’ensemble de ces critères, les candidats en distanciel obtenaient tous un score moins élevé de la part des recruteurs que ceux en présentiel, car il est plus difficile pour un recruteur de percevoir, à distance, le langage corporel, notamment. Nous nous attendions à ce genre de résultats, mais ce qui nous a surpris, c’est l’effet mémoire. Les recruteurs se souviennent davantage des traits de caractère des candidats qu’ils ont eus en présentiel pour le premier entretien que de ceux qu’ils ont interviewés en vidéo. Et les chances d’un candidat ne s’amélioraient que dans de faibles proportions à l’issue d’un entretien en face-à-face qui suivait un premier entretien en vidéo.

Qu’est-ce que cela implique pour les candidats et les recruteurs ?

Cela implique que les chances de nombre de candidats sont moindres si la seule vidéo est utilisée, alors que passée l’étape des diplômes et de l’expérience professionnelle, ce qui fait la différence, dans un recrutement, c’est souvent la personnalité des candidats. Ce qui signifie donc que, même si certains candidats sont préparés à la vidéo, surtout s’il s’agit d’une simple présentation enregistrée, ou savent déjouer les pièges de la distance, d’autres, qui ne réussissent pas à établir une bonne interaction avec le recruteur de cette façon ou sont moins familiers des techniques vidéo, sont pénalisés. Et ce sont donc les entreprises qui le sont, puisque cela réduit le vivier de talents pressentis pour un poste. Les recruteurs doivent donc prendre conscience de ces effets de distorsion. Et, en ce qui concerne l’effet mémoire en particulier, il est important de prendre des recruteurs différents pour la vidéo et le présentiel afin de ne pas avoir les impacts « mémoire » mentionnés. Enfin, la distorsion s’accroît du fait que les spécialistes RH qui recrutent utilisent de plus en plus des outils d’intelligence artificielle. Outils qui sont nourris, pour apprendre dans le cadre du machine learning, essentiellement avec des vidéos d’entretiens, qu’ils peuvent ainsi analyser, de même qu’avec les notes établies pour chaque candidat par les recruteurs. Puisque la vidéo biaise la perception, de même que les scores, autant dire que les machines se fondent sur de mauvaises données pour apprendre ! De quoi accroître un peu plus les distorsions !

Y a-t-il des solutions à mettre en place ?

Au-delà de la prise de conscience, essentielle, les entretiens en face-à-face pourraient être enregistrés pour être ensuite fournis aux logiciels de machine learning, ce qui corrigerait l’impact de la vidéo. Par ailleurs, les entreprises pourraient utiliser, et certaines le font déjà, des systèmes de réalité virtuelle pour mettre les candidats en situation « réelle » dans les bureaux, au même titre que ces outils permettent de familiariser les jeunes recrues à l’entreprise. Et bien sûr, les jeux de rôles, y compris à distance, en groupe, peuvent permettre de mieux détecter la vraie personnalité des candidats, qui sont de toute façon sur leurs gardes lors d’un entretien, en face-à-face ou à distance. Enfin, pourquoi ne pas recourir au bon vieux téléphone ? Le recruteur ne peut ainsi que se concentrer sur la voix et n’a aucune attente en matière de perception du langage corporel du candidat.

Professeure associée à la Rennes School of Business, Petya Puncheva a mené, avec d’autres chercheurs spécialisés en RH, une étude* sur le recrutement à distance. Et trouvé plusieurs distorsions qui devraient alerter les employeurs.

* McColl, Rod, Michelotti Marco, Puncheva-Michelotti, P., Ronald Clarke, Tom McNamara (2021), The effects of medium and sequence on personality trait assessments in face-to-face and videoconference selection interviews : Implications for HR analytics (special issue on HR/People Analytics, Human Resource Management Journal) https://doi.org/10.1111/1748-8583.12425

Auteur

  • Lys Zohin