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Grands dossiers de la rentrée : Espaces de travail

Espaces de travail : Les tiers-lieux, en voie d’institutionnalisation ?

Grands dossiers de la rentrée : Espaces de travail | publié le : 25.07.2022 | Dominique Perez

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Espaces de travail : Les tiers-lieux, en voie d’institutionnalisation ?

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Présentés comme l’une des réponses aux nouvelles aspirations des travailleurs, indépendants ou salariés, en termes d’organisation du travail et de lien social, les tiers-lieux sont à l’agenda gouvernemental. Mais des questions subsistent…

La consécration… Estampillés « fers de lance » du plan de relance, selon les termes de Jean Castex, Premier ministre du quinquennat précédent, les tiers-lieux – ces espaces hybrides favorisant le « faire ensemble » – vont-ils devenir « le » modèle à suivre ? Longtemps considérés avec une certaine méfiance, quand ce n’était pas du dédain, par les acteurs politiques et économiques, ils sont présentés aujourd’hui comme l’une des voies privilégiées pour répondre à des enjeux contemporains fondamentaux. « Dans les rares sujets de campagne présidentielle concernant le terrain social, le développement des nouveaux modes de travail, et notamment les tiers-lieux, était en bonne place », relève Yvan William, avocat spécialisé en droit du travail et en gestion sociale. Déjà soulignées avant la crise sanitaire, leurs vertus sont devenues presque évidentes en ces temps troublés, où les questions sur l’organisation du travail sont nombreuses. Gérer son temps autrement, disposer d’un espace pour télétravailler, s’inscrire dans une démarche associative ou de partage… « Les tiers-lieux sont aussi aujourd’hui une réponse à la quête de sens, par rapport à des modes traditionnels de travail provoquant, y compris au sein des entreprises, beaucoup de questionnements, à l’instar de : travailler tous les jours au même endroit, avec les mêmes personnes, et pour quoi faire ? », poursuit Yvan William.

« Une transformation majeure »

Favoriser l’essaimage et s’appuyer sur l’expérience d’initiatives qui ont fait leurs preuves est l’une des premières missions de France Tiers-Lieux, dont le président, Patrick Levy-Wetz, est un fervent promoteur du concept. Et l’impression de prêcher dans le désert s’est ainsi plus qu’estompée, puisque l’État lui-même s’empare du sujet. « Nous sommes témoins d’une transformation majeure du paysage, se félicite Patrick Levy-Wetz, dans le sillage de la parution d’un rapport intitulé : Les territoires en action. Les tiers-lieux sont désormais incontournables, alors que ces initiatives ont longtemps été méconnues, négligées – et même raillées. Tant par leur nombre, qui ne cesse d’augmenter, que par leurs actions au carrefour des transitions numériques, écologiques, économiques et sociales. »

Cinq mesures, qui se déploient actuellement sur toute la France, ont été définies par le gouvernement. Elles visent à participer financièrement à leur extension et à leur ingénierie, pour un budget total de 130 millions d’euros.

Pour les pionniers, tels Ruben Grave, cette forme de reconnaissance est bienvenue, même si des points de vigilance subsistent. Dès 2006, ce dernier a réuni une communauté d’entrepreneurs du numérique rue de la Jonquière, dans le 17e arrondissement de Paris, et a ouvert peu à peu un lieu en coworking à tous les acteurs du quartier : start-up, associations, artistes, TPE et PME, professionnels en free-lance, créatifs, étudiants… avant de proposer des services spécifiques aux créateurs de lieux, notamment sur la plateforme Be.tiers-lieux. Pour Laure Hannecart, directrice associée de cette plateforme, ces lieux ont prouvé leur utilité non seulement sociale mais également économique, en dynamisant des territoires. « Ils sont venus faire revivre des rues ou des villages, constate-t-elle. Dans la rue de la Jonquière, le chiffre d’affaires moyen des commerçants a crû de 10 % à 15 %, cela prouve très factuellement que les tiers-lieux en eux-mêmes sont vecteurs d’activités économiques et humaines. »

Un modèle unique ?

Si l’État s’est clairement engagé dans l’aide aux tiers-lieux, restent quelques obstacles à lever, selon les observateurs. L’un des premiers étant sans doute l’impossibilité majeure d’élaborer un modèle unique qui « régirait » des espaces nés spontanément, sur des territoires qui ont des besoins et des attentes très différents les uns des autres, avec des statuts et des modes de fonctionnement qui ne le sont pas moins. « C’est une bonne chose que l’État ait mis en œuvre des politiques publiques qui permettent de soutenir les tiers-lieux, mais les ministères ne sont pas tous prêts, estime Laure Hannecart. Ils fonctionnent encore trop souvent avec des modes de décision verticales, alors que nous proposons des formes de gouvernance horizontales, ce qui n’est donc pas toujours compris. » Nés dans la spontanéité et pour nombre d’entre eux, encore au stade expérimental, ils nécessitent également de partir de situations et de besoins très spécifiques. « Ce qui fonctionne sur un territoire A ne sera pas efficace sur un territoire B, poursuit Laure Hannecart. Il faut veiller à l’équilibre entre la partie sociale de l’activité et la partie économique, inclure du volontariat, de l’entraide. À nous, tiers-lieux, de rester vigilants sur ces sujets, mais la porte n’est pas fermée pour le moment. »

Parmi les questions qui sont loin d’être tranchées, l’aspect juridique. « On pourrait imaginer une réflexion à venir, estime Yvan William, comme on l’a connue pour le portage salarial. Cela pourrait se concrétiser par la création de structures qui développeraient des services, par des possibilités d’aménagements fiscaux et sociaux, des formes d’accès au crédit, et des considérations sur les statuts des résidents. Pour le moment, ces questions sont évoquées de façon succincte. Il faudra sans doute s’y pencher, même si ce concept polymorphe actuel est intéressant ! »

Vocation sociale et touristique pour Emmaüs Primelin

Hébergement touristique, restauration, boutique et épicerie, séjours thématiques, accueil d’urgence, évènementiel, espace multi-activités… À quelques encablures de la Pointe du Raz, dans le Finistère Sud, le site d’Emmaüs Primelin est en voie de transformation en tiers-lieu. À l’origine, en 1991, maison de vacances pour compagnes et compagnons d’Emmaüs, le projet évolue peu à peu avec la création d’une association spécifique en 2014, et l’embauche d’un premier salarié, Alexandre Le Pen, en 2020. « J’ai intégré l’association après un master spécialisé dans la thématique de l’insertion par le sport comme vecteur de lien social et deux ans d’activité bénévole au sein d’une communauté Emmaüs », explique ce dernier. D’animateur, il devient coordinateur et enfin directeur de l’association en 2020. Pour mener à bien sa mission, il suit une formation intitulée « Piloter un tiers-lieu », en lien avec la coopérative des tiers-lieux et gérée par l’association Bretagne Tiers-lieux, à Rennes. Animation de communauté, gestion financière… « des ressources essentielles », dit-il. Totalement autonome dans son financement suivant le modèle Emmaüs, l’association recevra une subvention d’investissement de la part des collectivités pour les travaux d’agrandissement, qui devraient être achevés en 2024.

Auteur

  • Dominique Perez