« C’est toujours à nous de nous plier aux exigences des entreprises », « Pour obtenir un stage, je dois passer au moins huit entretiens », « Je n’obtiens pas de réponse à mes candidatures »…. Ces phrases font partie d’un florilège que Marie-Laure Henry, directrice des relations entreprises de la Web School Factory, une école de commerce créée il y a dix ans, avait l’habitude d’entendre de la part de ses étudiants. L’école les forme en cinq ans aux métiers du numérique (webdesigner, webmarketers…) « par le faire », comme aiment à dire les enseignants. Pas de cas d’école, donc, uniquement des exemples réels directement issus d’entreprises.

Or « il faut envoyer entre 30 et 50 CV pour espérer décrocher un emploi », selon le site Zety, facilitateur de création de CV, qui a analysé plus de 670 000 CV déposés sur sa plateforme en 2021. Autre statistique : 45 jours après avoir postulé un emploi, 84 % des candidats n’ont pas reçu de réponse, selon une étude StepStone, un site de recrutement.

Face aux difficultés des étudiants pour décrocher une alternance en troisième année ou trouver un emploi à l’issue de leur formation, l’équipe dirigeante de l’école leur a demandé quelle serait la solution… « En somme, nous leur avons proposé de réinventer la relation entre l’école et les entreprises », résume Marie-Laure Henry.

La réponse a été claire : « C’est aux entreprises de nous séduire avec un discours qui nous parle ! ». « Leur demande est d’autant plus légitime que nos étudiants ne rentrent pas dans les cases. Les offres de postes sont en général trop formatées pour eux », explique la directrice. C’est de cette ambition qu’est né l’Antiforum, un forum de recrutement pas comme les autres. L’événement comprend deux temps forts. Dans un premier, des entreprises partenaires de la Web School Factory « pitchent », autrement dit, se présentent devant les étudiants. Leur but : se montrer désirables pour attirer les talents. À l’issue de ces présentations, un concours désigne l’entreprise qui a soulevé le plus d’enthousiasme parmi l’auditoire.

Dans un second temps, les étudiants s’entretiennent avec le représentant des entreprises. Mais – et c’est là toute l’originalité de l’exercice, le CV est proscrit. Les étudiants présentent leur fiche de poste idéal, c’est-à-dire le poste et les missions qu’ils ont envie de mener au sein de l’entreprise rencontrée.

L’école est fière de son concept : « L’Antiforum offre deux avantages pour les entreprises : les étudiants leur renvoient l’image employeur et les DRH apprennent à s’adapter à ces nouveaux profils. Cette technique inédite permet aussi à l’entreprise d’évaluer l’ensemble des compétences des étudiants et de découvrir les métiers émergents », assure Marie-Laure Henry.

Cette année, 22 entreprises, parmi lesquelles Asmodée (éditeur de jeux de société), Engie Digital, la Française des jeux, la Société Générale, Bouygues Telecom et Korian sont venues rencontrer près d’une centaine d’étudiants. Au total, ces derniers ont réussi à décrocher 350 rendez-vous. Les plus ambitieux en ont planifié cinq ou six. « Alors qu’on obtient rarement autant d’entretiens, même après avoir envoyé 100 CV », se félicite la directrice.

C’est ainsi le cas d’Alexis Weiser, 22 ans, en 3^e année du cursus webdesign. « J’ai rencontré cinq entreprises que j’avais choisies. Je me suis vendu en mettant en avant mes qualités, mes envies… sans chercher à rentrer dans leurs cases. Naxos, réseau d’agences immobilières, m’a d’ores et déjà proposé un poste de chef de projet. Drapo, société spécialisée dans le financement de la transition énergétique, m’attirait particulièrement. La personne avec laquelle je me suis entretenu m’a demandé de lui envoyer mon portfolio. Je vais prochainement rencontrer les équipes et découvrir leurs locaux », raconte-t-il.

Quant à Alix Vandemeulebrouck, 20 ans, elle suit le cursus webmarketing. Elle a rencontré Asmodée, Korian et Saint-Gobain. Dans ses choix, elle a privilégié les entreprises qui lui inspiraient confiance et dont les représentants étaient « joviaux, dit-elle. L’épanouissement professionnel est pour moi très important. Je veux me réveiller le matin en étant contente d’aller travailler ». La jeune femme, qui se destine à être responsable stratégique, s’imagine bien réaliser les campagnes marketing de Korian ou Asmodée. La première lui a déjà proposé un autre rendez-vous. La seconde ne devrait pas tarder à la recontacter.

Pour l’édition 2022, la société plébiscitée par les étudiants a été Manutan, société de vente par catalogue d’équipement industriel, qui emploie 1 200 personnes en France et recrute chaque année 50 alternants.

« Cela fait très plaisir, confie Widad Iguenfer, la responsable RH. Les deux personnes qui ont fait la présentation ont “pitché” sans support visuel. Elles ont misé sur l’authenticité. Et ce, dans la bonne humeur et en parlant d’égal à égal avec les étudiants. Elles ont tout simplement raconté l’histoire de cette entreprise familiale, de taille intermédiaire, créée en 1966, avant de mettre l’accent sur la mobilité interne, au cœur de notre stratégie RH. Tous les mois, nous organisons une réunion plénière avec des personnes de différents services, par exemple. Cette proximité leur a plu. »

OnePoint, cabinet de conseil spécialisé en transformation et compétences digitales, participe à l’Antiforum pour la deuxième fois. Victoire Hurtebise, talent acquisition specialist, justifie la présence de l’entreprise qui compte 3 000 salariés : « En 2024, nous avons l’ambition d’avoir 10 000 collaborateurs. Or le marché est tendu. Nous avons donc décidé de prendre les devants, de gagner en visibilité et de nous faire connaître des étudiants. Tous les ans, nous recrutons une trentaine d’alternants. L’année dernière, deux d’entre eux l’ont été à l’Antiforum. Cette année, nous avons également rencontré des profils intéressants. »

Pour les étudiants, les études et ce « recrutement à l’envers » ont un prix : 8 500 euros par an. Heureusement, des bourses au mérite existent pour ceux qui passent le cap de la première année.