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Pas de recettes miracles pour lutter contre l’absentéisme…

Le point sur | publié le : 06.06.2022 | Dominique Perez

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QVT : Pas de recettes miracles pour lutter contre l’absentéisme…

Crédit photo Dominique Perez

 

Mais des leviers à actionner… À l’heure où la qualité de vie au travail fait partie intégrante de nombre d’accords de branche ou d’entreprise, le phénomène, considéré parfois comme une spécificité française, ne faiblit pas… Quelques pistes sont cependant à explorer pour le contrer.

Le sujet est revenu avec force. Ainsi, au pic de la pandémie, l’infection au coronavirus a été « à l’origine d’un quart des arrêts de travail », souligne Malakoff Humanis, qui avait observé une baisse de l’absentéisme en 2020. Les arrêts forcés du travail pendant les confinements représentent certes une partie de l’explication, mais pas seulement, selon Laurent Cappelletti, professeur titulaire de la chaire Comptabilité et contrôle de gestion et président du collège des chaires du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Il travaille en particulier sur les coûts cachés, dont l’absentéisme, pour les entreprises. « Durant la crise, le taux d’absentéisme aurait dû exploser, avance-t-il. Or cela n’a pas vraiment été le cas, sans doute parce que, finalement, il y a peut-être eu plus d’attention des managers vis-à-vis de leurs salariés et plus de soin et de veille sur leur santé. » Les taux progressent à nouveau en 2021 (lire encadré ci-contre), avec des indicateurs qui ne manquent pas d’alerter les experts. La crise sanitaire serait en effet venue amplifier des tendances déjà à l’œuvre avant 2020, avec notamment une progression des risques psychosociaux. Signe le plus parlant : l’allongement de la durée des arrêts longs, qui sont passés de 94 à 105 jours en 2021. Une progression due en partie au vieillissement de la population active (la part des 50-64 ans a augmenté de 69 % au cours des vingt dernières années), mais également à l’augmentation des arrêts pour motifs psychologiques, qui sont, en moyenne, deux fois plus longs que les autres, selon Malakoff Humanis.

Tendances inquiétantes chez les jeunes et les cadres

Parmi les signaux d’alerte, les experts notent l’absentéisme des cadres, qui n’était pas vraiment un sujet d’inquiétude jusqu’à ces dernières années. « Leurs taux étaient, historiquement, très bas, explique Sabeiha Bouchakour, manager-conseil du cabinet Siaci Saint Honoré, spécialiste de la prévention et qualité de vie au travail. Même s’il reste inférieur aux autres catégories de population, nous décelons là un problème nouveau, car les cadres sont absents sur des durées de plus en plus longues. » Un signe révélateur de risques psychosociaux, « qui peut s’expliquer en partie par l’impact de la crise sanitaire, mais pas seulement, car nous observons la montée de ce phénomène depuis les cinq dernières années », poursuit-elle. Autre élément de veille : la hausse de l’absentéisme chez les jeunes, pour lesquels, « bien entendu, il y a eu aussi un effet Covid, beaucoup d’arrêts étant liés à la pandémie, constate Anne-Sophie Godon-Rensonnet, directrice des services chez Malakoff Humanis, responsable de la chaire Cnam Malakoff Humanis Entreprises et santé. Mais cette progression traduit également des évolutions fortes, qui concernent un engagement différent vis-à-vis de l’entreprise, lequel provoque un recours plus fréquent aux arrêts, en même temps qu’une nouvelle manière de considérer le travail ». « Nous observons un attachement plus faible des jeunes à l’entreprise, poursuit-elle ainsi, mais aussi des frontières moins définies entre leur lieu de travail et leur domicile. Pour eux, être en arrêt maladie à la maison ne signifie pas obligatoirement ne pas travailler du tout, par exemple. » Une évolution cependant à surveiller pour Sabeiha Bouchakour… « Nous avons été très étonnés de la hausse des taux d’absentéisme chez les jeunes. Les pourcentages pour les 25-30 ans et même les moins de 25 ans augmentent plus vite et plus fort que pour les autres tranches d’âges. L’absentéisme n’est donc pas lié uniquement à l’usure professionnelle », avance-t-elle.

Alors, de quoi s’agit-il ? Essentiellement d’un problème de management, estiment unanimement les experts. « Nous sommes, en France, à un taux de 5 % à 6 % d’absentéisme constant dans le privé et autour de 8 % dans le public », relève Laurent Cappelletti.

Le management en question

Si le lien avec l’entreprise se distend inexorablement, notamment pour les jeunes, « ce fait ne peut pas seulement être considéré comme uniquement “générationnel”, il doit inciter à des réflexions en profondeur », ajoute-t-il. De fait, « les entreprises doivent mettre en œuvre une vraie prévention, identifier les signaux faibles pour détecter les collaborateurs qui commencent à être absents plus régulièrement, les recevoir, les accompagner, trouver des solutions », précise Anne-Sophie Godon-Rensonnet. Car l’inaction peut « créer les conditions pour que l’absentéisme court devienne moyen, puis long et impacte durablement l’entreprise », explique-t-elle.

Or face à des indicateurs qui passent au rouge, particulièrement dans des secteurs comme le commerce et la santé, les entreprises dans leur ensemble n’affronteraient pas la question de l’absentéisme de la bonne façon et en feraient même souvent une sorte de tabou… « Il y a bien longtemps, elles pouvaient nous demander d’intervenir pour tenter de résoudre leurs problèmes d’absentéisme, qu’elles désignaient comme tels, déclare ainsi Henri Savall, président fondateur de l’Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (Iseor). Aujourd’hui, c’est comme s’il s’agissait d’un sujet honteux. Elles ne s’adressent jamais à nous pour résoudre cette question spécifiquement. Elles nous contactent sur des thématiques comme l’engagement et l’implication du personnel, la baisse de la productivité, de la qualité de la communication. » Plus encore que son turn-over, exposer son niveau d’absentéisme risquerait de mettre à mal une marque employeur que l’on veut soigner. Un mal qui coûte pourtant cher – et même très cher. « Environ 5 000 euros par an et par salarié dans le secteur privé », estime Laurent Cappelletti.

Accords sur la qualité de vie au travail, efforts sur le bien-être au travail… au-delà des intentions et de la volonté des entreprises, rien ne peut changer sans une remise en cause en profondeur des modes d’organisations du travail et de management, selon le chercheur. « Évidemment, il y a des exceptions, mais le mode de management français reste majoritairement taylorien, c’est-à-dire qu’on donne un ordre et que les salariés doivent l’exécuter, résume-t-il. De plus, les formations au management sont insuffisamment développées. Or la négociation, le management de proximité, voire la confrontation sont indispensables. » Et la crise, en éloignant les salariés des collectifs de travail, aurait accentué cette tendance. « L’éloignement vis-à-vis de l’entreprise dans le sillage des confinements et la perte du lien physique, avec le développement du télétravail, ont eu des conséquences fortes, confirme Henri Savall. Cette désorganisation a créé un désarroi dans les esprits. Le télétravail a apporté un palliatif, mais a signifié aussi un démantèlement des équipes. Actuellement, certaines entreprises sont à 32 % d’absentéisme ! Ce mode de travail est une possibilité intéressante pour les personnes qui bénéficient de conditions leur permettant de bien le vivre, mais pour les autres, c’est un inconfort certain. » À l’isolement, l’éloignement et la perte de repères s’ajoutent une situation anxiogène. « La guerre en Ukraine, notamment, va certainement avoir des répercussions sur la santé mentale », souligne Sabeiha Bouchakour. Dans un contexte où la pénurie de compétences fait rage, il devient, autant que du recrutement de nouveaux collaborateurs, d’autant plus urgent de se préoccuper du bien-être et de la santé de ceux qui sont déjà en poste…

Les chiffres de l’absentéisme

Salariés en arrêt de travail en janvier et mai 2021 : + 30 %

Arrêts dus à des troubles psychologiques : 19 %, dont 30 % sont des arrêts longs (supérieurs à un mois).

35 % des personnes interrogées déclarent avoir souffert d’isolement, un tiers a rencontré des difficultés familiales ou financières.

En excluant les arrêts liés à la Covid, les principaux motifs d’arrêt maladie sont les accidents ou traumatismes (21 %) et les troubles psychologiques (dépression, anxiété, stress, épuisement professionnel…), qui représentent 19 % des arrêts. Viennent ensuite les maladies graves et les troubles musculosquelettiques (12 % chacun).

Source : Baromètre Malakoff Humanis, septembre 2021.

Auteur

  • Dominique Perez