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Les clés

Autopsie de l’emprise du capitalisme

Les clés | À lire | publié le : 13.06.2022 | Lydie Colders

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Autopsie de l’emprise du capitalisme

Crédit photo Lydie Colders

Dans « Capitalisme et colonisation mentale », le sociologue David Muhlmann scrute les dérives d’une marchandisation des rapports qui gagne tout, de l’entreprise à la vie privée. Une critique aiguisée du management moderne.

Le capitalisme s’est profondément transformé. La figure du chef autoritaire incarnant le pouvoir à l’ère industrielle tend à se muer en la posture plus libérale de l’entrepreneur. « Aujourd’hui se développent des formes plus douces de domination, qui prennent l’allure de l’émancipation subjective : critique des règles et de la bureaucratie, entreprise libérée, organisation agile, valorisation de l’entrepreneuriat de chacun », constate David Muhlmann. Dans son livre, ce sociologue, consultant en organisation chez McKinsey, analyse l’influence pernicieuse de ce nouveau capitalisme sur les mentalités, dans le travail ou la vie privée. Pour lui, « le fonctionnement de l’entreprise est devenu le prototype de la manière dominante d’être au monde : échange et négociation, esprit de calcul, utilité et instrumentalité définissent nos façons d’agir, de penser et d’interagir avec les autres. » Dans la vie professionnelle ou les loisirs, le rapport à l’autre serait devenu plus utilitaire. Cette jonction unique entre le monde de l’entreprise et l’individu serait encore renforcée avec le numérique et le télétravail, qui envahissent la sphère domestique. Ce « capitalisme avancé » est une forme de « colonisation mentale » régissant nos vies, tranche le sociologue.

Performance subjective

Érudit, son livre sonde les ressorts de cette emprise transformant le salarié en entrepreneur de lui-même : le management du capitalisme avancé, explique le consultant, est critique des pesanteurs et de la hiérarchie traditionnelle. L’enjeu est de construire une entreprise presque libérée des managers, « incitant le collaborateur à endosser les contraintes de performance à travers d’objectifs […] dont il est responsable ». Ces indicateurs remplacent peu ou prou le petit chef dictant le quotidien : la carrière du salarié « ne dépend plus que de lui. Réussite individuelle et performance de l’organisation se trouvent directement liées ». Cette critique du management individuel n’est pas nouvelle. Mais le sociologue tire bien le fil d’un esprit de concurrence assujettissant les employés : modes projets cassant les repères sociaux, 360 degrés, promotion dépendant « de sa capacité à se vendre » et à encaisser des remarques lors d’évaluations… « Les entreprises s’apparentent de plus en plus à des marchés internes », où règnent l’offre et la demande. Avec son lot de pression énorme pour le salarié. Le problème, pour l’auteur, est que les individus ont désormais intériorisé ces réflexes capitalistes, dans leur vie professionnelle et privée. Excessif ? Peut-être. Managers et employés ne sont pas forcément dupes. Mais ce livre donne à réfléchir au collectif du travail de plus en plus effrité et à cet engagement subjectif empreint de fausse « coolitude ».

Auteur

  • Lydie Colders