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Présidentielle : et voilà le travail !

Chroniques | publié le : 02.05.2022 |

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Présidentielle : et voilà le travail !

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Martin Richer Management & RSE management-rse.com/

Durant cette campagne présidentielle, la question du travail a été traitée de façon bien cavalière. En élaborant sur la pensée de deux grandes philosophes du siècle dernier, Hannah Arendt et Simone Weil, on peut considérer que le travail présente trois facettes : instrumentale (gagne-pain), intégratrice (« l’action », ce qui nous permet de changer le monde et de faire société) et émancipatrice (« l’œuvre », le dépassement de soi). C’est lorsque nous parvenons à concilier ces trois aspirations que nous créons les conditions du bien-être au travail.

En 2017, Emmanuel Macron avait fait une campagne disruptive en mettant en avant ces trois facettes : lutte contre les discriminations, contre les « assignations à résidence », pour l’émancipation par le travail. En 2022, il aurait pu faire une campagne étincelante, en faisant le bilan de son quinquennat sur cette base et en prolongeant cet axe de progrès. Mais il a choisi, sans doute par sécurité, de venir se mesurer à son adversaire principale sur le terrain qu’elle avait choisi : le pouvoir d’achat.

Au fil de la campagne, ce thème a écrasé tous les autres. Le travail n’a affleuré que sous sa facette instrumentale, en tant que levier du pouvoir d’achat. Le citoyen étant nié dans sa fonction de travailleur et se réduisant à celle de consommateur. Les conditions de travail n’apparaissaient pas comme une problématique en tant que telle, mais seulement, au travers de la pénibilité, comme un instrument de régulation de l’âge de départ à la retraite, sujet qui a fortement cristallisé les débats.

Dans la campagne de 2022 comme dans la précédente, Emmanuel Macron a été le candidat qui a le plus parlé du travail et de l’entreprise. Si l’on se fie aux « professions de foi » (les quatre pages transmises aux électeurs, qui permettent de synthétiser les propositions), celle d’Emmanuel Macron nous parle de « mieux vivre de son travail », du « travail d’une vie », des « travailleurs de ce pays », du « chemin du travail », des « filières [de formation] qui conduisent au travail ». Le travail y était beaucoup plus présent que dans la profession de foi des « candidats de gauche ». Celle de Yannick Jadot ne contenait pas le mot travail, celle de Jean-Luc Mélenchon ne l’évoquait que pour l’interdiction du travail détaché, celle d’Anne Hidalgo ne retenait que la « revalorisation du travail » et plus étonnant encore, celle du candidat communiste, Fabien Roussel, ne faisait que mentionner « un bon travail, un vrai salaire ». Ceci met en évidence « le hold-up » sur la thématique du travail, que la gauche n’a pas su ou pas voulu contrecarrer. Quant à Marine Le Pen, qui pourtant se présentait comme la « candidate du peuple », le mot travail (ou ses dérivés) n’apparaissait nulle part dans sa profession de foi…

Des chercheurs du CNRS et de l’université de Nice, emmenés par l’historien Damon Mayaffre, ont analysé le vocabulaire des candidats pour littéralement « les prendre aux mots ». Au fil de la campagne, plus de 250 discours ont été saisis, numérisés et livrés à des algorithmes de statistique textuelle et d’intelligence artificielle pour identifier les mots-clés et les thématiques favorites de chacun. Ces analyses confirment qu’Emmanuel Macron a été le candidat qui a mis le plus le travail en avant, mais dans une approche très instrumentale (« faire en sorte que le travail paye »).

Cette vision racornie du travail n’a pas empêché sa victoire électorale. Mais c’est une opportunité perdue, car le travail est engagé dans une transformation particulièrement radicale, avec l’extension du travail indépendant, de la co-activité, des plateformes collaboratives, du travail à distance, du travail soutenable, de la revalorisation du travail des invisibles : autant de sujets qu’il aurait fallu débattre pour (en reprenant son expression de 2017) « remettre le travail en marche » !