logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Santé au travail : Prendre le harcèlement au sérieux

Le point sur | publié le : 21.02.2022 | Olivier Hielle

Image

Santé au travail : Prendre le harcèlement au sérieux

Crédit photo Olivier Hielle

De la prévention à l’enquête, le Code du travail et la jurisprudence imposent de nombreuses obligations aux employeurs. Si aucune modalité pratique n’est précisée, la formation à ces enjeux peut contribuer à une meilleure prise en charge, d’autant que le phénomène semble avoir augmenté avec la crise sanitaire.

Selon l’expérience de Me David Guillouet, avocat du cabinet MGG Voltaire, « seules 15 % à 20 % des alertes vont finalement être qualifiées de harcèlement après une enquête »… Reste que si des difficultés persistent sur la qualification des faits, les chiffres concernant le phénomène du harcèlement, moral ou sexuel, semblent s’être accrus avec l’épidémie de Covid-19. « La crise sanitaire a fait ressortir des cas assez sérieux, déclare ainsi André Caria, directeur des investigations internes de la Fédération internationale de la Croix Rouge, à Genève. Sur l’année 2021, nous avons eu deux enquêtes pour harcèlement moral. Et les deux ont conclu qu’il n’y avait pas de situation de harcèlement… Cela nous a interpellés. » Pour ces experts, les salariés, confrontés à des changements profonds dans les organisations, mais aussi dans leur vie personnelle, sont sans doute davantage « à fleur de peau ». Ce qui met d’ailleurs les managers dans des positions délicates. « C’est difficile de distinguer un mal-être au travail d’une situation de harcèlement au premier abord, poursuit André Caria. Certains managers se trouvent dans une conjoncture difficile : des mails envoyés à des heures particulières qui ne posaient pas de problème auparavant peuvent aujourd’hui être mal perçus. »

Une obligation de prévention

D’où l’importance de former et d’être formé non seulement à la prévention du harcèlement mais aussi aux méthodes de management adaptées aux nouveaux modes d’organisation. Car, face au danger potentiel, l’employeur se doit d’agir. Reste à savoir comment. « Certaines entreprises sont traumatisées, font des enquêtes dans tous les sens et pensent que c’est la façon de se déresponsabiliser », relève ainsi Me David Guillouet. Toujours est-il qu’au moindre signalement de harcèlement, l’employeur doit mener une enquête. C’est la Cour de cassation qui a tiré cette obligation des dispositions du Code du travail, en jugeant que l’absence d’enquête constitue une violation de l’obligation de prévention des risques professionnels (Cour de cassation, chambre sociale, 27 novembre 2019, n° 18.10.551). Mais depuis, aucune précision n’a été apportée sur les modalités concrètes de cette enquête, laissant les employeurs un peu seuls face à ces situations…

« Les enquêtes sont souvent internes, constate Me Delphine Ricard, avocate en droit du travail au cabinet Vatier. Pourtant, notre conseil est de prendre des enquêteurs externes. » Son confrère David Guillouet explique en effet toute la difficulté de l’enquête interne : « Le Code du travail fait peser un rôle complexe sur les entreprises : avec l’enquête, il leur demande de mener un travail de police mais sans aucune prérogative spécifique et en devant le faire au travers du pouvoir de subordination. » Une enquête externe a cet avantage qu’elle pourra être mieux vécue par les salariés, notamment parce qu’elle sera moins propice aux soupçons de subjectivité.

Qu’elles aient choisi de faire une enquête en interne ou d’appeler un prestataire extérieur, les entreprises doivent en tout cas associer pleinement les membres du comité social et économique (CSE). « C’est très important de les impliquer, explique Me Delphine Ricard, pour une meilleure confiance dans l’enquête et dans ses résultats. » Cela nécessite bien évidemment une formation des élus, non seulement pour la tenue de l’enquête, mais également pour permettre une meilleure détection des signaux faibles.

Attention à la surréaction

Et la nécessité d’une formation n’est pas réservée qu’aux élus du CSE. Le manque de connaissances sur ce sujet est d’ailleurs le principal défaut des ressources humaines, selon David Guillouet. Ce qui conduit également les managers à ne pas savoir détecter les signaux faibles d’une éventuelle situation de harcèlement – mais pousse également à la surréaction… Certains employeurs vont jusqu’à mettre immédiatement à pied le ou la salarié(e) suspecté(e). « J’ai vu les mises à pied conservatoires augmenter de manière phénoménale depuis 2018, pour des périodes longues », confirme André Caria. De quoi mettre sous pression les personnes chargées de l’enquête pour qu’elle soit bouclée au plus vite. Pourtant, « il est important de pouvoir entendre toutes les parties, pour ne pas prendre de décisions trop précipitées », déclare Me Delphine Ricard. Répondre trop vite et mal est d’autant plus problématique que, bien souvent, l’existence d’un harcèlement ne peut être démontrée…

Auteur

  • Olivier Hielle