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« Les entreprises attendent souvent un retour sur investissement rapide, ce qui ne peut pas être le cas »

Le point sur | publié le : 06.06.2022 | Dominique Perez

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« Les entreprises attendent souvent un retour sur investissement rapide, ce qui ne peut pas être le cas »

Crédit photo Dominique Perez

Denis Monneuse est chercheur en sociologie, RH, management, directeur du cabinet Poil à Gratter.

L’absentéisme est-il un mal français ?

Non, évidemment, on peut être malade dans tous les pays du monde et il est très difficile de comparer les taux d’absentéisme d’un pays à l’autre, parce que les législations sont très différentes et que l’on manque de données consolidées au niveau national. Cependant, l’une des spécificités de l’absentéisme en général est son niveau plus élevé dans la fonction publique, et qu’en France, nous avons une proportion de fonctionnaires plus forte qu’ailleurs… Nous avons également un système de protection sociale plus favorable que les pays anglo-saxons, où le risque de perte financière ou de travail est plus grand en cas d’arrêts de travail. Les personnes en CDI sont d’ailleurs plus enclines à s’arrêter que les salariés en CDD ou en intérim.

Vous pointez, parmi les causes de l’absentéisme, la tendance au présentéisme…

Nous sommes un pays de défiance – celle des managers vis-à-vis des salariés. C’est l’une des raisons pour lesquelles le télétravail finalement se développe peu et cette surveillance a des impacts évidents, notamment sur le présentéisme, plus développé en France. Plus on reste tard au travail, mieux on est considéré. Cela peut-être l’une des causes de l’absentéisme, car il engendre de la fatigue professionnelle. Toutes les études montrent que lorsqu’on a une vie sociale, amicale, associative… on se sent mieux. Quand ce temps est très diminué, que l’on a peu de plages pour décompresser, pour se changer les idées, on craque plus souvent et l’on est arrêté plus longtemps. Les « workaholics » peuvent tenir un moment puis un jour être victimes de burn-out et être arrêtés sur une longue durée, de minimum trois mois.

Vous soulignez aussi la question de l’âge…

L’une des raisons de fond de la progression de l’absentéisme est celle du vieillissement de la population active, un des grands enjeux des années à venir, surtout avec la réforme de la retraite envisagée. Les seniors sont généralement plus absents et connaissent une durée moyenne plus longue des arrêts pour maladie grave ou opérations lourdes. Si l’on recule l’âge de la retraite, le risque évident est d’augmenter encore l’absentéisme… Et cela concerne tous les métiers, y compris ceux considérés les moins pénibles physiquement, qui n’échappent pas à une usure professionnelle liée au stress, aux déplacements, etc.

Actuellement, on parle pourtant beaucoup de politique de prévention dans les entreprises…

C’est vrai, mais les entreprises attendent souvent un retour sur investissement rapide, ce qui ne peut pas être le cas. Les médecins pointent que si, pendant des années, vous avez eu des conditions de travail difficiles, pris des mauvaises postures, etc., même si votre employeur prend des mesures correctives pour améliorer votre qualité de vie au travail, celles-ci ne vont pas annuler ce que vous avez vécu avant et qui vous a affecté. Cela peut être décevant pour les entreprises qui investissent, par exemple dans des meilleurs sièges ou des écrans d’ordinateur, qui organisent des formations ou font venir un ergonome… Ainsi, quand un dirigeant me demande : « Si je dépense tant d’euros pour améliorer la situation, combien cela va-t-il me rapporter ? », la réponse peut le décevoir… Plutôt que des actions coups de poing pour l’amélioration des conditions de travail, il faut faire de la prévention sur le long terme, avec une implication personnelle du dirigeant, motivée par autre chose qu’un intérêt purement financier.

On évoque la responsabilité d’un management dit « dégradé » pour expliquer l’absentéisme, qu’en pensez-vous ?

C’est en effet vrai à tous les échelons, y compris au niveau des managers de proximité. J’observe qu’au sein d’une même entreprise, les taux d’absentéisme peuvent varier énormément d’un établissement et d’un service à l’autre. Ils évoluent souvent, en positif ou en négatif, à l’arrivée d’un nouveau manager et les taux sont plus faibles lorsqu’un management plus participatif est mis en place. Un salarié qui a un problème de santé aura moins tendance à demander un arrêt de travail quand le collectif est soudé, en se disant qu’il ne va pas abandonner ses collègues. C’est pourquoi afficher un taux général d’absentéisme dans les grandes entreprises ne signifie pas grand-chose. Il faut creuser, analyser les chiffres selon les âges, les sexes, les métiers, faire le lien avec les conditions de travail et le bien-être, ce qui n’est pas assez souvent le cas. Les employeurs doivent aussi se battre contre le fatalisme, les situations peuvent toujours s’améliorer !

Auteur

  • Dominique Perez